Accord de gouvernement: inquiétude autour du statut des enseignants et d’un “virage à droite complet”
Les syndicats enseignants étaient unanimement opposés à ce qu’on touche au statut de l’enseignant. Sans surprise, au lendemain de l’annonce de l’accord de gouvernement, l’inquiétude domine sur ce point.
La Déclaration de politique communautaire présentée jeudi par Maxime Prévot (Les Engagés) et Georges-Louis Bouchez (MR) ne manquait pas de matière à controverse ou à réflexion pour le monde de l’enseignement.
Parmi les grandes lignes mises en avant: une volonté de fusionner les réseaux de l’enseignement officiel, une “adaptation” de la 3e année de tronc commun dans le secondaire, qui ressemble fort à un raccourcissement de ce tronc commun à deux ans, l’instauration d’un CDI plutôt que la nomination des enseignants, et un subventionnement “égal” de l’officiel et du libre.
“On s’attaque à la fonction publique”
Le président de la CGSP Enseignement Joseph Thonon parlait vendredi matin sur les ondes de la RTBF d’une “très très mauvaise chose”. Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC Enseignement, évoque des “signaux d’alerte”. “On s’attaque de plein fouet à la fonction publique”, s’inquiète-t-il.
Les CDI sont des contrats “comme dans le privé”, pointe le représentant. Il voit d’ailleurs dans la DPR et DPC “un virage à droite complet”. Non seulement au travers de l’abandon de la nomination des enseignants, mais aussi dans le souhait affiché de fusions dans l’enseignement officiel. “On peut imaginer qu’il y a là-derrière une volonté de faire émerger le privé”, tranche Roland Lahaye.
Des points d’interrogation
Comme beaucoup d’autres acteurs le soulignent, il reste cependant énormément de points d’interrogation, sur la façon dont toutes ces intentions seront concrétisées. “La fusion, il faudra voir comment ils la déclinent. Nous plaidions plutôt pour des synergies entre réseaux, entre autres pour faciliter la mobilité des enseignants”, indique Roland Lahaye.
Même son de cloche chez Philippe Barzin, secrétaire général du CECP. Le Conseil de l’Enseignement des Communes et des Provinces fédère des PO de l’officiel subventionné. “Je suis assez content quand on travaille sur l’efficience. Maintenant, il faut regarder la faisabilité de toutes ces mesures. Nous n’avons pas encore beaucoup d’éléments concrets“, note celui-ci. D’ailleurs, “le texte parle de ‘souhait’ de fusionner, pas de décision”, pointe-t-il, s’interrogeant sur la réelle possibilité pour le gouvernement de décider cela.
“Si on conseillait d’avoir d’abord une coupole unique (pour l’enseignement officiel), ce qui suppose d’avancer en deux temps, c’était justement pour éviter de déforcer l’enseignement officiel”, ajoute également Philippe Barzin.
Patience est mère de prudence
WBE (Wallonie-Bruxelles Enseignement), concerné également au premier chef en tant que PO de l’enseignement organisé et financé par la FWB (un des deux réseaux de l’officiel), ne réagit que brièvement, vendredi. Il faudra discuter de la DPC avec les ministres compétents quand ceux-ci seront connus, “dans une logique de dialogue ouvert et constructif”, indique WBE.
“Nous plaidions déjà pour davantage de synergies entre les établissements scolaires et pour dépasser les concurrences. WBE est ouvert à toute opportunité visant à renforcer l’enseignement officiel et son efficacité”, résume le PO, sans ajouter d’autres commentaires.
Du côté du Segec (libre subventionné, enseignement catholique), on réagit très prudemment, et sans critique marquée. “Nous notons des éléments de continuité, comme le Pacte d’excellence, qui reste sur les rails”, indique Arnaud Michel, directeur de la communication au secrétariat général de l’enseignement catholique. Quant aux quelques points de rupture affichés, comme la remise en question de la nomination des enseignants, “on va voir comment cela sera mis en oeuvre”. Le message général est: attendons de voir comment les intentions seront traduites dans le concret. Surtout que l’on “reste dans un cadre de grande contrainte budgétaire”, ajoute Arnaud Michel. Les présidents des libéraux et centristes ont pourtant bien mis en avant un subventionnement renforcé du libre. Une “fin de discrimination historique”, comme le dit la DPC? “On y voit la marque d’un rééquilibrage qui pourrait se dessiner”, se réjouit le Segec.
“Il n’y a pas de discrimination”
Les autres sont bien plus critiques quant à cette annonce du MR et des Engagés d’une “fin de discrimination”, “un élève égale un élève”, une évolution vers un taux de subventionnement “égal” entre libre et officiel d’ici 10 ans.
“Il n’y a pas de discrimination entre libre et officiel, si c’est de ça qu’on parle, c’est un faux message”, tient à préciser Philippe Barzin, du CECP (officiel). “Le libre n’a pas nécessairement la même structure. Si discrimination il y a, ce serait plutôt entre l’organisé (le réseau WBE) et le subventionné (tous les autres, NDLR). Il faut quand même rappeler que les bâtiments scolaires du libre sont la propriété du libre. On peut se poser la question si c’est le rôle de l’Etat de financer du bâti privé”.
Pour Philippe Barzin, comme pour Roland Lahaye ou le Centre d’Action Laïque, on peut y voir la marque du bagage catholique des Engagés, ex-cdH et ex-PSC, même si le parti de Maxime Prévot s’est détaché officiellement de toute étiquette religieuse. “Il y a un combat constant de l’enseignement catholique par rapport au laïc, qui n’a jamais cessé”, constate Philippe Barzin.
“Si on donne les mêmes moyens à tout le monde, il faudra aussi les mêmes exigences pour tous”, prévient déjà Roland Lahaye (CSC Enseignement). Il pense lui aussi aux bâtiments: dans les écoles de l’enseignement officiel dont les bâtiments appartiennent à la collectivité, ils sont souvent mis à disposition d’autres services au public après les heures de cours.
Du côté du CPEONS, qui représente comme le CECP des pouvoirs organisateurs de l’enseignement officiel subventionné, il y a surtout “beaucoup de choses qui tiennent plus du slogan ou de l’effet d’annonce que de véritables mesures”, tient à préciser l’administrateur délégué Sébastien Schetgen. Sur le plan du financement, “aujourd’hui déjà, un élève égale un élève”, tranche-t-il. “Le subventionnement par élève est égal. D’ailleurs, quand une commune offre un avantage à ses élèves, elle doit compenser au profit des élèves du libre également”. S’il y a eu une différence en matière d’investissement dans les bâtiments, un recours du Segec a déjà mené à une adaptation décrétale sous la législature précédente, ajoute-t-il.