Voici ce que serait une réforme fiscale “idéale”

Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Typhanie Afschrift, Bruno Colmant et Mark Delanote, trois experts reconnus, présentent à Trends-Tendances ce que serait leur réforme fiscale “idéale”. Entre “flat-tax”, globalisation des revenus ou “dual income tax”, les modèles varient. Mais l’essentiel, c’est la cohérence et la simplicité.

Quelle serait la réforme fiscale “idéale”? Trends-Tendances a demandé à trois experts reconnus d’exprimer leur vision. Pour aider les décideurs à décider…

Typhanie Afschrift: “Une flat tax”

“Ce qui me dérange, ce n’est pas tellement la taxation des plus-values, mais plutôt les mesures concernant les revenus professionnels, que les cadres vont payer très cher.” – Typhanie Afschrift

La fiscaliste Typhanie Afschrift déplore le contenu fiscal de la “super note” de Bart De Wever : “On a l’impression qu’elle reprend en grande partie le projet de réforme de l’ancien ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), en pire sur certains points. Ce qui me dérange, ce n’est pas tellement la taxation des plus-values, mais plutôt les mesures concernant les revenus professionnels, que les cadres vont payer très cher. On supprimerait le caractère forfaitaire des avantages en nature ou la plupart des déductions qui corrigeaient le côté excessif de l’imposition. Cette réforme visait surtout à favoriser les bas salaires, en faisant payer cela par les cadres.”

Typhanie Afschrift souhaite que l’on diminue la pression fiscale globale. “Pour cela, il faut sortir de la logique de Bart De Wever, qui était également celle de la Vivaldi, selon laquelle des réductions d’impôts doivent être compensées par des augmentations d’impôts ailleurs, dit-elle. On reste dans la colonne des recettes, alors que pour moi, il faut également réduire les dépenses. Mais il faut toucher à la fonction publique et à certains petits bouts de la sécurité sociale, et cela fait hurler. Pourquoi a-t-on 21.000 fonctionnaires dans l’administration fiscale, alors qu’il y en a 17.000 aux Pays-Bas? Je sais que l’on en avait 28.000, il y a déjà eu une réduction, mais cela reste trop.”

Réduire la charge fiscale sur les bas salaires, “c’est logique car c’est là que l’écart est le plus faible avec les allocations”, souligne l’avocat fiscaliste. “Mais ce n’est pas suffisant. Selon moi, il faut modifier le rôle de l’Etat. A quoi cela sert-il d’avoir des entreprises publiques comme bpost ou Proximus? Pourquoi les gens richissimes touchent-ils des allocations familiales ? Ne faudrait-il pas des mesures plus fortes contre les maladies de longue durée?”

Fiscalement, cela devrait permettre de “supprimer la dernière tranche à 50 et la mettre à 45, pour commencer”. “On devrait aussi encourager les cotisations payées pour le second pilier de la pension, car la pension légale est nettement insuffisante, y compris pour des gens qui ont eu des revenus élevés, ajoute Typhanie Afschrift. Je serai favorable également à une vraie réforme de l’impôt des sociétés comme le Monory De Clercq des années 1980 : une réduction fiscale correspondant à un pourcentage de ce que l’on investit, en permettant aux sociétés d’émettre des actions nouvelles avec un précompte réduit. Je reviendrai sur la réforme des droits d’auteur : c’est indispensable si on veut garder une industrie technologique en Belgique. Car les avis que l’on me demande, désormais, c’est comment créer une entreprise en Inde ou à Dubaï.”

Les personnes qualifiées sont beaucoup trop visées par les décisions de taxation. Or, ce sont les plus mobiles.

“C’est d’autant plus étonnant que c’est globalement l’électorat des partis de l’Arizona”, s’étonne Typhanie Afschrift. Selon elle, les réformes restent, en outre, minimes en raison des compromis nécessaires entre partis.

Son idéal absolu ? Une flat tax, c’est-à-dire un prélèvement forfaitaire unique. “On aurait une réduction à la base non taxée, qui correspond au minimum vital, puis on met tout à 21%. J’ai calculé un jour que l’on y arriverait budgétairement avec ce niveau-là. On mettrait tout, y compris les plus-values, je n’ai pas de tabou à ce sujet, mais en l’inscrivant dans cette réforme d’ampleur. En supprimant toutes les exemptions, tout deviendrait infiniment plus facile – et je plaide contre ma chapelle en le disant. Ce n’est sans doute pas réaliste en Belgique parce qu’il reste des a priori idéologiques dans de nombreux partis. Chez nous, on reste attaché à la progressivité de l’impôt.”

Bruno Colmant: “Une méta-globalisation”

“La réforme fiscale va se fracasser contre des difficultés techniques inimaginables.” – Bruno Colmant

L’économiste Bruno Colmant déplore que la réforme fiscale imaginée par Bart De Wever “essaye de faire trois choses en même temps”: “On veut faire une réforme ambitieuse dans une contrainte budgétaire très lourde – 5 milliards d’euros par an –, avec la volonté de désagréger les contribuables entre les travailleurs et les autres”. Selon lui, l’effort est énorme, complexe et ne tient pas suffisamment compte des adaptations comportementales liées aux choix posés ou aux difficultés techniques.

La réforme fiscale, selon lui, consisterait à revenir sur le détricotage fiscal opéré depuis des décennies. “A part les revenus divers taxés à 16,5% ou 33% depuis la réforme de 1962, on a progressivement déglobalisé les revenus, souligne-t-il. La plus grande déglobalisation a eu lieu en 1984, quand on est passé au précompte mobilier libératoire. Dans les faits, les revenus immobiliers sont eux aussi déglobalisés car le seul impôt qui les frappe, c’est le précompte immobilier. L’idéal, à mes yeux, serait de reglobaliser les revenus.”

L’ambition de Bruno Colmant serait même plus large. “J’irai même plus loin en opérant une méta-globalisation, prolonge-t-il. Si on veut en même temps rationaliser la sécurité sociale, on devrait déterminer le niveau de cotisations globales sur base de ces revenus globalisés, voire les avantages que l’on retire de la sécurité sociale. C’est un plan qui serait envisageable sur plusieurs années.” La réforme de De Wever, argumente-t-il, mène à une incohérence car elle continue à prélever uniquement les cotisations sur les travailleurs au profit des allocataires sociaux.

Cette “méta-globalisation” permettrait de prendre à bras-le-corps tous les enjeux, selon l’économiste. “Avant toute chose, cela permet d’appréhender tous les revenus d’une personne. On pourrait imaginer que quelqu’un mette tout en bons d’Etat, sa taxation serait limitée à 30%. On devrait réintégrer les revenus comme c’était le cas en 1962, avec une taxation progressive qui permet de taxer la capacité à épargner. L’avantage d’une méta-globalisation serait donc d’élargir la base pour les cotisations sociales qui ne sont, aujourd’hui, prélevées que sur le travail. Or, ceux qui vivent du produit d’actions ou d’obligations bénéficient aussi de la sécurité sociale.”

Une telle “méta-globalisation” aurait le mérité de la clarté et de la simplicité. “La réforme fiscale va se fracasser contre des difficultés techniques inimaginables. On part de l’idée que l’on va supprimer des niches, mais cela n’est pas neutre : en supprimant le quotient conjugal, on impacterait 500.000 familles, c’est énorme ! Selon moi, il faut prendre le problème dans l’autre sens, en sortir par le haut.”

Une fiscalité environnementale trouverait-elle sa place dans sa vision ? L’auteur du livre Une brûlante inquiétude (qui ressort en version actualisée aux éditions Mardaga) regrette qu’il n’y ait rien dans le projet actuel et ajoute : “Je verrais plutôt cette fiscalité environnementale au niveau des sociétés. Il est trop difficile d’appréhender l’empreinte de pollution d’une personne physique, mais on pourrait viser les biens qu’il achète, en fonction de leur bilan environnemental. On y arrivera un jour.”

Enfin, Bruno Colmant ne cesse de répéter qu’il est impossible de diminuer en l’état la charge fiscale globale. “J’ai toujours dit qu’il n’y a pas beaucoup de place pour une baisse d’impôts. La situation actuelle impose plutôt des hausses. Dire que l’on va baisser les impôts sur la contrainte européenne, cela signifie que l’on mise tout sur les effets retour des réformes initiées. Personnellement, je n’y crois pas, j’y crois d’autant moins que nous sommes au début du vieillissement de la population. Cela signifie moins de croissance, plus de soins de santé et de retraites. C’est pour cela qu’à mes yeux, reglobaliser, c’est être juste.”

Mark Delanote: “Quatre principes fondamentaux”

“Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que l’on doit diminuer les charges qui pèsent sur le travail.” – Mark Delanote

Mark Delanote, avocat spécialiste en droit fiscal et professeur à l’UGent, était l’auteur de la vision soutenant le projet de réforme de Vincent Van Peteghem (CD&V) lors de la précédente législature. Il constate la difficulté à réaliser une réforme fiscale ambitieuse en Belgique. “Après toutes ces tentatives, il semble bien que l’on reste attaché au système fiscal existant. Les partis politiques peinent à s’entendre sur une vision.”

Il y a un consensus assez large selon lequel une réforme fiscale “idéale” doit “correspondre à quatre principes”, explique-t-il. “Il s’agit de l’efficacité, de la capacité redistributive, de la sécurité juridique et de la simplicité. Si l’on peut garder ces principes comme lignes directrices, il serait bien plus facile de réformer qu’en agissant comme on le fait pour l’instant, en établissant un catalogue de mesures. Cela donne le sentiment qu’il manque de vision et chaque point devient l’objet de discussions. Le débat médiatique sur la taxe sur les plus-values est symbolique. Y a-t-il un problème de vision méthodologique ? Ou chaque parti ne pense-t-il qu’à sa base électorale ?”

L’expert gantois part du principe que “tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que l’on doit diminuer les charges qui pèsent sur le travail”. “Pour financer cela, soit on réduit les dépenses, soit on effectue un tax-shift, ou une combinaison des deux. Et si l’on fait ce shift, il faut se focaliser sur les revenus du patrimoine ou sur la consommation/pollution. A part ce shift, il y a aussi du travail pour réinstaurer la neutralité dans toutes les domaines de la fiscalité. En soi, ce n’est pas difficile. Mais les tensions politiques empêchent d’avancer en ce sens.”

Une globalisation des revenus, comme le préconise Bruno Colmant? “Cela me fait penser à ce que Georges-Louis Bouchez avait proposé en son temps : mettre tous les revenus dans un ensemble, y compris les plus-values, et les soumettre à des taux progressifs. Dans son cas, il voulait évidemment que tous les tarifs diminuent : cela dépend évidemment de l’approche que l’on défend. Dans notre note de vision, nous soutenions davantage l’idée d’un système de taxation duale et progressive (dual income tax), qui fait une différence entre les revenus du travail et ceux du capital.”

Les revenus du capital seraient moins taxés que ceux du travail, pour tenir compte également de la spécificité de ceux-ci. “Il s’agit notamment de tenir compte du taux de rendement sans risque et de l’inflation. Un euro que vous gagnez grâce à votre capital ne peut pas être imposé de la même manière qu’un euro gagné par votre travail. Paradoxalement, l’idée défendue par Colmant et Bouchez est davantage redistributive que cette dual income tax. “

“On peut toujours discuter de la structure, conclut Mark Delanote. Mais l’essentiel, c’est d’avoir un point de départ clair et de s’y tenir de façon conséquente. Nous avions essayé avec notre note de vision, Vincent Van Peteghem l’avait reprise largement, il y a encore des éléments dans la ‘super note’ de Bart De Wever, mais la cohérence du récit global ne s’y retrouve pas.”

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