Vanessa Matz: “Je ne me laisserai pas intimider”

​​​​​Vanessa Matz, ministre de l’Action et de la Modernisation publiques, détient, l’air de rien, plusieurs compétences stratégiques. © Frédéric Sierakowski
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Au sein du gouvernement fédéral, Vanessa Matz a connu un début en fanfare : réforme délicate de la fonction publique, débats chauds sur bpost, Proximus et les participations publiques, menaces crédibles après une réflexion lancée pour interdire l’anonymat sur les réseaux sociaux… Elle se dit déterminée et nous expose la cohérence de son action.

Vanessa Matz, ministre de l’Action et de la Modernisation publiques, détient, l’air de rien, plusieurs compétences stratégiques dans le gouvernement fédéral de Bart De Wever. Désignée par Les Engagés, elle est chargée de la Fonction publique, mais aussi des Entreprises publiques (bpost et Proximus), du Numérique, de la Régie des bâtiments ou encore des établissements scientifiques. “C’est énorme, nous dit-elle. Au départ, on se disait que c’était là un ensemble un peu disparate, mais il y a, en réalité, une vraie cohérence et des enjeux de société importants.”

En faisant un tour d’horizon pour Trends-Tendances, elle reconnaît exercer un “devoir d’inventaire” sur tous ces domaines en une ère où l’argent public est précieux.

TRENDS-TENDANCES. Vous êtes “ministre de l’Action et de la Modernisation publiques”, un titre que vous avez souhaité : c’est tout un programme…

VANESSA MATZ. C’est un vrai choix, oui. Notre système public est confronté à des enjeux cruciaux en matière de digitalisation, mais aussi contraint à des économies budgétaires importantes. Comment fait-on pour continuer à offrir un service accessible au public, ce qui est ma priorité, tout en le modernisant et en réalisant ces économies ? Nous ne pouvons plus travailler de la même manière qu’il y a quelques années. La digitalisation permettra de faciliter un certain nombre de démarches, mais il faut veiller à ne pas laisser trop de personnes au bord du chemin. La fracture numérique reste importante : un rapport de la Fondation Roi Baudouin rappelait récemment que 40% des Belges sont en fragilité numérique. Je veux garder une alternative non numérique pour toutes ces démarches – cela se trouve aussi dans l’accord de gouvernement.

Moderniser et réaliser des économies substantielles, n’est-ce pas la quadrature du cercle ?

Le digital et l’intelligence artificielle vont nous aider, mais il ne s’agit pas de remplacer des humains. Il y a un peu trop de bashing par rapport à la fonction publique, certains affirment qu’il faut y appliquer les règles du privé, mais je ne suis pas de ceux-là.

“Il y a un peu trop de bashing par rapport à la fonction publique, certains affirment qu’il faut y appliquer les règles du privé, mais je ne suis pas de ceux-là.”

C’est pourtant ce qui se dit au niveau du gouvernement wallon.

Oui, bien sûr. Il y a de bonnes pratiques du privé dont on doit s’inspirer, mais transférer purement et simplement toutes les règles, cela ne marche pas, on le sait. La contractualisation des agents sera une source d’économies, mais aussi un outil de modernisation parce que cela permet d’avoir davantage d’agilité. Dans ma note de politique générale, je me suis engagée à mettre en avant les compétences plutôt que les diplômes : cela existe déjà, mais ce sera étendu, par exemple dans le domaine informatique. Nous avons aussi la volonté de développer davantage de synergies entre les services. On doit “relifter” nos administrations, œuvrer à plus de transversalité. Dans une époque où chaque euro est compté, alors que l’on demande des efforts aux citoyens, nous avons un devoir d’exemplarité.

Cela ne se fera pas sans mal…

L’administration, le cabinet et les syndicats travaillent déjà ensemble pour présenter aux gouvernements les modalités de la contractualisation. J’ai rencontré les syndicats d’emblée, le jour de la première grève nationale. Ils m’ont bien entendue, fait part de leurs inquiétudes au sujet de la réforme des pensions, mais cela relève de mon collègue Jan Jambon. Je n’élude pas la question, mais en ce qui concerne mes compétences, le fait d’avoir initié le dialogue rapidement a ouvert un climat positif. Ils ont bien compris que l’on ne peut pas fonctionner comme avant. Je ne suis pas quelqu’un qui veut brutaliser les gens, je ne prétends pas tout savoir…

… Mais vous êtes déterminée ?

Je suis déterminée, oui, tout le monde le sait. Mais je respecte le travail de chacun. Je suis sincèrement épatée des compétences que nous avons dans nos administrations, c’est loin de la vieille image que l’on véhicule parfois des fonctionnaires.

Arrivera-t-on à une réduction de la taille critique de l’État ?

Ce n’est pas dans ce raisonnement que nous sommes, il n’a jamais été question de couper des têtes. Nous travaillons en bonne intelligence, les SPF viendront avec des propositions pour réaliser les réductions linéaires de 1,8%. Mais il ne s’agit en aucun cas de broyer la machine. L’esprit est vraiment à la modernisation. Les préoccupations des citoyens sont surtout orientées vers le fait de ne plus avoir personne au bout du fil, de devoir envoyer cinq fois le même document, de ne pas pouvoir scanner des pièces… Il faut un vrai service qui respecte tout le monde. Pendant la campagne électorale, j’ai été frappée par le nombre de personnes qui se sentent abandonnées par l’État. Cela suscite beaucoup de frustrations et de colère, davantage encore en milieu rural.

Allez-vous recréer des antennes ?

Elles existent, il faut juste qu’il y ait quelqu’un au bout du fil ou présent physiquement. Je suis déterminée à aligner ces deux priorités : éliminer les gaspillages et offrir ce service.

En arrivant, vous avez dû éteindre un conflit social chez bpost. Était-ce le reflet d’un malaise profond ?

L’enjeu chez bpost, c’est la forte diminution du courrier classique et l’augmentation du volume des colis, ainsi que la nécessité de trouver d’autres marchés. Le personnel, habitué à faire du courrier, doit s’adapter pour transporter des colis. Il n’est pas opposé au changement, mais un problème subsistait dans certaines régions avec du personnel plus âgé ou désireux de préserver le lien social existant depuis longtemps. J’avais déjà rencontré le CEO, Chris Peeters, et j’ai demandé à rencontrer les syndicats qui m’ont expliqué ces situations particulières en détails.

Le conflit s’est apaisé, cela montre-t-il qu’il y a moyen d’emmener les gens avec soi dans cette transformation ?

Bien sûr. Le personnel était prêt à opérer ce changement, mais moyennant des adaptations. Je leur ai évidemment dit qu’il fallait aussi tenir compte des préoccupations de la direction pour trouver des nouveaux marchés, être performant et fiable…

Le but n’était-il pas aussi d’éviter un plan social chez bpost ?

Éviter un plan social, oui, mais aussi éviter que des entreprises ne se détournent du service de bpost après un nombre de grèves trop important. J’ai joué les modératrices entre les deux parties, c’est tout. Chacun a reçu ses apaisements. C’était un sacré baptême du feu, je le reconnais, mais il fait sens.

© Frédéric Sierakowski

La transformation est importante aussi chez Proximus, qui investit massivement dans la fibre et cherche de nouveaux marchés. Ces piliers de l’État doivent-ils changer fondamentalement ?

Il y a un autre paramètre important à ne pas oublier : ce sont des entreprises cotées en Bourse. Mon intervention dans la politique industrielle doit être proche de zéro. La moindre chose que je pourrais dire pourrait influencer le cours de Bourse. Je n’envisage pas mon rôle comme ça, je l’envisage comme un rôle de soutien, de facilitateur, pour essayer de fluidifier les choses. Il y a des intérêts contradictoires, mais quand chacun se sent respecté, on peut tout réussir. Voilà ma façon de penser. Le jour où je changerai, je m’en irai.

Dans le cas de Proximus, il y a eu des tensions avec le MR et la N-VA, le départ du CEO, Guillaume Boutin, un nouveau conseil d’administration…

Oui. Vous aurez constaté que le président du conseil d’administration (Stefaan De Clerck, ndlr) a été prolongé pour engager le nouveau CEO, je pense que c’est un gage de stabilité. Pour le reste, toutes les entreprises de télécoms ont vu leur cours de Bourse dégringoler au moment des investissements massifs dans la fibre optique. Il faut être patient.

C’est ce que Guillaume Boutin avait exprimé lors de son audition au Parlement…

Le déploiement de la fibre sera largement effectif en 2029-2030, avec 80% de couverture du territoire. Dans deux ans, je pense que l’action va remonter. Les investisseurs, pour l’instant, craignent le vide, mais cela changera. Les résultats de Proximus, présentés en février dernier, étaient intéressants. Il y a de gros défis chez bpost et Proximus, bien que différents, mais nous avons là deux outils très performants. Arrêtons de nous tirer une balle dans le pied.

“Il y a de gros défis chez bpost et Proximus, bien que différents, mais nous avons là deux outils très performants.”

Ce sont des activités stratégiques dans les deux cas ?

C’est le gouvernement qui le décidera. Cela le reste, à mes yeux, oui, en raison du service au public qu’ils rendent. Pour le reste, cela fera partie des discussions du grand soir sur la vente éventuelle de participations publiques pour alimenter le fonds Défense. Pour l’instant, nous n’en avons pas encore parlé en détail.

Il est question d’utiliser l’intégralité des dividendes de Belfius pour l’alimenter cette année.

C’est ça. Ce serait tout de même se tirer une balle dans le pied que de vendre Proximus ou bpost dans les deux ans qui viennent. Tout le monde est conscient de ça. Dans l’accord de gouvernement, il est prévu qu’il n’y aura pas de vente de participations dans des entreprises stratégiques, mais il n’y a pas encore eu une réelle réflexion à ce sujet. Je pense que c’est trop tôt, cela doit s’inscrire dans une vision à long terme. Pressé par le temps, pour le budget 2025, on a trouvé cette formule transitoire.

Vous êtes en charge de la Régie des bâtiments, est-ce une belle endormie ? J’ai lu qu’il n’y avait pas de cadastre à ce jour, n’est-ce pas incroyable ?

Si on demande s’il y a un cadastre, on vous répondra que l’on sait où sont tous les bâtiments et à quoi ils sont affectés. Heureusement ! Il y a aussi un listing qui indique où les travaux doivent être réalisés. Mon but, c’est que l’ensemble des bâtiments de l’État se retrouvent dans un seul fichier, avec leurs caractéristiques techniques, leurs contrats de location, l’éventuelle présence d’amiante, leur performance énergétique… et leur futur.

Pour l’instant, nous questionnons tous les contrats de location des administrations. Certaines avaient demandé un espace donné, mais le télétravail fait que deux étages sont vides : résilie-t-on le contrat ou installe-t-on d’autres occupants ? Nous leur demanderons leurs besoins à 10 ans.

À l’automne, un premier cadastre devrait être établi, je veux qu’il soit accessible aux parlementaires. Je souhaite ce contrôle démocratique parce que l’on dit trop souvent que la Régie n’est pas assez transparente. Je veux travailler avec le même esprit que la fonction publique : on demande aux gens de faire des économies, nous ne pouvons pas continuer comme avant.

Avez-vous le sentiment de réaliser un travail d’inventaire ?

Exactement, sur toutes mes compétences. Qui fait quoi, à quel moment, avec quels moyens ? J’essaie de voir ce dont nous disposons comme ressources et les défis auxquels nous faisons face. Il y a, par exemple, un enjeu colossal qui est la cybersécurité. S’il y a bien un domaine où je demanderai des moyens complémentaires dans le cadre du budget 2026, c’est celui-là. Si on n’a pas compris que la guerre se jouait sur cela, pour l’instant…

On vient encore de le voir avec la cyberattaque contre le SPW en Wallonie…

Exactement. C’est là que cela se joue et cela montre que les agresseurs ne sont pas des rigolos. Ce sont souvent les Russes ou les Chinois, derrière des couvertures… La protection de nos données est très stratégique, cela doit être un axe fort de mes politiques, même si les moyens peuvent venir aussi du budget défense.

La réflexion que vous avez lancée sur la suppression de l’anonymat sur les réseaux sociaux a suscité beaucoup de débats et de protestations, voire des menaces à votre encontre. Vous vous y attendiez ?

Cette proposition figure dans l’accord de gouvernement et c’est nous qui avons bataillé pour que ce soit le cas. Certains se demandent avec quoi je viens, mais c’est un vrai enjeu de société. Ce qui ne peut pas se passer dans la vie physique ne peut pas se passer en ligne : voilà ma limite ! Pouvez-vous courir dans la rue et frapper tout le monde ? Non, tout de même ! Il en va de même pour les messages de haine.

Je savais que ce serait un dossier sur lequel j’aurais davantage de contradicteurs, mais je ne m’attendais pas à ce que cela prenne des proportions pareilles. Est-ce illusoire d’espérer mettre cela en œuvre ? Je ne le pense pas. En tant que députée, j’étais déjà auteure de la proposition pour lutter contre le revenge porn : on me disait déjà que ce ne serait pas possible et on y est parvenu grâce à un système de cascade dans les responsabilités entre l’auteur, la plateforme et l’opérateur.

Comment agir, dans le cas de l’anonymat ?

Penser que tout nous échappe et que l’on doit rester les bras ballants, c’est se tromper. Le Digital Services Act est un règlement européen visant à empêcher les contenus illégaux. C’est désormais un outil qui nous permet d’avoir une menace contre les plateformes qui les hébergent. Si elles ne les enlèvent pas, elles risquent une amende allant jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires annuel mondial. Cela prouve que l’on peut agir.

En ce qui concerne l’anonymat, on me fait deux critiques principales. La première concerne la liberté d’expression. Dans le projet que j’imagine, il serait toujours possible d’utiliser un pseudonyme pour émettre une opinion. Mais si cela dégénère, on doit savoir qui vous êtes. Le deuxième risque, me dit-on, concerne le respect des données. Mais les plateformes en disposent déjà d’un grand nombre et le fait d’utiliser une authentification numérique telle que itsme ne génère pas un vol de données : on vérifie qui vous êtes, c’est tout.

Ces arguments ne tiennent guère. Mais on peut évidemment avoir des réserves et je me suis engagée fermement à ce que le Parlement soit saisi de ces questions dès l’automne prochain. Ces auditions et ces recommandations, j’en tiendrai compte dans la législation à venir.

“Dans le projet que j’imagine, il serait toujours possible d’utiliser un pseudonyme pour émettre une opinion en ligne, mais si cela dégénère, on doit savoir qui vous êtes.”

Mais le cap est connu, n’est-ce pas ?

Bien sûr. Cela figure dans l’accord de gouvernement que je dois exécuter.

Avez-vous reçu des menaces au point de devoir être protégée ?

Vu les milieux d’où cela venait, c’était inquiétant. Il y a eu des commentaires menaçants sur mes réseaux sociaux. En substance, on ne demandait de “ravaler mon projet, sinon on me le ferait avaler par la force”. Cela ne change en rien ma détermination. Je ne capitulerai pas ! J’ai par ailleurs été affectée par de nombreuses personnes qui m’ont contactée pour me demander de tenir bon, après avoir vécu des drames liés au harcèlement en ligne. Nous sommes dans le bon, je ne vais pas me laisser impressionnée par des messages haineux. Certains me demandaient si je n’avais rien d’autre à faire que de m’occuper de cela. Mais je m’occupe de bien d’autres choses, d’une part, et je pense qu’il s’agit d’un enjeu majeur, d’autre part.

Profil
• 1973 : Naissance le 12 août à Liège
• 1996 : Licenciée en droit de l’université de Liège
• 1997-2012 : Échevine à Aywaille
• 2007-2008 : Cheffe de cabinet du ministre de l’Emploi
• 2014 : Députée fédérale
• 2025 : Ministre fédérale de l’Action et de la Modernisations publiques

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