Trois leçons pour la prochaine pandémie: intervenir plus vite, des confinements moins stricts

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Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

En pleine crise du Covid, l’implosion du système de santé a pu être évitée au prix de dommages économiques considérables. Tijs Alleman, affilié à l’UGent et à l’Université Johns Hopkins, a cherché à déterminer quelle stratégie politique permettrait de mieux affronter économiquement la prochaine pandémie, tout en ne lâchant rien sur la santé publique.

Armés de modèles prédisant le nombre de contaminations, les décideurs ont agi de manière drastique pour aplatir les courbes de contamination. En raison de l’intervention stricte du gouvernement en mars 2020, le PIB belge a chuté de 5,4 %, le chômage temporaire a fortement augmenté et le gouvernement a dû accorder des dizaines de milliards d’euros d’aide aux entreprises pour éviter davantage de faillites

“L’accent était principalement mis sur la limitation de l’épidémie. Sauf que les modèles négligeaient l’impact socio-économique de mesures telles qu’un confinement”, selon Tijs Alleman. Cet affilié à la Faculté des bioingénieurs de l’UGent et à l’École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg, basée à Baltimore aux États-Unis, a lui aussi développé des modèles pendant la pandémie.

La volonté des décideurs de protéger la santé publique était, bien sûr, logique. Car en plus des décès directs dus au Covid, s’ajoutaient les dommages moins visibles comme le covid long et le report d’opérations et de traitements. “Ces dommages indirects peuvent être mesurés en termes d’années de vie qualitative perdues. Une année de vie qualitative étant l’équivalent d’une année vécue en parfaite santé. Nous estimons qu’en 2020 plus de 143 000 années de vie qualitative ont ainsi été perdues. La moitié est imputable au report d’opérations, un quart aux décès dus au covid et un autre quart au covid long.

“Attribuer une valeur monétaire à une année de vie qualitative est délicat, mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime tout de même que l’on peut la chiffrer dans une fourchette allant de 1 à 3 fois le PIB par habitant. La perte de 143 000 années de vie qualitative correspondrait donc à un dommage de 5,8 à 17,3 milliards d’euros, soit 1,1 à 3,2 % du PIB. Ce dommage est tout aussi réel que les conséquences économiques et ne peut en aucun cas être sous-estimés”, explique Tijs Alleman.

Pour déterminer quelles mesures peuvent limiter ces dommages à la santé publique sans pour autant plomber l’économie, Tijs a développé un modèle qui peut à la fois chiffrer la propagation de la maladie et les dommages économiques, tout en tenant compte des changements de comportement complexes de la population.

De ce modèle, il ressort trois recommandations qui devraient permettre de contrôler la prochaine pandémie de la manière la plus efficace possible.

1: Réagir le plus rapidement possible

“Lors d’une pandémie avec une courbe d’infection exponentielle, il est crucial que le gouvernement reconnaisse rapidement la gravité de la situation et avertisse la population. Nous avons tous tendance à sous-estimer une menace abstraite comme une pandémie. Or réagir un ou deux jours plus tôt fait toute la différence”, explique Tijs Alleman.

“La Belgique a instauré un confinement le 15 mars 2020. Si ce confinement avait été déclaré le 12 mars, il aurait diminué de moitié les admissions en soins intensifs. A contrario, si la Belgique avait instauré le confinement le 18 mars, nous aurions connu des situations similaires à Bergame. Concrètement, et même avec nos mesures très strictes, notre système de santé aurait cédé. Le confinement du 15 mars est donc arrivé juste à temps. Autre avantage : plus vous agissez rapidement pour ralentir la croissance exponentielle de la courbe d’infection, moins les mesures doivent être drastiques pour protéger le système de santé et feront donc moins de  dommages économiques.”

“UN CONFINEMENT EFFICACE CONSISTE EN DU TÉLÉTRAVAIL OBLIGATOIRE LORSQUE C’EST POSSIBLE, UNE FERMETURE DE COURTE DURÉE DES ÉCOLES PENDANT DEUX SEMAINES ET LA FERMETURE D’UN NOMBRE LIMITÉ DE SECTEURS, TELS QUE L’HORECA, LE SECTEUR DES LOISIRS ET DES ÉVÉNEMENTS”
Tijs Alleman, UGent

2: Des confinements courts et doux

Le premier confinement au printemps 2020, où toutes les activités économiques étaient interdites lorsque la distance ne pouvait pas être garantie, était assez drastique. “En pratique, cela équivalait à la mise à l’arrêt de l’économie entière, à l’exception des activités essentielles. C’était une mesure très efficace pour casser la courbe d’infection, mais coûteuse économiquement. Or il s’avère avec le recul que des confinements plus doux préservent tout autant le système de santé pour un coût économique bien inférieur.

“Un confinement efficace consiste en du télétravail obligatoire (lorsque c’est possible), une fermeture de courte durée des écoles pendant deux semaines et la fermeture d’un nombre limité de secteurs, tels que l’horeca, le secteur des loisirs et des événements. Dans ce scénario de confinement doux, la baisse maximale du PIB aurait été de seulement 15 % au deuxième trimestre 2020, contre 24 % avec un confinement strict. Et dans les deux cas, un effet pratiquement similaire sur la courbe d’infection”, déclare Tijs Alleman.

Les décideurs doivent également tenir compte du comportement complexe de la population lors d’une pandémie. Ainsi, il est contre-productif de « maintenir les confinements plus longtemps que nécessaire”, déclare Tijs Alleman. “Un confinement trop long et trop sévère pour écraser complètement la courbe d’infection entraînera des frictions avec la population. Les gens veulent retrouver une vie normale et acceptent de moins en moins les mesures toujours en place. Ce qui fait que lorsque les mesures sont finalement assouplies, cela ravive rapidement la pandémie. Cela conduit même à un nouveau pic, plus élevé encore, du nombre d’hospitalisations.”

“Notre comportement individuel et collectif contribue à ce que les pandémies se déroulent par vagues. Au début d’une vague, les gens sous-estiment souvent la gravité de la situation, ce qui favorise la propagation exponentielle du virus. Cependant, après le pic du nombre d’hospitalisations, la peur persiste trop longtemps chez les individus. Nous continuons alors à adapter volontairement notre comportement pour éviter les contaminations, affaiblissant ainsi l’épidémie. Au creux de la vague, nous relâchons à nouveau notre vigilance et le cycle peut se répéter. C’est ainsi que se produit cette oscillation caractéristique du nombre de contaminations. Les décideurs doivent prendre en compte le fait que l’acquisition d’une immunité de groupe nécessite du temps et que notre comportement contribue à plusieurs vagues de contaminations. La planification à long terme est donc essentielle”, déclare Tijs Alleman.

3: Ne rien faire n’est pas une option (surtout en Belgique)

Une adaptation volontaire du comportement de la population suffit-elle à contrôler une pandémie ? En d’autres termes, les confinements sont-ils nécessaires ? La Suède a appliqué avec succès une stratégie basée sur l’adaptation volontaire du comportement.

“Des adaptations précoces et volontaires du comportement sont préférables à des adaptations tardives et forcées avec des fermetures d’activités économiques par le gouvernement “, explique Tijs Alleman. “Mais l’approche suédoise n’aurait probablement pas fonctionné en Belgique. La densité de population est tout simplement plus faible en Suède et le gouvernement suédois a informé rapidement les citoyens sur la gravité de la situation. Il est également possible que les Suédois aient mieux suivi les conseils gouvernementaux, car ils ont plus confiance en leur gouvernement, mais cela ne peut pas être prouvé.

Quoi qu’il en soit, en Belgique, une adaptation sur base volontaire du comportement n’aurait probablement pas suffi et des adaptations forcées du comportement, comme la fermeture de l’horeca, étaient donc nécessaires pour préserver le système de santé.

C’était d’autant plus nécessaire que ne rien faire a également un coût, qui peut même être plus élevé que celui d’un confinement. Si les gens voient que les hôpitaux ne peuvent plus accueillir de patients, ils adaptent volontairement leur comportement de peur d’être contaminés. Ce qui entraîne également des dommages économiques. En effet, la grande majorité de la population n’ira pas joyeusement s’asseoir en terrasse lorsqu’un nouveau virus dangereux se propage.  

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