Trichet : “La crise la plus grave depuis près d’un siècle !”

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Les Etats n’ont rien imposé à la BCE. C’est au contraire elle qui a ouvert les yeux des gouvernements européens, se défend Jean-Claude Trichet dans une interview accordée au magazine allemand “Der Spiegel”. Interview que vous pouvez télécharger (en anglais) sur Trends.be !

Lorsque la Banque centrale européenne a annoncé qu’elle allait acheter des obligations d’Etat, de nombreux commentateurs ont estimé qu’elle avait cédé aux injonctions des Etats et donc perdu sa sacro-sainte indépendance. Son président Jean-Claude Trichet s’en défend avec véhémence, rappelant ses nombreuses marques d’indépendance des dernières années. Il va plus loin en affirmant que c’est la BCE qui a pris conscience de la gravité de la situation sur les marchés, au début de ce mois, et convaincu les Etats de la zone euro qu’il fallait agir vite et fort.

La BCE donne l’alerte

Ce programme de rachat d’obligations souveraines, ou securities markets program, n’entame-t-il pas la crédibilité de la BCE ? “Ridicule”, rétorque Jean-Claude Trichet, qui rappelle le refus de la BCE d’abaisser les taux en 2004 et le relèvement qu’elle a opéré en 2005, à chaque fois contre le souhait des Etats. La banque centrale a toujours défendu le Pacte de stabilité et de croissance, “y compris contre le chancelier allemand de l’époque”, précise malicieusement le président. “Qui a été faible au cours des derniers mois ? Ce n’est pas la BCE, mais bien les gouvernements, avec leurs énormes dettes.”

La responsabilité de la Banque centrale européenne est d’être continuellement en alerte, explique Jean-Claude Trichet. Il rappelle que la BCE fut la première à avoir correctement évalué ce qui se passait sur les marchés des capitaux en été 2007, quand apparurent les premières turbulences, et à agir promptement : le 9 août, elle ne mit que quelques heures à abreuver le marché avec 95 milliards d’euros de liquidités. Au début mai dernier, c’est la BCE qui a donné l’alerte et appelé les gouvernements européens à agir très rapidement. “La situation s’était détériorée le jeudi 6 mai dans l’après-midi et cela s’est poursuivi le vendredi. Un certain nombre de marchés ne fonctionnaient plus correctement.” Plusieurs indicateurs techniques, ainsi que la situation sur le marché interbancaire, indiquaient que de sévères tensions gagnaient du terrain, signale le président de la BCE, qui précise en avoir averti les chefs de gouvernement vendredi en soirée. “La situation ressemblait un peu à celle de la mi-septembre 2008, après la faillite de Lehman Brothers. Depuis bientôt deux ans, on a vécu et on vit encore des moments extrêmement graves. C’est la situation la plus difficile depuis la Seconde Guerre mondiale, peut-être même la première”.

“Les Etats savent maintenant à quoi s’en tenir”

L’achat d’obligations d’Etat par la BCE signifie l’injection d’énormes liquidités dans le marché, ce qui constitue un important vecteur d’inflation… Il n’y a aucune crainte à avoir sur ce plan, se défend Jean-Claude Trichet : “La Banque d’Angleterre et la Federal Reserve ont choisi une politique de quantitative easing, c’est-à-dire qu’elles ont acheté des obligations, de manière à fournir au marché autant de liquidités que possible. Ce que nous faisons aujourd’hui est totalement différent, car nous allons retirer cette liquidité supplémentaire.” A noter que la BCE a très rapidement joint le geste à la parole, puisqu’elle a lancé un appel aux dépôts des banques lundi dernier. Et le président de la BCE fait part de son credo à ce propos : “L’inflation est destructrice pour les sociétés et la démocratie. C’est une taxe sur les pauvres et les faibles.”

Un mot encore sur la crise des dernières semaines. “En 2007-2008, les banques et les marchés étaient sur le point de s’effondrer, ce qui a généré un support massif des Etats. Aujourd’hui, c’est la signature de certains gouvernements qui est mise en doute. Avec le même danger de contagion. Jean-Claude Trichet insiste sur la nécessité d’une meilleure gouvernance dans la zone euro. “On doit sensiblement améliorer la prévention des mauvaises conduites et s’assurer de l’implémentation effective des recommandations faites aux Etats. Il faut aussi des sanctions réelles quand un Etat enfreint le Pacte de stabilité. La BCE plaide pour des réformes radicales et je vais expliquer ceci au groupe de travail présidé par Herman van Rompuy.” Il est vrai que ces Etats ont aujourd’hui compris qu’ils pouvaient aussi être sanctionnés par les marchés. “Ils savent maintenant à quoi s’en tenir”, observe le président de la BCE.

Guy Legrand

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