Thomas Dermine: “Le plan de relance dessine la Belgique de demain”

Thomas Dermine © Belga Image
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Le secrétaire d’Etat (PS) défend la cohérence et la vision à long terme du plan de relance, pour lequel la demande de versement des budgets promis vient d’être introduite auprès de la Commission. Mais Thomas Dermine pointe un nouveau péril pour ces 123 projets: les pénuries de main-d’œuvre.

Le gouvernement fédéral va introduire cette semaine auprès de la Commission européenne la demande de versement de la première tranche de 742 millions d’euros pour son plan de relance. La Belgique a déjà reçu un préfinancement de 760 millions et, au début de l’année prochaine, elle introduira déjà ses demandes pour le versement des deuxième et troisième tranches. A la fin de la législature, la Belgique en sera ainsi à 3 milliards sur les 5,3 milliards de financement européen attendus.

“Nous aurons ainsi rattrapé notre retard, se réjouit le secrétaire d’Etat à la Relance Thomas Dermine (PS). Pouvoir donner ainsi une clean sheet à la fin de la législature, c’était mon objectif personnel. Aujourd’hui, nous avons près de 1.000 chantiers ouverts aux quatre coins du pays.” Il assure que plus de 75% des milestones fixés pour la période 2021-2024 sont atteints ou en voie de l’être, en dépit des difficultés d’approvisionnement et les pénuries de main-d’œuvre qui frappent le secteur de la construction. “Franchement, les gestionnaires de chantier ont toute mon admiration pour mener cela avec finalement très peu de retard”, confie Thomas Dermine.

“Si nous avions travaillé de manière classique, nous n’aurions jamais amené d’aussi grands projets.”

Ces fameux chantiers, que concernent-ils? On ne va pas vous refaire ici le détail des 123 projets d’investissement mais rappeler que 49% des budgets aiguilleront notre tissu économique vers un fonctionnement plus durable (c’est le deuxième plan de relance le plus vert après celui de la Finlande) et 28% serviront sa digitalisation.

“Faire une transition, c’est construire des infrastructures, des alternatives à la mobilité individuelle, c’est rénover massivement le logement, explique le secrétaire d’Etat. Pour moi, on ne peut pas dissocier la question du climat de celle de l’investissement public. Celui-ci représente désormais 3,5% du PIB. Elle est là, la crédibilité de notre message sur la transition.”

Thomas Dermine décrit son approche comme “constructiviste” et la trouve bien plus efficace que les visions plus comportementalistes ou technologistes de ses partenaires gouvernementaux. Mais peut-être ces différentes visions sont-elles vouées à se combiner? Les infrastructures serviront en effet à développer et utiliser des innovations technologiques, lesquelles nous aideront à modifier nos comportements pour les rendre plus vertueux.

Liège en base arrière… du port d’Anvers

Assez parlé de chiffres et de visions théoriques… Le secrétaire d’Etat nous sort une carte schématique de la Belgique post-plan de relance, confectionnée cet été par son cabinet. “Le plan de relance dessine la Belgique de demain, insiste-t-il. Et je veux rendre ce demain désirable pour nos concitoyens, avec une série d’éléments concrets.” Et il se lance avec enthousiasme dans la description de l’archipel photovoltaïque flottant en mer du Nord, des investissements pour devenir “la plaque tournante de l’hydrogène”, les champions de la capture du carbone et de la production d’acier vert (ArcelorMittal à Gand) ou les premiers à installer un four dédié au recyclage de composants légèrement radioactifs, etc.

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“La Belgique de demain, c’est un port d’Anvers conforté comme porte d’entrée, avec l’installation des plus grosses infrastructures de scanning des conteneurs au monde, poursuit Thomas Dermine. La Belgique demain, c’est une meilleure mobilité autour de Bruxelles avec des axes cyclistes pénétrants depuis la Flandre et la Wallonie. C’est un territoire mis en valeur grâce à la création de parcs nationaux. Tout cela, nous l’avons dessiné ensemble, nous avons vraiment fait le pari du fédéralisme de coopération.”

L’échelon fédéral ne s’est en effet pas contenté d’additionner les plans de chaque Région mais a pleinement joué son rôle d’ensemblier de dispositions cohérentes entre elles autant que possible. Un exemple frappant est celui de la mise à niveau du canal Albert à Liège pour permettre l’accès aux porte-conteneurs à quatre niveaux. En 2026, la Cité ardente sera ainsi une sorte de base arrière du port d’Anvers.

“Rien que ça, c’est une bombe dans notre paysage institutionnel”, s’exclame Thomas Dermine. Et ce n’est pas tout: le port d’Anvers est en concurrence avec Dunkerque et Rotterdam pour héberger l’accès au pipeline de la mer du Nord chargé d’acheminer le CO2 capturé dans nos usines vers les champs gaziers des côtes norvégiennes où il sera enfoui. Pour avoir une masse critique suffisante pour justifier que ce pipeline parte d’Anvers (et que les futurs investissements industriels y soient donc concentrés), il faut inclure le CO2 provenant des gros émetteurs que sont les cimenteries et fours à chaux de Wallonie.

“On pousse donc Fluxys à financer les dorsales qui connectent l’axe wallon à Anvers, à l’opposé donc d’un narratif de division du pays, souligne Thomas Dermine. On a énormément à gagner à être interconnectés. Si nous avions travaillé de manière classique, en répartissant d’abord les enveloppes entre les entités et en construisant ensuite les projets, nous n’aurions jamais amené des projets de ce type. Les Régions ont besoin les unes des autres. Aujourd’hui, des contraintes spatiales, environnementales et de marché de l’emploi handicapent la croissance flamande. La Wallonie peut être une partie de la solution à ces contraintes. Plus largement, elle reste le premier client de la Flandre et de ses entreprises.”

“J’ai été frappé par la méconnaissance de la Wallonie en Flandre et vice-versa.”

Le plan de relance ne dessinerait donc pas seulement la Belgique économique de demain mais aussi la Belgique institutionnelle… Le secrétaire d’Etat rame ainsi à contre-courant d’une évolution qui voit les liens entre le Nord et le Sud se distendre au fil du temps. “Quand je suis arrivé au gouvernement fédéral, j’ai été frappé par la méconnaissance de la Wallonie en Flandre et vice-versa”, confie ce Carolo qui a effectué une partie de sa scolarité en Flandre. Cela lui a donné l’idée d’un livre Wallonie-Flandre, par-delà les clichés, qui sortira, dans les deux langues le 25 octobre prochain.

Le calendrier européen pousse aux réformes

La machine à concevoir du plan de relance ne s’arrête pas forcément ici. Pour percevoir les financements européens promis, la Belgique a dû (légèrement) redessiner sa politique de pension. “D’un point de vue strictement juridique, ça peut poser question car l’Europe s’immisce dans des domaines de politiques intérieures des Etats où elle n’a pas de compétence d’après les traités, explique Thomas Dermine. Cela étant, formellement, l’Europe n’impose rien à la Belgique: elle a juste enfermé dans un timing des engagements que nous avions pris nous-mêmes dans notre accord de gouvernement. C’est bien pour cela que nous avons eu la réforme des voitures de société si tôt dans la législature et que la réforme fiscale a pu être reportée. Si les libéraux n’avaient pas tout fait pour que le milestone ‘réforme fiscale’ soit pour après 2024, le projet de Vincent Van Peteghem aurait probablement atterri cet été comme on a atterri sur la réforme des pensions.” Ici, le plan de relance ne redessine rien mais il oblige à respecter les dessins antérieurs, ce qui n’est pas rien.

“Le plus gros risque de retard, ce sont les pénuries de main-d’œuvre.”

Il y a toutefois un autre volet de la politique intérieure belge que l’exécution du plan de relance pourrait bien conduire à redessiner: la politique de l’emploi. Ou plutôt “les” politiques de l’emploi puisque la compétence est éclatée entre les niveaux de pouvoir. Si le plan de relance semble parvenir à éviter les pièges de la lasagne institutionnelle belge, il pourrait en effet se retrouver coincé par un autre piège: celui des pénuries de main-d’œuvre. A quoi cela sert-il d’imaginer toutes ces infrastructures de la Belgique de demain si nous ne disposons pas du personnel pour construire et ensuite faire fonctionner ces infrastructures? Rappelons qu’il y a actuellement quelque 200.000 postes vacants dans les entreprises belges. Thomas Dermine n’en fait pas mystère: “le plus gros risque de retard pour le plan de relance, ce sont les pénuries de main-d’œuvre”.

Mais avec son approche décidément très optimiste des choses, il veut avant tout voir dans cette situation “une opportunité pour le secteur de la construction de s’ajuster”. “Sur un marché du travail, il y a des questions d’offre et de demande, explique-t-il. Un secteur comme celui de la construction doit s’interroger sur son manque d’attractivité. Est-ce dû à des questions d’horaires, de conditions de travail, de salaires?”

Le secrétaire d’Etat pointe également la très faible féminisation du métier. Il y aurait certes 30% de femmes dans les entreprises de construction mais à peine 1% sur les chantiers. “Comment peut-on se plaindre de problèmes de recrutement quand on ne recrute que dans la moitié de la population? , ironise Thomas Dermine. Il y a 20 ou 30 ans, il fallait porter des sacs de 50 kg de ciment sur les chantiers. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies et la digitalisation, ces contraintes physiques disparaissent et la plupart des tâches peuvent être effectuées par des femmes. J’ai visité une dizaine de chantiers du plan de relance ces derniers jours. Mais je n’y ai pas vu une femme.” En phase avec la ligne de son parti, l’homme plaide aussi pour l’emploi de main-d’œuvre immigrée, comme lors de la reconstruction de l’après-guerre.

Sur le conseil de… Johnny Hallyday

Enfin, il y a aussi la voie de l’activation des demandeurs d’emploi. Thomas Dermine n’est pas partisan d’une politique plus musclée à cet égard – “l’activation forcée, ça n’a jamais marché nulle part” – mais convient qu’il y a là un réservoir utile de main-d’œuvre. Pour l’attirer, il fait appel à… Johnny Hallyday et sa fameuse formule “l’envie d’avoir envie”.

“L’enjeu du secteur est bien celui-là: donner envie, dit-il. Plein de gamins, et de gamines, veulent du sens dans leur boulot. Hé bien, les héros de la transition climatique, ce sont les travailleurs de la construction, celles et ceux qui sont à 6 h du matin sur les chantiers de rénovation énergétique des bâtiments, qui installent des nouvelles chaudières, etc. C’est cela la transition, et pas seulement rouler à vélo et manger bio.”

Et pour donner cette envie, il regrette que l’enseignement obligatoire soit géré par un niveau de pouvoir “relativement éloigné des préoccupations socioéconomiques” (lisez: la Fédération Wallonie-Bruxelles). “Si les ministres de l’Economie et de l’Enseignement étaient plus souvent assis côte à côte, il y aurait probablement une meilleure articulation entre leurs politiques, pense Thomas Dermine. Je ne dis pas cela pour le plaisir de faire de l’institutionnel mais à partir du moment où cela détériore les perspectives d’émancipation de jeunes générations, que l’on est en train de rater des trains dans l’orientation ou la formation et que cela ralentit notre développement économique et la transition climatique, oui, cela me préoccupe.”

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