“Les étoiles s’alignent pour une taxe des millionnaires” : le PTB s’est-il une nouvelle fois emballé trop vite ?
“Taxer les grands patrimoines pourrait rapporter 4,7 milliards d’euros”, titre une partie de la presse ce matin, sur base d’une publication du Bureau fédéral du Plan (BFP). Le PTB a immédiatement sauté sur l’information, ajoutant qu’il n’y avait désormais “plus d’excuses” et qu’une telle taxe était “parfaitement faisable”. Sauf que le BFP s’est empressé de contredire les communistes.
Mardi, le Bureau fédéral du Plan présentait sa méthodologie pour chiffrer les propositions des partis politiques, à quelques mois des élections. Après 2019, c’est la 2ᵉ fois que le BFP se livre à cet exercice. Un exercice d’évaluation à titre indicatif, qui n’est évidemment pas une science exacte, précise d’emblée l’organisme fédéral.
En 2019, le BFP n’avait pu déterminer l’impact d’une taxe sur les grands patrimoines. Cette fois-ci, sur base d’une étude commanditée à l’ULB, le Bureau du Plan a pu construire deux outils (Hermes et QUEST) pour établir “un ordre de grandeur” de ce que pourrait rapporter cette taxe qui viserait les 5% les plus riches.
Deux scénarios ont été envisagés :
- L’instauration d’un impôt sur le patrimoine net (IPN) en trois tranches à partir d’1 million d’euros, avec des taux de 1%, 2% et 3% au-delà de 3 millions d’euros. Gain engrangé : jusqu’à 4,7 milliards d’euros.
- L’instauration d’un IPN en quatre tranches à partir de 1,25 million d’euros, avec des taux de 0,4%, 0,8%, 1% et 1,5% au-delà de 5 millions d’euros. Gain engrangé : entre 2,9 et 3,1 milliards d’euros.
Le PTB saute de joie
“La nouvelle étude du Bureau fédéral du Plan va clouer le bec à la droite et à leurs arguments pseudo-techniques : elle confirme que la taxe des millionnaires du PTB est possible et rapportera au moins 4,7 milliards d’euros par an”, écrit Sofie Mercks (PTB) dans la foulée. “Les étoiles s’alignent pour une taxe des millionnaires. Nous avons longtemps dû aller à contre-courant, mais aujourd’hui cette proposition est un point indispensable de l’agenda politique”, se réjouit la cheffe de groupe du PTB, dont la “taxe sur les millionnaires” est un point central du programme.
Sauf que le Bureau fédéral du plan a immédiatement réagi à cette assertion. Si leurs deux scénarios prennent effectivement en compte la réponse potentielle des contribuables concernés (évasion fiscale ou évitement fiscal), le BFP rappelle que l’étude initiale de l’ULB souligne aussi “les risques liés à l’implémentation de l’impôt sur le patrimoine net (IPN), à savoir des coûts administratifs importants et le risque de double, voire de triple imposition du patrimoine des ménages”. Il faut y ajouter les complications liées à la lasagne institutionnelle belge.
Le BFP complète que le chiffre le plus optimiste, à savoir 4,7 milliards d’euros, correspond à l’effet immédiat d’une telle taxe, “qui ne tient pas en compte des effets macro-économiques négatifs sur les investissements, l’entrepreneuriat et la croissance”. Des effets négatifs qui plomberont la base imposable et in fine les recettes fiscales dans les caisses de l’État.
En outre, le PTB commet une nouvelle fois une erreur d’interprétation des chiffres. Sa taxe sur les millionnaires ne vise que les “1% les plus riches de sorte d’éviter de toucher la classe moyenne”. Or, le BFP rappelle que “le chiffre de 4,7 milliards correspond à un scénario illustratif de taxation des patrimoines les 5% plus élevés”.
Last but not least : le Bureau du Plan insiste sur le fait que la “faisabilité” d’un tel IPN est tout sauf évidente. Car il n’y a pas de cadastre du patrimoine en Belgique au niveau de chaque ménage. Le risque ici aussi, comme le précise l’étude de l’ULB, c’est de fixer un seuil. Si on vise trop haut, on encourage une réponse forte des contribuables les plus aisés par de l’évasion ou de l’évitement fiscal. Si on vise trop bas, on risque de toucher une partie de la classe moyenne.
Bref, le BFP prend pas mal de précautions et rappelle que l’évaluation d’une telle taxe se fait à titre indicatif et que la littérature scientifique n’est pas pléthorique, ce qui rend le tout compliqué.
Le chiffrage des programmes politiques
Le Bureau Fédéral du Plan fait face à un programme chargé pour les prochains mois. Leur staff technique de 75 personnes s’apprête à analyser et chiffrer pas moins de 360 mesures, du 15 février au 7 mai, date butoir à laquelle les partis doivent déposer leurs propositions, avant les élections du 9 juin.
Le BFP dit avoir tiré les leçons de leur première évaluation, en préambule de la précédente législature. Mais c’est un exercice qui reste difficile et rare à travers la planète. Seuls les Pays-Bas, le Canada et l’Australie s’y emploient.
L’organisme fédéral rappelle en outre qu’il est impossible d’évaluer l’ensemble des programmes politiques. C’est pourquoi le BFP s’attardera plutôt sur des mesures ciblées, basées sur huit catégories différentes : la fiscalité, les soins de santé, la protection sociale, l’environnement, le changement climatique, la mobilité et l’énergie.
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