Secret bancaire: “Nous ne pouvons pas laisser passer cet affront à notre droit au respect de la vie privée”

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Si rien ne bouge, vos coordonnées bancaires pourraient se retrouver sur la place publique. C’est le message des avocates Charlotte Lardenoit et Nele Somers. Les deux femmes en appellent à la Cour constitutionnelle pour que notre vie privée reste protégée.

En Belgique, le secret bancaire s’érode depuis des années. Le premier pas vers le registre des fortunes déguisé dont nous parlons aujourd’hui remonte à plus de dix ans. En avril 2011, la Banque nationale de Belgique a été chargée de mettre en place un point de contact central (PCC). Il s’agit d’un registre dans lequel toutes les banques belges doivent inscrire les comptes et les contrats financiers de leurs clients. Depuis l’année fiscale 2015, les contribuables doivent enregistrer leurs comptes étrangers auprès du PCC et les déclarer dans leur déclaration à l’impôt des personnes physiques.

“Personne n’a envie que tout le monde sache combien renferme son compte”

Plusieurs mesures ont été adoptées sous la pression internationale, suite à l’intensification de la lutte contre le financement du terrorisme, le blanchiment d’argent et la fraude fiscale. Avec la loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), les États-Unis ont obligé le reste du monde à les aider à traquer les fraudeurs fiscaux américains. Le Common Reporting Standard (CRS) de l’OCDE force aujourd’hui la majeure partie des pays du monde à s’échanger automatiquement des données fiscales. Les pays qui ne participent pas à cet échange se retrouvent sur la liste noire des paradis fiscaux.

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Cependant, avec la loi-programme du 20 décembre 2020, le législateur belge est allé un peu trop loin, estiment les avocates Charlotte Lardenoit et Shana Convents du cabinet Sansen International Tax Lawyers et Nele Somers du cabinet Artes. Ensemble, elles ont introduit une pétition auprès de la Cour constitutionnelle pour demander l’annulation du chapitre quatre de cette loi. Ce chapitre réglemente la transmission des soldes de comptes et des contrats financiers au point de contact central.

Vous ne le savez peut-être pas, mais les caméras sont déjà braquées sur vos actifs. Depuis le 31 décembre 2020, les banques belges doivent régulièrement immortaliser tous les extraits de comptes. Au plus tard le 31 janvier 2022, votre banque doit informer le point de contact central du montant de vos comptes, du montant de vos emprunts et des montants de vos contrats d’assurance-vie. Aujourd’hui, le registre ne contient que les numéros de compte et l’identité des titulaires de compte et des éventuels mandataires. Si vous souhaitez soutenir la campagne, rendez-vous sur www.houjegeldprive.be.”

“Il s’agit d’une modification subtile de la loi, mais dont les conséquences sont considérables”

“Il s’agit d’une modification subtile de la loi, mais dont les conséquences sont considérables”, explique Charlotte Lardenoit. “En cas de soupçon de fraude, le fisc peut déjà demander à la banque combien d’argent se trouve sur vos comptes. Dans la pratique, on constate que les agents du fisc n’attendent pas toujours des indices de fraude fiscale ou des signes indiquant que vos habitudes de dépense ne correspondent pas aux revenus que vous avez déclarés pour lancer une enquête. Ils contournent parfois le contribuable pour poser des questions à la banque concernant les comptes.”

Aujourd’hui, dans le cadre d’une telle enquête, l’administration fiscale doit suivre une procédure établie qui protège la vie privée du contribuable. “L’inspecteur doit d’abord demander au contribuable combien d’argent se trouve sur son compte. Ce n’est que si le contribuable refuse de coopérer que l’administration fiscale peut demander ces informations aux banques. Et le contribuable doit être tenu au courant”, explique Charlotte Lardenoit. Les contribuables peuvent donc signaler tout abus de la part du fisc.

Puisque les soldes des comptes sont repris dans le registre, les autorités fiscales ne doivent plus frapper à la porte des banques et elles risquent de ne pas notifier les contribuables. “En théorie, le contribuable ne devrait pas être oublié, mais qui va vérifier ? Aucun mécanisme de contrôle n’est prévu à partir du 31 janvier 2022. En 2019, le PCC a été consulté 3119 fois par les fonctionnaires. Le secret bancaire n’a été levé que 1104 fois, alors que la charge de la preuve nécessaire en cas de soupçon de fraude est la même dans les deux cas”, explique Charlotte Lardenoit. “Il se pourrait qu’un contrôleur fiscal nous rende visite l’année prochaine, à vous ou à moi, et qu’il ait déjà regardé à l’avance combien d’argent se trouve sur notre compte et combien de dettes nous avons, sans que nous n’en sachions rien”, explique Nele Somers. “C’est une atteinte à la vie privée qui est inutile et disproportionnée par rapport aux objectifs.”

Le monde à l’envers

De nombreuses personnes peuvent consulter le registre. Outre les inspecteurs des impôts, les notaires utilisent régulièrement le registre pour les déclarations de succession. Les services de police, le parquet et les juges d’instruction peuvent également consulter les données du registre sous certaines conditions. “Personne n’a envie que tout le monde sache combien renferme son compte”, ajoute Nele Somers. “Il suffit d’une fuite de données ou d’un inspecteur négligent pour que vos coordonnées bancaires ne soient rendues publiques.” Le risque est réel et disproportionné par rapport aux avantages pour les autorités fiscales, estiment les avocates.

“Nous ne voulons pas d’un état policier, où le gouvernement se méfie de ses citoyens”

Le droit au respect de la vie privée n’est pas absolu, mais selon les avocates, le gouvernement ne peut en aucun cas justifier cette violation. La crise sanitaire a été utilisée pour faire valoir que chacun doit contribuer au financement des soins de santé et à la relance de l’économie belge. Le transfert des soldes au point de contact central devrait permettre d’éviter des “procédures de recouvrement coûteuses” et garantir “un système fiscal plus équitable”. “Ni les travaux préparatoires ni le texte légal lui-même n’expliquent comment l’extension du point de contact central aux soldes et aux montants globalisés des contrats financiers contribuera à cela”, souligne Charlotte Lardenoit. Les avocates se sentent soutenues par l’avis négatif rendu par l’Autorité de protection des données concernant le projet de loi, avançant le fait que les arguments du gouvernement étaient trop vagues.

“Nous ne pouvons pas laisser passer cet affront à notre droit au respect de la vie privée. Avant que vous le sachiez, nous vivrons dans une culture du contrôle. Nous ne voulons pas d’un état policier, où le gouvernement se méfie de ses citoyens”, déclare Charlotte Lardenoit. “Si remettez cette loi en cause, on vous demande tout de suite ce que vous avez à cacher.” Pour les avocates, c’est le monde à l’envers. Les citoyens ont droit au respect de leur vie privée, tant en vertu de la Constitution belge que de la Convention européenne des droits de l’homme.

“C’est une question de principe”, avancent Charlotte Lardenoit et Nele Somers. “Nous nous sommes entourées de personnes défendant les mêmes principes. Nous menons donc cette bataille au nom de plusieurs personnes physiques et morales.”

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