Rudy Aernoudt

Scinder la Belgique (ou pas?)

Alors qu’une scission appauvrirait la Wallonie, mais aussi la Flandre, un pacte interrégional pour l’emploi conduirait à un enrichissement de toutes les Régions.

Nous sommes à 20 mois des élections et mes 12 ans d’expérience comme chef de cabinet m’apprennent que cette période correspond généralement au moment où se dessinent les premières stratégies préélectorales. C’est dans ce contexte que l’on peut situer le livre Bodemloos (“Sans fonds”) de Barbara Pas et Lode Vereeck (Vlaams Belang). Le livre retrace les – je cite – “milliards volés au nord par le sud du pays depuis des décennies, appelés par euphémisme ‘transferts'” et plaide évidemment pour une scission du pays. Mais comment faire?

Il est possible de scinder un pays sur la base de la langue. Cette séparation ne correspondrait cependant pas aux Régions actuelles. En effet, de nombreux Flamands habitent désormais en Wallonie, où les terrains sont moins chers. Et à Bruxelles, le français comme le néerlandais deviennent peu à peu minoritaires…

Autre possibilité: scinder un pays sur la base de la richesse. La région plus riche laisse tomber la région plus pauvre. Mais quelle est la région la plus riche en Belgique? C’est la fameuse “banane” qui part d’Anvers, puis traverse le Brabant flamand, Bruxelles, le Brabant wallon et Namur pour aboutir à Arlon. Les régions pauvres sont plutôt la Flandre-Occidentale, le Hainaut, le Limbourg et Liège.

Enfin, on peut procéder à une scission dogmatique entre la Région flamande et la Région wallonne. La Flandre représente 58% de la population et 58% du produit intérieur brut. Dans une perspective statique, elle ne deviendrait donc ni plus pauvre, ni plus riche. La Wallonie, 32% de la population mais 23% du produit intérieur brut, serait la principale victime d’une scission du pays.

Mais dans une perspective dynamique, la Flandre aussi s’appauvrirait. En effet, si Bruxelles devient un Etat à part, les 200.000 navetteurs flamands devraient y payer leurs impôts (estimation: 4 milliards d’euros). L’OCDE a également calculé que la scission complète de la fonction publique entraînerait 15% de perte d’efficacité. Mais surtout: 20% des Flamands ont plus de 65 ans (contre 13% des Bruxellois). Il en résulte déjà 2,2 milliards d’euros de transferts au bénéfice de la Flandre, payés pour 90% par Bruxelles et pour 10% par la Wallonie. Conclusion: dans une perspective dynamique, un scénario de scission appauvrirait tant la Flandre que la Wallonie.

La Banque nationale estime les transferts de Flandre vers la Wallonie à 5,7 milliards. En cas de scission, il faudra évidemment corriger ce montant à l’aide des chiffres exposés ci-dessus concernant Bruxelles. Autrement dit: pour la Flandre, le gain potentiel issu de la disparition des “transferts” serait réduit à néant. Et si nous observons de plus près les transferts à la Wallonie, nous constatons que 90% d’entre eux sont liés aux plus faibles contributions des Wallons à l’impôt sur le revenu et aux allocations sociales et de chômage plus élevées.

Les auteurs du livre “Bodemloos” dénoncent à raison une politique du marché de travail qui n’investit pas assez dans l’activation. La solution est donc simple: augmenter le taux de participation des Wallons. La pénurie de main-d’oeuvre, surtout en Flandre, en constitue le terreau idéal. Une limitation des indemnités de chômage dans le temps devrait ramener les Wallons (mais aussi les chômeurs de longue durée en Flandre et à Bruxelles) sur le marché du travail et les transferts fondraient alors comme neige au soleil. Alors qu’une scission appauvrirait la Wallonie, mais aussi la Flandre, un pacte interrégional pour l’emploi conduirait à un enrichissement de toutes les Régions. Mais cela implique que le dogmatisme politique fasse place au pragmatisme. Et c’est là que le bât blesse, des deux côtés.

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