Réforme de la fiscalité mobilière: la tabula rasa fiscale de Georges Hübner

Georges Hübner plaide pour que "quel que soit la trajectoire qu’un contribuable adopte, il soit soumis à la même équité fiscale". © PG/JL Wertz
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Pourquoi ne pas s’inspirer du modèle néerlandais et imposer le capital sur la base d’un revenu notionnel ? Cela permettrait de rééquilibrer fiscalité du capital et fiscalité du travail.

La fiscalité mobilière ressemble de plus en plus à un patchwork peu harmonieux. Le gouvernement s’apprête à imposer les plus-values, pour un rendement médiocre (75 millions d’euros par an) et un travail énorme à charge des intermédiaires financiers. Certains estiment dès lors qu’il est temps de repartir de zéro.

Professeur de Finance à HEC Liège, Georges Hübner est de ceux-là. Il propose une vaste réforme qui “permettrait de rééquilibrer fiscalité du travail et fiscalité du patrimoine, tout en faisant contribuer les épaules les plus larges”.

Son plan comporte deux grands volets. Le premier concerne la fiscalité pour les actifs dont on peut déterminer aisément la valeur : il s’agit des titres dans les comptes-titres et les comptes bancaires. Le second concerne les participations dans les sociétés non cotées, qui sont plus difficiles à définir.

“Une vaste réforme permettrait de rééquilibrer fiscalité du travail et fiscalité du patrimoine, tout en faisant contribuer les épaules les plus larges.” – Georges Hübner (HEC Liège)

L’exemple néerlandais

Pour les patrimoines détenus dans les comptes-titres et comptes bancaires, Georges Hübner propose de s’inspirer du modèle néerlandais.

Aux Pays-Bas, en effet, les revenus réels issus du patrimoine mobilier (intérêts, dividendes, plus-values) ne sont pas directement imposés. Le fisc néerlandais applique un rendement notionnel forfaitaire, autrement dit, un rendement présumé sur la valeur du patrimoine, indépendamment des gains ou des pertes réellement encourus.

Georges Hübner propose donc d’appliquer sur ce patrimoine un rendement notionnel forfaitaire (qui pourrait être plus élevé pour les comptes-titres que pour les comptes bancaires), qui serait taxé à un taux progressif. “Une première tranche serait exonérée (alignée sur l’exonération actuelle des intérêts d’épargne), dit-il, et le taux marginal maximal pourrait aller jusqu’à 30% sur un rendement notionnel de 3%, soit un prélèvement maximal de 1% du capital investi. Cela représente une hausse significative par rapport à la taxe actuelle sur les comptes-titres”, ajoute-t-il. La taxe sur les comptes-titres est en effet de 0,15%.

Un précompte à… 1%

“En contrepartie, ajoute Georges Hübner, le précompte mobilier sur les dividendes passerait de 30% à moins de 1%, assurant une neutralité fiscale entre dividendes et gains en capital. Le précompte sur les intérêts serait également réduit à moins de 1%, mais les charges d’intérêt ne seraient plus déductibles de l’impôt des sociétés. Pour les intérêts de sociétés étrangères, un précompte plus élevé serait maintenu, car ils sont souvent déductibles à la source. Enfin, l’impôt des sociétés serait abaissé pour que la charge fiscale totale (de la société et des individus) reste comparable à celle des revenus du travail les plus élevés.”

“Un taux de 1% me paraît, certes, relativement élevé. Mais selon moi, ce qui est important, c’est qu’il faut, en fait, déterminer quelles sont les variables d’ajustement du système, en fonction du rendement que l’on veut donner à cet impôt et du transfert qu’il est possible de réaliser par rapport à l’impôt des personnes physiques. Car fiscaliser le capital ne doit pas représenter uniquement des rentrées fiscales supplémentaires. Cela devrait aussi permettre de réduire la fiscalité du travail”, dit-il.

Le cas des sociétés non cotées

Le problème se corse, cependant, lorsque l’on se penche sur un patrimoine investi dans des sociétés non cotées en Bourse. “Si une personne décide de détenir une participation de 1.000 euros dans une société non cotée, elle pourrait échapper à la taxation des revenus du patrimoine puisqu’il est impossible de déterminer de manière raisonnable, à un intervalle régulier et avec une précision suffisante, quelle est la valeur de sa participation.” Dès lors, le professeur de HEC Liège, de manière très originale, propose de faire porter la taxe non plus sur l’actionnaire, mais sur la société. “C’est un principe qui est enseigné en finance d’entreprise : il faut avoir une vision globale du montant net qui resterait dans les poches de l’investisseur en tenant compte de toute la filière qui va jusqu’à l’investissement”, souligne-t-il.

Georges Hübner propose donc, pour les sociétés non cotées, de taxer les revenus du capital à la source. La base imposable serait les fonds propres, ajustés des non-valeurs et des participations dans d’autres sociétés non cotées (pour éviter la double imposition). Un revenu notionnel forfaitaire serait calculé et taxé lui aussi à un taux progressif, adapté à l’âge, au secteur et à la taille de la société, avec une possible tranche exonérée. Pour les sociétés étrangères hors système, les dividendes et revenus de cession seraient imposés à des taux spécifiques pour garantir l’équité fiscale.

Renversement de perspective

Georges Hübner résume : “Puisque nous ne pouvons pas facilement taxer l’actionnaire d’une société non cotée, nous devrions grever celle-ci d’une taxation sur les revenus notionnels de ses fonds propres, en veillant à ce que les sociétés de croissance, les sociétés jeunes, les très petites sociétés soient, sinon exonérées, en tout cas en capacité d’absorber sans difficulté cet impôt. Et de manière générale, pour préserver la trésorerie des sociétés, cet impôt pourrait être provisionné sans échéance fixe et indexé, par exemple, sur les obligations d’État. Mais il bénéficierait d’un statut prioritaire sur les dettes non sécurisées, et devrait être soldé avant toute distribution de dividendes ou réserves. Il devrait être également payé lors d’un événement tel qu’un changement d’actionnaires.”

“La perspective que je défends est que, quel que soit la trajectoire qu’un contribuable adopte dans un arbre de décision, il soit soumis à la même équité fiscale, affirme Georges Hübner. Cela passe évidemment par un certain nombre d’effets collatéraux ou indirects. Il faudrait, par exemple, diminuer l’impôt des sociétés pour compenser cet impôt sur le revenu notionnel des fonds propres. Cela veut dire aussi que, puisqu’il faut qu’il y ait une certaine neutralité par rapport à la manière dont la société rémunère ses actionnaires, il faudrait également réduire drastiquement le précompte mobilier sur les dividendes et sur les intérêts. Cette réforme constituerait donc un renversement très important de perspective.”

Mais que rapporterait cet impôt ? Le patrimoine financier des ménages du pays (dépôts, actions, parts de fonds, etc.) s’élève à 1.300 milliards d’euros. Un taux (maximum) de 1% engendrerait donc, si l’on fait un calcul de coin de table, un rendement annuel maximum de 13 milliards. Un montant devant lequel Georges Hübner reste très prudent : “Cela reste un exercice intellectuel face à un système fiscal qui est aujourd’hui bancal et inefficace. J’en appelle à une réflexion collective pour affiner cette proposition.”

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