Réduire le prix des paiements électroniques: “Les consommateurs risquent de payer la facture”
Le ministre de l’Economie, Pierre-Yves Dermagne (PS), souhaite réduire les commissions dites d’interchange dans les paiements électroniques. Soit la partie que les commerçants paient aux banques par produit ou service vendu. Dermagne préconise de réduire ce coût de 0,02 euro par transaction. Mais n’y a-t-il pas un risque que cela soit, au final, les consommateurs qui payent la facture?
Peu de consommateurs le savent, mais chaque fois que vous faites un paiement électronique, où que ce soit, le commerçant paie des frais sur la transaction. Il est normalement interdit aux entreprises de répercuter ces coûts sur les consommateurs, mais la nouvelle proposition de Pierre-Yves Dermagne menace d’aboutir à ce résultat, selon les experts de Trends.
” Aux Pays-Bas, le plafond est fixé à 0,02 euro. Je souhaite qu’il en soit de même en Belgique, où le plafond est actuellement pratiquement trois fois plus haut, puisqu’il atteint 0,056 euro”, avait déclaré Pierre-Yves Dermagne, il y a quelques jours. Le ministre insiste sur le fait que le consommateur doit avoir le libre choix du mode de paiement : liquide ou électronique. Mais selon lui, le paiement électronique gagne en popularité, notamment en raison de l’obligation pour les commerçants d’offrir ce moyen de paiement et de la diminution du nombre de distributeur de billets.
Plafond
“Cette augmentation des transactions électroniques génère des marges et des bénéfices intéressants pour les banques. Le fait que les coûts (du système de paiement, NDLR) diminuent devrait également être répercuté sur le secteur du commerce de détail, en particulier sur les petits indépendants”. Car, selon un communiqué de presse du cabinet de Pierre-Yves Dermagne, ce coût reste une “préoccupation majeure” pour le commerçant.
M. Dermagne a fait une proposition de modification de l’arrêté royal fixant un plafond pour les paiements par carte. La proposition a été accueillie favorablement lors du Comité ministériel restreint (« kern ») du vendredi 9 juin. Le ministre a écrit au gouverneur de la Banque nationale, au président de la FSMA, le régulateur financier, à l’organisation de consommateurs Test Achats et à la fédération bancaire Febelfin pour leur demander leur avis sur cette proposition. Cet avis est attendu dans une quinzaine de jours.
Examiner l’impact
“Le secteur des différentes solutions de paiement électronique a deux faces : il y a d’un côté le consommateur et de l’autre le commerçant. Afin de lutter contre la fraude, les consommateurs sont encouragés à payer par voie électronique. Les commerçants, quant à eux, sont obligés de proposer au moins une solution de paiement électronique. Seulement, ils paient pour cela des frais de transaction relativement élevés. C’est donc une bonne chose que ces coûts fassent l’objet d’un débat”, estime le professeur Hans Degryse, directeur du groupe de recherche en finance de la KU Leuven.
Febelfin n’est pas d’accord avec l’analyse selon laquelle les coûts de transaction sont élevés en Belgique, a déclaré Isabelle Marchand, porte-parole de la fédération sectorielle, à Trends. “Nous examinerons bien sûr en détail l’impact de la proposition dans les semaines à venir, mais la comparaison avec les Pays-Bas est erronée. Les Pays-Bas ont de loin les frais d’interchange les plus bas d’Europe, mais la Belgique fait également partie des pays européens qui ont un plafond bas. Il faut tenir compte du fait qu’aux Pays-Bas, environ 80 % des paiements sont déjà effectués par voie électronique, contre 55 % chez nous. En outre, il y a moins de banques aux Pays-Bas, elles gagnent donc plus sur les transactions.
Risque pour les consommateurs
Le professeur Degryse soulève d’autres questions essentielles. “Si les banques risquent de perdre ces revenus, elles pourraient les répercuter directement ou indirectement sur le client. Pour l’instant, les consommateurs ne sont pas conscients de ce coût parce que c’est le commerçant qui le paie aux banques. Il est important d’étudier l’impact qu’aurait une réduction des coûts de transaction”.
Isabelle Marchand, Febelfin, souligne que les frais de transaction de 0,056 euro, cité en exemple par le ministre, ne concernent que le plafond. “C’est le montant maximum. Rien n’est facturé pour les petits montants. Il existe déjà de nombreuses situations où les frais sont inférieurs au plafond. D’autre part, pour le commerçant, le coût total des transactions n’est pas seulement déterminé par les commissions d’interchange (pour rappel le montant facturé par les émetteurs de carte NDLR). Celles-ci n’en sont qu’une partie”. Outre cette commission d’interchange, il y a également des frais de service et des frais payés au fournisseur du terminal de paiement.
Pression politique
La proposition du ministre Dermagne pourrait coûter de l’argent au secteur bancaire. L’idée de lier le taux d’intérêt minimum des comptes d’épargne dans notre pays au taux directeur (le taux que les banques paient lorsqu’elles empruntent de l’argent à la Banque centrale européenne) avait déjà été évoquée. La Banque nationale de Belgique (BNB) a frémi en entendant cette proposition, qui a également été accueillie de manière mitigée par de nombreux experts. Belfius a été la première grande banque à prendre l’initiative d’augmenter les taux d’épargne.
“C’est peut-être un moyen d’accroître la pression sur le secteur bancaire. Si cela ne peut se faire par le biais du taux d’intérêt minimum sur les comptes d’épargne, alors essayons par une autre voie”, analyse le professeur Degryse, “Par exemple, au début de cette année, le ministre Dermagne s’est déjà attaqué aux frais de dossier et à l’assurance dans le cadre des crédits hypothécaires. Il me semble logique qu’une banque ne puisse pas obliger les consommateurs à souscrire une assurance dans le cadre d’un crédit, mais je ne vois pas non plus en quoi une telle offre groupée en échange d’une réduction poserait un problème.”
Le directeur du groupe de recherche en finance de la KU Leuven pense surtout que les moyens de faire pression sur les banques ne sont pas les bons. “Je suis d’accord pour dire que les taux d’épargne devraient augmenter, mais cela peut se faire par d’autres moyens. Par exemple, en augmentant la concurrence dans le secteur ou en égalisant la taxation des produits financiers. Si nous ne travaillons qu’avec des obligations légales, nous étouffons l’innovation et nous faussons les forces du marché. À long terme, chaque parti garde à l’esprit que le gouvernement finira toujours par intervenir. Ce n’est pas le but recherché.
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