Carte blanche
Quitter le nucléaire en 2025: la fausse bonne idée
La transition énergétique vers une société neutre en carbone sera d’abord et avant tout une transition électrique. Elle consistera à remplacer des équipements aujourd’hui principalement thermiques fonctionnant à base d’énergies fossiles aussi bien dans la mobilité, l’habitat et l’industrie par des équipement électriques (voiture électriques, hydrogène vert, pompes à chaleur, chauffe eaux thermodynamiques et plaques de cuisson électriques).
La transition énergétique se traduira donc par un accroissement massif de la demande électrique : en France on estime qu’elle pourrait doubler d’ici 2050. La grande question est donc de savoir d’où viendra cette électricité et comment cette électricité sera elle-même décarbonée ?
Le rêve de tout un chacun serait de principalement (voire pour certains totalement) produire cette électricité à partir d’énergies renouvelables : éolien (on et off-shore) et solaire photovoltaïque pour l’essentiel avec un complément d’hydroélectricité et de biomasse sous forme solide (bois), liquide (biocarburants) et gazeuse (biogaz).
Dans les faits, une telle stratégie s’avère malheureusement utopique. Elle confond en effet les énergies de stocks (thermiques et nucléaire) pilotables disponibles sous forme de matière (stockables, transportables et fortement concentrées) avec des énergies de flux non pilotables directement disponibles sous forme d’énergie, peu concentrées, intermittentes, difficilement stockables et transportables.
La substitution d’énergie de stock par des énergies de flux n’est pas fondamentalement un problème technologique. En premier lieu c’est un problème de mise à l’échelle se traduisant par des quantités souvent démesurées d’équipements : nombre d’éoliennes, surface au sol de panneaux solaires, surface cultivées et quantité d’eau pour les biocarburants. Cette quantité démesurée d’équipements ne protège pas pour autant des intermittences : pour assurer 100% de disponibilité électrique les renouvelables ont besoin d’un ami pilotable qui (comme on élimine le charbon) ne peut être que le gaz naturel ou le nucléaire. Seule énergie de stock non carbonée, le nucléaire pilotable est la source d’électricité la plus logique pour à la fois supporter les renouvelables et assurer la neutralité carbone.
Le “Belgian Energy Outlook 2050” publié par la FABI a clairement montré que le remplacement des réacteurs nucléaires existant en Belgique par des centrales à gaz bloquait à moyen terme les objectifs belges de décarbonation et ce malgré un recours massif aux Cycles Combinés (60% de rendement) et à la cogénération, sauf si l’on se réfère au système ETS[1] qui suppose l’arrêt d’une centrale au charbon à la mise en service d’une centrale au gaz belge. Seule la réduction de la consommation décarbone puisque la source utilisée reste carbonée (en l’occurrence le gaz naturel). La neutralité carbone ne peut alors être obtenue que par compensation en mettant en oeuvre le CCS[2].
Le BEO 2050 n’a pas abordé la question des coûts du gaz vs nucléaire mais la conjoncture actuelle démontre que la mise en oeuvre massive du gaz risque de coûter très cher au citoyen belge dans la mesure où les centrales au gaz coûteront non seulement en fonctionnement mais aussi à l’arrêt, quand il y aura assez de vent et de soleil.
Le grand carénage des réacteurs existant en vue de leur prolongation (notamment ceux des centrales Doel 4 et Tihange 3) entraînera certes des surcoûts compris entre 800 millions et 1 milliard d’euros par réacteur. Mais, sur un délai raisonnable, cela ne réenchérit le MWh[3] que d’un coût marginal par rapport à celui de la mise en oeuvre de nouvelles centrales à gaz dont le prix du MWh dépendra à 60% des très fluctuants marchés du gaz.
Le groupe transition énergétique de la FABI considère donc que l’arrêt des centrales nucléaires relève d’une erreur stratégique tant sur le plan de l’approvisionnement que des émissions et des coûts alors que les prix du gaz mais aussi du carbone (dont la tonne a dépassé les 60 €) devraient structurellement rester élevés au cours des futures années. Le citoyen belge risque d’en payer le prix fort sans en voir les bénéfices en termes environnementaux. L’introduction massive de sources renouvelables et de stockage à grande échelle devrait amener à moins utiliser les centrales au gaz, mais le CRM[4] prévu empêchera toute réduction substantielle de la facture.
Point de vue de la Plateforme Transition Énergétique de la FABI
(Fédération d’Associations Belges d’Ingénieurs civils et de bioingénieurs)
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