Quelle est cette réforme fiscale qui divise l’Arizona ?
Prolongé lundi, le formateur Bart De Wever (N-VA) doit se rendre chez le Roi ce jeudi en fin de journée. La question est de savoir s’il aura un accord en poche : en début de semaine, la troisième mouture de sa “super note” divisait toujours la gauche et la droite de l’Arizona. La faute à une réforme fiscale qui doit convaincre à la fois le MR et Vooruit.
Les fuites dans la presse se sont accumulées ces dernières semaines. Ce n’est jamais le signe d’une très grande confiance entre les partenaires. Le président du MR s’en est plaint, attaquant notamment la presse de s’en nourrir pour alimenter ses pages, et accusant ceux qui les font fuiter d’un manque d’intelligence. Ces fuites permettent toutefois de déchiffrer les plans imaginés par Bart De Wever pour sa potentielle coalition Arizona (N-VA, cd&v, Vooruit, MR, LE). Des plans qui toucheront très concrètement le portefeuille des citoyens avec, forcément, des gagnants et des perdants.
Dans le premier groupe, on peut certainement ranger les travailleurs. C’était d’ailleurs l’un des leitmotivs de la dernière campagne électorale : augmenter l’écart de revenus entre le travail et l’inactivité. Un écart de 500 euros par mois satisferait la plupart des partis autour de la table. Pour y arriver, le principal levier se trouve dans la fiscalité. Mais sous la Vivaldi, cette réforme fiscale n’a jamais abouti. A l’époque, les doigts pointaient tous vers le MR, qui n’avait pas rejeté les accusations. Les libéraux ont toujours défendu l’idée d’un tax cut et non un simple tax shift, qui consistait “à déshabiller Paul pour habiller Jacques”, soutenait le vice-Premier ministre sortant, David Clarinval (MR), dans nos colonnes, en juin dernier.
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Taxation du travail
Alors, qu’est-ce qui a changé ? Sur papier, pas grand-chose. Le principe reste de baisser la pression fiscale sur le travailleur belge, principalement. Cette dernière restant la plus élevée au monde. Bart De Wever entend notamment revoir les différentes tranches d’impôt, à partir du 1er janvier 2025. Par exemple, la tranche 1, de 25%, qui s’applique pour l’année prochaine aux revenus allant de 0,01 à 15.820 euros, serait déplafonnée à un montant encore inconnu (X). La tranche 2, de 40%, qui s’appliquerait aux revenus de X à 27.920 euros, serait, elle, diminuée à 35%. Enfin, pour la tranche 4, qui taxe les revenus à 50%, le seuil de 48.320 euros serait, lui aussi, revu à la hausse, à un montant inconnu (Y). La tranche 3 taxerait donc à 45% les revenus entre 27.920 euros et Y, en 2025. Tel est le plan qui se dessine.
Le formateur veut également relever la quotité exonérée d’impôt pour qu’elle atteigne “le niveau du revenu d’intégration sociale”, est-il écrit dans la note du formateur. A ce stade, la quotité exonérée d’impôt est de 10.570 euros, alors que le revenu d’intégration est de 15.461 euros pour un célibataire. Une différence non négligeable.
De plus, le formateur envisage de renforcer le “bonus à l’emploi”, qui est une réduction de la cotisation ONSS personnelle, dégressive avec le niveau de revenus, ce qui avantagerait davantage les bas revenus.
Un autre volet concernera les avantages extra-légaux. Il est par exemple question d’en finir avec les éco-chèques et les chèques-consommation. Par contre, les chèques-repas pourraient être renforcés.
Enfin, il est prévu de mettre fin à la cotisation spéciale de sécurité sociale à la charge des travailleurs. Voilà pour les grandes lignes.
Harmonisation fiscale
Bart De Wever veut aussi réformer la taxation sur le capital, dont les exceptions sont légion. Prenez les comptes d’épargne réglementés : leurs intérêts sont exonérés d’impôts jusqu’à 1.020 euros par personne et jusqu’à 2.040 euros par couple et par an. Au-delà, vous êtes taxés à 15%, alors que le précompte mobilier est de 30% pour quasiment tous les autres produits financiers (dividendes, obligations, comptes à terme, bons de caisse, etc.).
Dans sa note, Bart De Wever entend remettre de l’ordre : il veut élargir l’exonération des comptes d’épargne aux autres produits financiers. Deux bienfaits : une harmonisation fiscale des produits d’investissement et la stimulation des milliards d’euros qui dorment sur les comptes d’épargne.
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Précompte mobilier
Plus largement, le formateur envisageait au départ de ramener le précompte mobilier de 30% à 25%, ce qui a suscité immédiatement des craintes pour les finances publiques : au premier semestre, le précompte mobilier a rapporté 3,9 milliards d’euros au Trésor, un montant record, en progression de 27%.
A l’heure d’écrire ces mots, ce point divisait encore Vooruit et le MR. Bart De Wever n’était toujours pas parvenu à trouver un point d’équilibre. Quoi qu’il en soit, l’impact d’une telle mesure n’est pas encore clair, car tout le monde ne profiterait pas de cette remise. Prenez par exemple les PME et les indépendants en société : ils disposent de mécanismes pour défiscaliser leurs dividendes après deux ou trois ans, en bénéficiant d’un taux préférentiel de 20% et 15%. Un précompte à 25% les pénaliserait fortement.
Finances publiques
Mais ce tax down sur les revenus du travail et du capital aura forcément un coût pour les finances publiques. En milliards d’euros, selon l’évaluation du Bureau du Plan. A titre d’exemple, rien que le relèvement de la quotité exonérée d’impôt coûterait 10,2 milliards d’euros par an à l’Etat, à partir de 2029.
La suppression de la cotisation spéciale de sécurité sociale pèserait, elle, 1,2 milliard d’euros par an.
Si vous y ajoutez les 28 milliards d’euros nécessaires pour revenir dans les clous budgétaires européens, la note devient très salée. La question est donc immédiate : les mesures d’économies à réaliser et les réformes structurelles à mettre en place suffiront-elles pour compenser, comme le veut le MR ? Cela paraît compliqué parce qu’un taux d’emploi de 80%, par exemple, et une meilleure efficacité des pouvoirs publics, ne se construisent pas du jour au lendemain. Les dettes sont immédiates, les revenus futurs sont incertains. Il faudra sans doute passer par de nouvelles recettes, comme le souhaite Vooruit.
Plus-values et quotient conjugal
Depuis le résultat des élections, il est clair que la taxe des millionnaires n’est plus qu’un lointain souvenir. Mais les socialistes flamands ont survécu et entendent désormais peser. Leur principe : “Les épaules les plus larges doivent contribuer.” Côté recettes, la note prévoit d’instaurer une taxe sur les plus-values mobilières, principalement sur la revente d’actions, ce qui fâche là encore le MR. Mais il s’agit pourtant de l’un des seuls revenus du capital qui échappe à l’impôt pour le moment. Bart De Wever propose un taux de 10%, sans rétroactivité, au-delà de 6.000 euros et des frais, tout en tenant compte des moins-values. Dans la dernière version de sa note, Bart De Wever a également promis de relever la taxe comptes-titres. La taxe boursière (TOB) pourrait par contre passer à la trappe.
La suppression du quotient conjugal ne semble pas remise en cause : 500.000 Belges sont concernés.
Cette nouvelle monture semble avoir convaincu Vooruit, qui plaidait, durant la campagne, pour une petite révolution : la mutualisation des revenus. C’est-à-dire ne plus faire de différence entre les revenus du travail et les revenus du capital, en leur appliquant un taux commun, moins confiscatoire qu’un taux de 50%, mais plus élevé que le précompte mobilier de 25%. Pour convaincre à nouveau le MR, il faudra sans doute quelques ajustements, mais rien d’insurmontable, d’après nos informations.
En tout cas, la suppression du quotient conjugal ne semble pas remise en cause. Il s’agit d’une exception fiscale dont bénéficient 500.000 Belges. Ce système permet d’attribuer au partenaire qui n’a pas ou peu de revenus jusqu’à 30% de ceux de l’autre partenaire, lors du calcul de l’IPP. Pour les finances publiques, c’est un coût de près de 500 millions d’euros par an. Pour le couple, c’est un avantage fiscal qui peut grimper jusqu’à 6.700 euros.
TVA
Pour ajouter du beurre aux épinards, le formateur planche également sur une réforme de la TVA, qui est mangée à toutes les sauces en Belgique. Il existe actuellement quatre taux différents : le taux standard à 21 %, le taux intermédiaire à 12 %, le taux réduit à 6 % et le taux exceptionnel à 0 %. Bart De Wever entend unifier les taux de 12 % et 6 %, vers un taux commun de 9%. Ce qui engendrerait, là aussi, des gagnants et des perdants. La restauration (à l’exception des boissons) en profiterait, tandis que la TVA sur les viandes, les poissons, le lait, certains médicaments ou encore les journaux serait pénalisée. La note prévoit aussi d’appliquer un taux de 9% aux panneaux solaires et aux pompes à chaleur, plutôt que les 21% actuels. Mais il reste à voir ce qu’il adviendrait du taux à 6% de la rénovation, de la démolition et de la construction pour les particuliers. Enfin, il est également prévu d’élargir le taux à 0% pour les fruits et les légumes, dans le but de privilégier la nourriture saine. Et l’intégration d’un critère environnemental est aussi à l’étude, pour privilégier les produits locaux.
En tout, on parle d’une réforme fiscale à 8,5 milliards d’euros. Celle-ci serait composée à 5,5 milliards d’un tax shift et à 3 milliards d’un tax cut, mais pas avant 2029, ce qui irrite beaucoup les libéraux francophones. On saura, en fin de journée ce jeudi, si Bart De Wever est parvenu à faire ce que la Vivaldi a été incapable de faire : trouver un équilibre entre la gauche et la droite.
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