Que coûterait un Brexit à l’économie britannique ?

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Le coeur des Britanniques ne se situe pas en Europe. S’ils choisissent de voter pour l’Union Européenne lors du référendum, c’est qu’ils auront laissé parler leur porte-monnaie. Mais que coûterait un Brexit à l’économie britannique?

“Britanniques, utilisez votre bon sens”. C’est le message que la vénérable London School of Economics (LSE) semble faire passer dans son étude de 2014 concernant les effets économiques d’un Brexit. “”Withdrawing from the EU is a dangerous move for the UK” (Le retrait de l’UE est un mouvement dangereux pour le Royaume-Uni, ndlr), écrit la LSE. A peu près la moitié des exportations britanniques va en direction de l’Union Européenne. Ces biens et services ont actuellement un libre accès vers l’UE. En fonction du scénario suivi, la perte subie pourrait coûter entre 1,1 et 3,1% du produit intérieur brut au Royaume Uni, soit grosso modo 25 à 70 milliards d’euros par an.

“Ces montants, vous ne pouvez pas les considérer comme un coût unique, mais bien comme une perte permanente”, dit Thomas Sampson, un des auteurs de l’étude. “Lors d’un Brexit, l’économie Britannique perdrait une partie de son volume, et elle ne pourrait plus rattraper cette perte au cours des années suivantes.”

Le calcul tient compte de la suppression de la contribution britannique au budget de l’UE. Mais les effets négatifs éclipsent ce bénéfice. Car les exportateurs britanniques devront alors payer à l’UE des taxes à l’importation. Dans un scénario optimiste, le Royaume Uni pourrait conclure un accord avec l’UE pour réduire ces taxes jusqu’à zéro. Mais même dans ce cas, les Britanniques seraient confrontés à des barrières commerciales non tarifaires, comme les formalités douanières ou d’autres obstacles. Et cela coûte aussi de l’argent.

Les barrières commerciales non tarifaires pèsent même plus lourd que les taxes à l’importation, estime l’étude de la LSE. C’est pourquoi les membres de l’UE suppriment systématiquement leurs barrières commerciales mutuelles. D’autres pays occidentaux le font également, mais la suppression au sein de l’UE va plus vite. En tant qu’état non membre, la Grande Bretagne pourrait passer à côté de cet avantage supplémentaire. Cet avantage manqué pourrait, dans un scénario pessimiste il est vrai, grimper jusqu’à 2,55% du PIB britannique. Ce qui en ferait le poste de coût le plus lourd en cas de Brexit.

Et cela pourrait encore être pire. La LSE a également fait un calcul qui prend en compte les principaux effets indirects. Le commerce international favorise par exemple l’échange réciproque de nouvelles technologies ou renforce la compétitivité, de telle manière à ce que les entreprises nationales innovent davantage. Cela augmente la productivité et donc la croissance économique. Le Royaume Uni passerait partiellement à côté de tels effets en cas de Brexit. Effets directs et indirects conjugués, le revenu national britannique pourrait essuyer un revers de 6,3 à 9,5%, selon l’étude de la LSE. Ce qui nous amène dans le voisinage des pertes de la crise financière de 2008-2009, lorsque le PIB du Royaume Uni avait chuté de quelque 7%.

Bureaucratie

Selon les eurosceptiques, cela n’est pas un problème car après le Brexit, les exportateurs britanniques pourront davantage s’adresser aux pays à croissance rapide comme la Chine ou l’Inde, déclarent-ils. Les défenseurs de l’UE rient de cet argument. L’UE, géographiquement proche, est un partenaire commercial beaucoup plus naturel que la Chine ou l’Inde lointaines.

Pour maintenir ses exportations le plus possible à niveau après un Brexit, le Royaume-Uni devra conclure des accords de libre échange avec une longue liste de marchés d’exportation. Avec l’UE, cela réussira probablement rapidement. Mais pourquoi un pays comme la Chine se fatiguerait à faire un accord avec les Britanniques? La Chine parle plus volontiers avec l’UE, car c’est un marché beaucoup plus grand, disent les opposants d’un Brexit. Peut-être bien, concèdent les défenseurs du Brexit, mais qui dit que les diplomates britanniques ne pourraient pas négocier des conditions plus avantageuses que l’UE? La position de négociation britannique n’est pas mauvaise: beaucoup de pays ont un excédent commercial avec le Royaume Uni, et aimeraient que cela continue ainsi.

Débarrassé de la bureaucratie européenne, le Royaume Uni sera beaucoup plus compétitif, argumentent encore les défenseurs du Brexit. Le rapport ING met cela en doute. L’adhésion à l’Union Européenne n’a pas empêché les Britanniques de faire de leur marché du travail l’un des plus flexible au monde. La même chose vaut pour les marchés de production britanniques, où la régulation est même plus légère que celle des Etats-Unis, d’après les indicateurs de l’OCDE. Les Britanniques de doivent pas oublier que beaucoup de règles européennes s’orientent vers l’harmonisation des normes de production, ce que le commerce dans le marché européen unique renforce justement.

Entre Londres et Paris

La banque centrale britannique mettait en garde l’an dernier sur le risque pour le Royaume Uni, après un Brexit, de perdre sa position de destination favorite pour les investissements étrangers. Les investissements étrangers n’amènent pas seulement des emplois, mais aussi des nouvelles idées, des technologies et des méthodes de travail, déclare la Bank of England (BoE). Ce qui dynamise l’économie.

Depuis la création du marché unique en 1993, le Royaume Uni a quasi toujours été la première destination pour les investissements étrangers dans l’UE, explique le rapport de la BoE. Cela tient à des avantages tels que la sécurité juridique britannique et l’anglais comme langue internationale. Mais le libre accès au marché unique européen est aussi un atout, comme le révélait la réponse de 72% des investisseurs dans une enquête du consultant EY l’an dernier. Beaucoup d’entreprises étrangères utilisent d’ailleurs le Royaume Uni comme plateforme pour l’exportation vers le reste de l’UE.

Ce n’est pas qu’une multinationale comme Toyota fermerait immédiatement les portes de son siège de production britannique à la suite d’un brexit. Ce serait trop coûteux. Mais il est probable que de telles unités de production rateraient de futurs investissements, ou atterriraient au-dessus de la pile pour fermeture en cas de diminution de la demande mondiale.

La City londonienne aussi, un centre mondial pour les services financiers, a besoin de l’UE, plus que ce qu’elle désire l’avouer elle-même, dit Karel Lannoo, directeur du think tank CEPS (Centre for European Policy Studies). “Jusqu’il y a environ vingt ans, les centres financiers de Londres et de Paris avaient la même cadence. Mais du fait de la dérégulation financière britannique, de la création du marché unique européen et de la perspective de l’euro, Londres est devenue la tête de pont européenne pour les banques étrangères et les fonds d’investissement, surtout d’origine américaine. Cela n’aurait pas réussi sans le passeport européen pour les acteurs financiers. Ils n’ont besoin que de l’autorisation d’un seul état membre pour pouvoir être actifs dans l’ensemble de l’UE.”

Selon Lannoo, un Brexit affecterait lourdement la position de la City, mais ses arguments ne font pas impression à Londres, comme il a pu s’en rendre compte au cours des débats. “Je ne comprends pas qu’ils en débattent aussi légèrement”, dit Lannoo. “A Londres, 360.000 personnes travaillent dans le secteur de la prestation de services financiers, contre 260.000 à Paris. Lors d’un Brexit, les Français feront tout pour ravir la position de leader. Gardons à l’esprit que les actifs combinés des cinq grandes banques françaises dépassent ceux du peloton de tête britannique.”

Surplus de croissance

Les effets multifactoriels d’un Brexit rend le calcul de la facture finale pour l’économie britannique plutôt compliqué. La Bank of England se s’y hasarde même pas, déjà parce que l’influence d’un Brexit serait difficile à distinguer des autres changements dans l’économie britannique. Cela dépend aussi beaucoup d’hypothèses incertaines. Que se passerait-il avec la confiance des consommateurs et des entreprises, en cas de Brexit? Dépenseront-ils moins et investiront-elles moins? Et si oui, dans quelle mesure? Un Brexit va-t-il inciter les Ecossais à organiser un nouveau référendum au sujet d’une séparation, et quels en seraient les effets ?

ING fait néanmoins une tentative. Si les électeurs britanniques votent pour l’adhésion à l’UE lors du référendum du prochain été, le Royaume Uni obtiendra une belle croissance de 2,7% en 2017, s’atténuant légérement à 2,4% en 2019. Si les Britanniques votent par contre pour un Brexit, la croissance reculera d’abord jusqu’à 1,5% en 2017. Mais ensuite, le vent tournera.

Aidé par une monnaie bon marché et une politique monétaire souple de la BoE, le Royaume Uni atteindrait une croissance de 2,8% en 2019. Ce qui est 0,4 points pour cent mieux que dans le premier scénario. Le surplus de croissance, le Royaume Uni ne l’atteindra que s’il fait bon usage de sa liberté à nouveau gagnée, dit ING. Le pays pourrait par exemple mettre en place une réforme fiscale majeure, dans le but d’attirer des investissements et des emplois. Mais rien n’est certain. La chute de la livre sterling en cas de Brexit alimenterait l’inflation. Ce qui inciterait la BoE à relever les taux d’intérêt; ce qui ralentirait la croissance.

De plus, un Brexit n’est pas un débat économique, pour les Britanniques. “Pour être honnête, 99% des électeurs britanniques ne sont pas sensibles aux arguments économiques”, explique le commentateur économique londonien George Magnus. Selon les sondages d’opinion, seuls 30% des Britanniques ont un ‘avis globalement positif sur l’UE’. Grâce au référendum, les Britanniques ont une chance unique de rétablir l’honneur de leur souvereineté chérie. Se laisseront-ils impressionner par un peu de dommages économiques ?

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