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Quand nos ministres découvrent le numérique…

Jean-Claude Marcourt lance les “assises du numérique” pendant qu’Alexander De Croo prépare son “agenda numérique”.

En Belgique, on adore les tables-rondes, les commissions, les rapports d’experts et les groupes de travail. Deux ministres responsables du numérique viennent d’en apporter une nouvelle fois la démonstration.

Au fédéral, le ministre des télécoms Alexander De Croo (Open VLD) a dévoilé sa stratégie pour développer l’économie digitale en Belgique. Comme l’avait fait la Commission européenne à son niveau, sous l’impulsion de Neelie Kroes, le ministre De Croo prépare son “agenda numérique” pour la Belgique.

Que contient-il, cet agenda ? On serait bien en peine de le dire. La principale annonce de l’éminence fédérale est la création d’un “comité des sages” censé débroussailler le terrain. Composé de patrons locaux (Proximus, Mobistar, Base, Telenet, Microsoft, Google …), d’investisseurs (Frank Maene de Volta Ventures), de représentants d’associations (Agoria, BeCommerce, Comeos, startups.be, Beltug) et d’académiques (Bruno Colmant), ce comité rassemble 22 personnes. Sa feuille de route semble pour le moins vague : “Un énième groupe de discussion? Peut-être. Mais son objectif est bien de mettre quelque chose en branle, afin de faire enfin exécuter les plans”, confiait Alexander De Croo à nos confrères de Datanews.

Outre la représentativité discutable du panel, qui ne compte qu’un tiers de francophones, on se demande bien sur quoi vont s’accorder ces entreprises et ces lobbies largement concurrents. Le risque est grand de voir ces ” sages ” accoucher d’un texte mièvre truffé de recommandations convenues. Verdict attendu (impatiemment) aux alentours de la mi-avril.

Plan 4.0

Au niveau wallon, on se laisse encore un peu plus de temps. Le ministre de l’Economie Jean-Claude Marcourt (PS) vient de présenter son plan, qui fait partie du plan Marshall 4.0, pour développer les nouvelles technologies au sud du pays. Les premières mesures sont attendues… en septembre prochain.

Pour initier ce chantier, qui mobilisera 200 millions d’euros sur quatre ans, le ministre a décidé de s’entourer – tiens, tiens – d’un ” conseil du numérique “, composé d’une vingtaine de personnes et présidé par Pierre Rion (EVS). Détail amusant : on y retrouve les mêmes personnes qu’au comité des sages fédéral : Dominique Leroy (Proximus), Thierry Geerts (Google)… Certainement une volonté de rationalisation issue d’une concertation fructueuse entre les deux ministres.

En parallèle, un bureau de consultant (Roland Berger, dont fait partie Bruno Colmant, autre membre du comité des sages fédéral) fera un “état des lieux” pour identifier les forces et les faiblesses numériques de la Wallonie. Dernière couche de la lasagne : des “assises du numérique” constituées de “groupes de travail” seront chargées de “plancher sur les différents axes dégagés par le conseil du numérique”. Ces longs mois de brainstorming permettront de se poser quelques questions existentielles : “Où sommes-nous ? Où allons-nous ? Que devrions-nous faire pour être dans les meilleurs ?”, détaille le ministre Marcourt au micro de nos confrères de Bel RTL.

Un chemin tortueux

Deux niveaux de pouvoir, deux ambitions identiques, donc : développer l’économie numérique dans notre pays. Un projet louable, certes. Mais le chemin emprunté semble particulièrement tortueux.

En 2015, alors qu’Internet fête ses 26 ans, la stratégie numérique de la Belgique va se décider dans des salons ouatés, au sein d’assemblées composées essentiellement de représentants de l’establishment économique, piliers de “l’ancienne économie”.

Ce choix est peu judicieux, pour ne pas dire à côté de la plaque. Car qui pilote les bouleversements numériques actuels ? Tout d’abord, les géants de l’Internet et de la technologie américains (Google, Amazon, Facebook…). Ils ont créé de véritables monopoles dans leurs secteurs et sont aujourd’hui hors d’atteinte de nos champions nationaux… mais aussi de nos décideurs politiques.

Ces acteurs globaux ne sont cependant pas les seuls créateurs de changement dans l’écosystème numérique. D’autres structures émergentes – les start-ups – bouleversent aussi l’ordre établi. Or, ces dernières ont été largement minorisées, pour ne pas dire carrément oubliées, dans le processus politique mis en place tant au fédéral qu’à la région wallonne.

La stratégie numérique de la Belgique ? Initier des mois de palabres et des études coûteuses pour dresser un constat que tout le monde a déjà pu établir

Dommage. Parce que ces jeunes pousses créées par des entrepreneurs audacieux sont les véritables représentants de l’économie numérique à venir. Les entrepreneurs digitaux préparent d’ailleurs de leur côté, sous le pilotage de Xavier Damman, fondateur de Storify, un manifeste à destination des autorités belges, pour attirer leur attention sur les défis que rencontrent les start-ups dans leur processus de création et de développement. Ces digital natives, nés avec un clavier et bientôt un smartphone en main, auraient dû, prioritairement, être sollicités par nos édiles politiques.

Structures existantes

Nos ministres auraient finalement gagné beaucoup de temps en allant voir directement du côté des structures existantes. Notamment ces incubateurs, comme Nest’up, qui sont censés faire émerger les champions belges du digital, et qui pourraient bénéficier d’un soutien plus important. Il aurait aussi été possible de prendre des actions immédiates en faveur du financement des projets numériques innovants, par exemple en créant des incitants fiscaux en faveur de certains investissements de capital-risque, comme cela existe dans certains pays.

Au lieu de cela, nos représentants politiques s’engagent à initier des mois de palabres et des études coûteuses pour dresser un constat que tout le monde a déjà pu établir : nous vivons dans un monde numérique ultra-connecté. Et ce monde offre des perspectives économiques nouvelles.

Ce mois de février 2015 est décidemment à marquer d’une pierre blanche : c’est le mois au cours duquel nos ministres ont découvert le numérique.

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