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Quand l’Europe se réveillera

Lorsqu’on change d’année et a fortiori lorsque l’on entre dans une nouvelle décennie, on déborde de bonnes intentions. Manger cinq fruits et légumes par jour. Ecrire à Donald Trump et Xi Jinping pour débloquer le conflit commercial. Convaincre Bart de Wever que les Wallons ne sont pas des sous-hommes. Demander à Stéphane Moreau de réexpliquer encore une fois le concept d’indemnités de rétention, tellement c’est beau.

Mais s’il fallait n’émettre qu’un seul souhait, nous en choisirions un moins glamour, mais économiquement crucial : nous voudrions que, dans les 10 années qui viennent, l’Union européenne travaille sérieusement à sa réindustrialisation et à la création de grands champions dans des secteurs de haute technologie.

La désindustrialisation n’est pas un phénomène européen. Les pays de l’OCDE n’ont pas encore retrouvé leur rythme de production industrielle d’avant 2008. ” On observe, explique l’économiste français Patrick Artus, un report de la demande des produits industriels vers les services. ” Un phénomène qui a de multiples causes, ajoute-t-il : ” saturation des besoins pour certains produits comme l’automobile, effets des normes climatiques, effets multiplicateurs : si la production industrielle ralentit, le besoin d’investissement diminue ainsi que la demande de biens d’équipement “…

Depuis la crise, les habitants des pays développés consomment bien davantage de services que de biens et l’on s’aperçoit que des géants industriels comme Apple tablent désormais, pour asseoir leur future croissance, davantage sur la vente d’abonnements à des services de streaming ou les royalties versées par les développeurs d’applications que sur la vente d’appareils.

La désindustrialisation de nos économies entraîne plusieurs effets délétères. L’activité industrielle génère en effet davantage de valeur ajoutée que les services, et ses emplois sont mieux rémunérés. Moins d’industries, cela signifie donc à la fois une croissance du PIB plus faible, moins de possibilités de contribution au système de sécurité sociale, des emplois moins bien rémunérés. Tout cela contribue à accroître un sentiment de fracture sociale avec les conséquences électorales que l’on sait.

Aussi, lorsqu’en Europe , récemment encore, des acteurs majeurs – comme la commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager – disaient que les pouvoirs publics n’ont pas à intervenir pour créer des champions industriels et que, d’ailleurs, le tissu économique européen est surtout constitué de PME, on avait envie de se pincer pour s’assurer de ne pas être en plein cauchemar… Oui, les PME sont en effet le moteur économique de l’Union, mais on voit tous les jours à quel point l’absence de grands acteurs européens est dommageable, dans l’industrie digitale ou ailleurs.

Visiblement, la nouvelle commission , et Margrethe Vestager, ont revu leur discours. Tant la commissaire danoise que la patronne de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen, affirment désormais que la politique de concurrence idéaliste pratiquée par l’Europe ces dernières années va changer. ” Nous modifierons les règles antitrusts pour créer des champions européens : certains secteurs sont aux mains de quelques grandes multinationales “, a ainsi déclaré la patronne de la Commission. Certes, il ne s’agira pas d’une révolution (les règles antitrusts européennes resteront en vigueur), mais dans les secteurs industriels où des géants mondiaux, chinois ou américains, disposent d’une domination quasi monopolistique, l’Europe semble donc – enfin – se réveiller.

Le temps de la naïveté européenne est révolu. Cela vaut non seulement pour sa diplomatie mais aussi pour sa politique économique.

A l’issue du sommet européen du printemps dernier, le président français Emmanuel Macron avait lancé : ” le temps de la naïveté européenne est révolu “. Cela vaut non seulement pour sa diplomatie mais aussi pour sa politique économique. Et cela passe par un véritable soutien européen à la constitution de champions susceptibles d’aller titiller les Gafa américains ou les BATX chinois.

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