PTB: la vérité derrière les slogans

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Olivier Mouton

Ce parti d’extrême gauche représente une menace populiste pour notre économie. Et sera en 2024 un vote inutile, source de blocage politique. Voici pourquoi.

Raoul Hedebouw, président du PTB, est omniprésent. Sur TikTok, on le voit dans une vidéo dénoncer les rémunérations des députés. Lors des célébrations du 1er Mai, il harangue la foule avec sa veste “Tax the rich!”. Sympa, le Raoul!

Et cela marche: dans les derniers sondages, profitant d’un climat politique délétère, le parti du travail de Belgique- partij van de arbeid van België (PTB-PVDA) est pratiquement la première formation politique en Région bruxelloise et titille le PS en Wallonie. Derrière les slogans, ce parti d’extrême gauche représente toutefois une menace pour notre économie. Il sera en 2024 un vote inutile, source de blocage politique. Voici pourquoi.

1. Un climat politique délétère

Le PTB a le vent en poupe parce qu’il surfe sur une actualité qui lui est doublement favorable alors qu’il reste vierge de toute participation importante au pouvoir. Quelle actualité? “D’abord celles des affaires, des compléments de pensions au Parlement à la corruption supposée au Parlement européen et aux dépenses jugées excessives du Parlement wallon, souligne Benjamin Biard, politologue au Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). Le coût du fonctionnement de la politique choque. Raoul Hedebouw appelait encore le 1er mai à une réduction du financement des mandataires politiques. Les élus du PTB se vantent de reverser une grande part de leur salaire au parti, de manière à vivre ‘comme un ouvrier’. Cette actualité leur permet de surfer sur la vague en tant que parti antisystème.

Le seul risque que court le PTB, c’est de voir arriver un parti qui serait un chevalier encore plus blanc.” – PASCAL DELWIT, POLITOLOGUE À L’ULB

Le PTB entretient un imaginaire selon lequel les politiques et les parlementaires sont trop bien payés, prolonge Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Cela reste à prouver si l’on compare avec d’autres pays ou le secteur privé, pour ne pas parler des footballeurs de l’Antwerp ou de l’Union Saint-Gilloise. Mais il est évident que ce niveau de rémunération serait mieux accepté s’il était clair et transparent. Pour le PTB, ce sujet est porteur parce qu’il est le seul parti à n’avoir jamais participé au pouvoir. Le seul risque qu’il court, c’est de voir arriver une formation qui serait un chevalier encore plus blanc.

L’actualité sociale lui est également favorable avec le dossier Delhaize, depuis quelques mois. Ce dernier permet au PTB de se positionner comme un parti soutenant les travailleurs. “Un rôle d’autant plus facile qu’il n’a aucune responsabilité au sein des majorités”, prolonge Benjamin Biard. “Sur ce terrain, le PTB partage son indignation avec les syndicats, le monde socialiste et écologiste”, tempère Pascal Delwit. Mais ce contexte plus global du creusement des inégalités renforce aussi le slogan du PTB sur la nécessité de taxer les riches.

2. La com’ de Raoul le sympa

Le PTB tient un discours que certains – dont je fais partie… – qualifient de populiste car il vise à créer un antagonisme entre le peuple et les élites politiques ou économiques”, estime Benjamin Briard. Ce discours est martelé avec gouaille et un accent wallon quand il le faut, ou un néerlandais parfait quand il s’adresse au nord du pays, par le Liégeois Raoul Hedebouw, devenu une star de la politique. Ses vidéos sont vues par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux. Un carton!

Un grand changement est survenu en 2014 avec l’élection de deux députés au Parlement fédéral, quatre à Bruxelles et deux en Wallonie, précise Pascal Delwit. Depuis, le PTB bénéficie du financement public des partis et des aides affectées aux parlementaires. Cela l’a fait entrer dans une autre dimension.

Paradoxalement, tout en dénonçant l’argent de la politique, le PTB l’utilise pour grandir. En 2022, les partis politiques belges ont dépensé près de 5 millions d’euros en publicité sur Facebook et Instagram, selon les chiffres du collectif AdLens. Septante-deux pour cent de cette somme ont été dépensés par la N-VA, le Vlaams Belang et, en troisième position, le PTB/PVDA.

Dans ce classement, le PS n’est pas forcément en reste, mais la forme du discours y est différente: son président, Paul Magnette, interagit derrière son ordinateur, en bon professeur d’université qu’il fut, là où Raoul Hedebouw amuse la galerie. “Cela illustre la différence de statut de formation politique que chacun incarne, souligne Benjamin Briard. Le PS est un parti de gouvernement, traditionnel, historique, tandis que le PTB, plus récent, n’est pas assimilé au système belge de consensus. Le PS partage le pouvoir avec six partis au fédéral, ce qui n’est pas un exercice facile, alors que le PTB peut s’en donner à cœur joie depuis l’opposition. Depuis 2014, il y a une fuite très nette des électeurs du PS vers le PTB, jugé plus fidèle au socialisme historique.

PASCAL DELWIT
PASCAL DELWIT © PG

3. Le populisme socioéconomique

Le PTB dit ouvertement rêver d’une “rupture” par rapport à la logique économique “marchande” actuelle. Que réclamerait-il pour aller au pouvoir? “A vrai dire, je ne sais pas, ce n’est pas dit clairement, répond spontanément Pascal Delwit. Il peut bien sûr y avoir une demande sur une grande réforme de la fiscalité avec la taxe des millionnaires, une volonté de sortir du cadre budgétaire… Mais l’essence de cette rupture n’est pas définie et on ne voit pas bien comment cela peut changer fondamentalement la donne. Promenez-vous à Zelzate, où le PVDA participe pour la première fois à une majorité communale depuis 2018, vous verrez qu’il n’y a pas de rupture majeure.

L’économiste Philippe Defeyt a analysé en profondeur le programme du PTB. Son avis, arguments à la clé, est tranché: “Ce que propose le parti, c’est clairement du populisme sur le plan budgétaire et socioéconomique”. Dans cette note publiée en 2016, l’ancien élu Ecolo mettait déjà en doute la crédibilité de la fameuse “taxe des millionnaires”. En raison de l’absence de cadastre financier, tout d’abord. “Or, comme le souligne Thomas Piketty, sans cadastre financier, toutes les politiques suivies sont hasardeuses.” Mais aussi parce qu’une telle mesure ferait fuir un grand nombre de contribuables fortunés.

Aujourd’hui, l’économiste persiste, signe et prolonge. “J’ai refait le calcul: les huit milliards que le PTB prétend obtenir avec la taxe des millionnaires seraient absorbés entièrement par ce qu’il propose en matière de pensions. C’est absolument incroyable. Pour le reste, on ne sait pas du tout comment il compte financer les autres mesures.” Raoul Hedebouw prétendait encore le 1er mai que le fruit de cette taxation permettrait des mesures pour la sécurité sociale ou l’emploi.

En matière de travail, par exemple, je déduis d’une série de textes que le PTB prône la semaine des 30 h sans perte de salaire, prolonge Philippe Defeyt. Difficile de faire plus sexy, mais impayable!” Dans son étude, il soulignait: “Ces hypothèses débouchent sur une augmentation mécanique de 13,3% de la masse salariale, brute en tout cas. Plus les cotisations sociales patronales le cas échéant. Mais le PTB ne précise pas si on maintient le volume des cotisations ou si on l’augmente en maintenant les taux faciaux. Il ne suffit pas ici de répondre que les entreprises payeront: certaines d’entre elles n’ont tout simplement pas les marges suffisantes et l’Etat devra trouver les moyens nécessaires pour les travailleurs du secteur public et pour le secteur associatif/non marchand qu’il finance en (grande) partie.

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Dans le programme du PTB, il y a énormément de flou et de zones d’ombre délibérées, affirme encore l’économiste. La taxe des millionnaires est-elle annuelle ou récurrente? Si elle est récurrente, en taxant 33% d’un capital pendant 10 ans, cela signifie que ce capital aura baissé de façon très significative au bout du compte. Le PTB prétend vouloir remplacer les emplois précaires et mal payés. Mais qu’est-ce que cela signifie? Que l’on remplace tous les CDD? Dans le programme de 2019, le parti promettait de créer 20.000 emplois dans l’économie sociale: cela ne remplacera pas les emplois précaires et mal payés…

La question que l’on est en droit de se poser est la suivante, conclut Philippe Defeyt: admettons que le PTB dispose d’une majorité absolue, comment ferait-il concrètement? Sans doute qu’eux-mêmes n’ont pas la réponse. Tout cela manque de sérieux et de cohérence.

4. Le danger: une source de blocage

Faut-il y voir la raison pour laquelle le PTB n’envisage pas pour l’instant une participation au pouvoir fédéral ou régional? “Les décisions stratégiques, notamment au sujet de la participation au pouvoir, se prennent lors de congrès, dans des plans quinquennaux, explique Pascal Delwit. Fin 2021, il a été décidé qu’il ne participerait pas au pouvoir au fédéral ou dans les Régions. L’ambition c’est d’aller plus loin au niveau communal, suite au scrutin d’octobre 2024, après une première participation à Zelzate, dans la banlieue industrielle de Gand, et dans un district anversois, à Borgerhout. L’objectif, c’est une ou deux participations supplémentaire en Flandre, une à Bruxelles et une en Wallonie.”

Un blocage du pays, de longue durée, c’est le risque le plus évident que ferait courir une progressi, on simultanée du PTB et du Vlaams Belang.” – BENJAMIN BIARD, POLITOLOGUE AU CRISP

Pour l’instant, en attendant de grandir encore, Raoul Hedebouw et les siens se contentent de peser sur les débats. En criant fort et en tirant les partis de gauche vers plus de radicalité. “Le PTB dispose d’un potentiel de chantage, ajoute le politologue de l’ULB. Il peut influencer la composition des majorités. C’est évident en Wallonie et à Bruxelles où il pourrait tourner autour de 15-20%. Mais au fédéral, le Vlaams Belang et le PTB pourraient obtenir, selon les projections, entre 30 et 42 sièges sur 150: ce seraient autant de sièges neutralisés pour la formation d’une majorité. Cela rendrait également la confection d’une majorité des deux tiers ou d’une majorité spéciale quasiment impossible en vue d’une réforme de l’Etat.

BENJAMIN BIARD
BENJAMIN BIARD © PG

Un blocage du pays, de longue durée, c’est le risque le plus évident que ferait courir une progression simultanée du PTB et du Vlaams Belang, acquiesce Benjamin Biard. Selon les sondages, la fragmentation du paysage politique à laquelle on avait assisté en 2019 pourrait s’accroître davantage encore. Le PTB pourrait obtenir des scores importants en Wallonie et à Bruxelles mais se trouve également à 8% en Flandre dans les derniers sondages, ce qui n’est pas anodin. En 2019, les trois familles politiques traditionnelles (socialistes, libéraux et chrétiens-démocrates) n’avaient déjà pas obtenu 50% des votes valables exprimés. Une fragmentation plus grande aurait une implication sur la capacité de former une majorité avec un programme cohérent. Le risque sera important en 2024.”

L’autre danger, ajoute le politologue du Crisp, c’est que cette formation souffle sur la braise de la désaffection démocratique. Son discours, parfois bref et court, peut avoir pour effet de renforcer cette défiance. Taxer les riches, sortir du cadre budgétaire européen, taxer les richesses…: c’est une formation qui se revendique encore du communisme, ce qui n’est pas anodin.” En Wallonie et à Bruxelles, la défiance à l’égard de la démocratie et de l’initiative privée pourrait devenir encore plus grande. Avec le risque d’un effondrement généralisé.

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