Pourquoi le PTB est économiquement dangereux
Une opération de crédibilisation du parti d’extrême gauche est en cours à Mons, Forest ou Molenbeek. Cela ne modifie pas les fondements d’un parti aux racines maoïstes, qui ne porte guère le secteur privé dans son cœur. Des politiques et des experts s’émeuvent, les banques s’inquiètent.
L’opération “normalisation” du PTB est entamée, avec l’appui du PS, dans les communes de Mons, Forest et Molenbeek. Ne vous avisez pas d’affirmer sur les réseaux sociaux qu’un cordon sanitaire serait nécessaire à son encontre ou que sa participation à des majorités est dangereuse au risque de recevoir une volée de bois “rouge” en retour. Ne le qualifiez même pas d’extrême, on vous rétorquera que le PTB est un parti démocratique. D’une gauche radicale, qui serait acceptable.
Vraiment ? Le parti communiste n’a jamais renié ses racines communistes, inspirées de la révolution culturelle chinoise des années 1960. “Historiquement, le PTB est un parti maoïste, proche de la Chine, souligne Pascal Delwit, politologue à l’ULB et fin connaisseur du parti. Dans une certaine mesure, cela n’a pas changé. Ils ne crient pas ‘vive Xi Jinping et vive la Chine’. Mais c’est un des seuls partis que je connaisse en Europe qui, lors de chacun de ses congrès, consacre un espace dédié à la Chine.”
“Historiquement, le PTB est un parti maoïste, proche de la Chine. Dans une certaine mesure, cela n’a pas changé.” – Pascal Delwit (ULB)
Depuis 2008, il s’est ouvert aux “réalités du terrain”. Reste-t-il révolutionnaire ? “Si l’on entend par ‘révolutionnaire’ une ‘révolution des idées’, la remise en question de la société telle qu’elle est ou la volonté de changer le modèle capitaliste, alors oui, nous sommes toujours révolutionnaires, nous confiait David Pestieau, directeur politique du PTB et, dans les faits, numéro deux du parti, dans le cadre du vaste dossier consacré au PTB avant le scrutin de juin dernier. En revanche, si l’on veut faire croire que nous sommes pour la violence, c’est faux. Le grand soir, nous n’y croyons plus.”
Le parti reste pourtant dangereux. Certains responsables politiques le disent ouvertement et des experts économiques mettent en garde, on ou off the record, confidentialité bancaire oblige.
“Je ne pactise pas avec le PTB”
“C’est très clair, tout le monde le sait, je ne pactise pas avec le PTB!” À l’heure où le PS noue des accords locaux avec ce parti, la voix de Paul-Olivier Delannois tranche. Homme fort du parti socialiste en Wallonie picarde, évincé du mayorat tournaisien par Marie-Christine Marghem (MR) en octobre dernier, il nous précise: “C’est un choix philosophique. Je ne veux pas pactiser avec les extrêmes, de droite ou de gauche. C’est très dangereux. Ils adoptent des prises de position que je ne peux pas digérer. Mais que ce soit clair, ce n’est pas un problème de personnes. J’ai siégé au Parlement avec Raoul Hedebouw et je le considère comme quelqu’un de brillant. En tant que bourgmestre de Tournai, j’avais une conseillère communale PTB que j’ai honorée parce qu’elle avait travaillé et étudié ses dossiers.”
Celui que l’on surnommait le “shérif de Tournai” voit deux menaces principales. “Au niveau international, le PTB ose dire qu’il n’y a pas d’agresseur dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine, je trouve cela totalement inacceptable, souligne-t-il. La Russie a agressé l’Ukraine, comment peut-on nier cette évidence ? Au niveau belge, le PTB fait de la démagogie du soir au matin, cela ne va pas. Si l’on écoutait ses dirigeants, on ne ferait que du logement social public, pas de tourisme, pas d’économie…”
Affectation des subsides
Pour illustrer son propos, Paul-Olivier Delannois prolonge: “Lorsque j’étais bourgmestre, les représentants du PTB voulaient utiliser tous les subsides possibles au service du logement social. Je m’évertuais à leur expliquer qu’un subside est affecté à une mission et que si on ne la remplit pas, on doit le rembourser. Il faut s’occuper du logement public, je ne dis pas le contraire, mais on ne peut pas faire que cela. Et des propriétaires privés apportent des solutions également, je m’insurge quand on les considère tous comme des propriétaires véreux.”
En clair : le PTB reste enfermé dans un carcan, obsédé par ses dogmes. “Cela me donne de l’urticaire quand j’entends le PTB s’exprimer au sujet du secteur privé, souligne le franc-tireur socialiste. Moi, je passe mon temps à discuter avec les entrepreneurs, les commerçants, etc. Ils réalisent des bénéfices? Mais heureusement, il ne manquerait plus que ça! Nous avons bien besoin de leur activité pour générer des revenus et de la croissance économique. S’il s’agit demain de considérer tous les patrons comme des voyous, je m’y opposerai.”
“Les majorités ? Je jugerai sur pièce”
Pourquoi, alors, le PS a-t-il décidé de “pactiser” avec le PTB, lui qui s’y refusait jusqu’ici. Tout en fustigeant les amitiés internationales du parti communiste, son président, Paul Magnette, précisait à La Libre: “Nous avons des divergences majeures et nous continuerons à les exposer. Mais convenez que ça n’aura pas beaucoup d’influence sur la politique du parking à Mons. Nous sommes socialistes et nous n’allons pas devenir communistes. Quand nous gouvernons avec les libéraux, nous ne devenons pas libéraux.”
“Je ne juge pas mes collègues qui font ce genre de choix, souligne Paul-Olivier Delannois. C’est très personnel. À Mons, la façon dont Georges-Louis Bouchez a mené la campagne a certainement contribué à cette décision. Quand il a traité le PTB de “couillons”, Paul Magnette a volontairement ou non ouvert la porte à une collaboration : s’ils se disaient prêts, il ne pouvait pas refuser. La direction de mon parti s’est également rendu compte que ce refus de collaborer servait en premier lieu Georges-Louis Bouchez, dont la dérive populiste me fait tout aussi peur. Le PTB, de son côté, se rendait compte qu’il atteignait un plafond et qu’il devait changer de stratégie.”
Tout en étant critique, il observe: “Je jugerai sur pièce. Mons est un laboratoire. Au-delà du programme, je serai surtout intéressé de voir comment le PTB réagira aux réalités concrètes du pouvoir. Il aurait mis de l’eau dans son vin ? C’est bien la raison pour laquelle je serai attentif. Pour l’instant, l’eau n’est toujours pas versée dans le vin. Les accords, c’est bien, mais le plus important, c’est le quotidien de la politique.” L’élu continuera à parler de “parti d’extrême gauche”, n’en déplaise à ses collègues.
“Mons est un laboratoire. Au-delà du programme, je serai surtout intéressé de voir comment le PTB réagira aux réalités concrètes du pouvoir.” – PAUL-OLIVIER DELANNOIS (EX-BOURGMESTRE DE TOURNAI)
L’inquiétude des banques
L’arrivée du PTB dans la majorité communale de Mons coïncide avec le refus annoncé par Belfius de financer le plan Oxygène wallon pour la Cité du Doudou, après qu’ING, BNP Paribas Fortis et CBC en aient fait de même. Elle faisait partie d’une liste de sept villes et communes – avec Liège et Charleroi en tête – dont la situation budgétaire est préoccupante. L’extrême gauche au pouvoir serait une inquiétude supplémentaire.
Au sein des quatre banques concernées, on refuse de s’exprimer en on sur le sujet, confidentialité oblige. Mais on se justifie. “Que ce soit clair, la décision des banques n’est pas directement liée au PTB, nous dit une source de premier plan. Elle repose sur des éléments financiers : ces sept communes sont mal gérées, la dette est intenable… Voilà la raison! Maintenant, il est évident que la participation du PTB n’aide pas, pas parce qu’il s’agit du PTB, mais bien parce que c’est un parti mettant les considérations budgétaires au second plan. Cela vaut aussi pour Paul Magnette, président du PS, quand il minimise l’importance du déficit et de la dette. Et cela vaut, de même, si un pouvoir est dirigé par des écologistes décroissantistes. Nous attendons une reconnaissance de dette et des promesses d’efforts pour corriger la trajectoire.”
Il en va des pouvoirs publics comme des entreprises, nous précise cette source. “Si vous vous rendez compte que le management aime faire des sorties à Dubai en y dépensant l’argent de la société, vous ne la financerez plus. De même, quand vous regardez le programme d’un parti et que vous vous rendez compte que tout est gratuit, en affirmant qu’il suffit d’aller chercher l’argent où il est, alors qu’il n’y est pas, vous hésiterez à le soutenir financièrement. Avouez que cela ne donne pas confiance.”
Le communisme ne fonctionne pas
C’est la politique économique qui est en cause, précise-t-on au sommet des banques concernées, pas le porteur de message. “Cela étant dit, si le communisme était une doctrine qui avait fonctionné, on le saurait. Après un certain laps de temps, elle ne mène qu’à l’écroulement du budget et de l’Etat. Ce modèle ne fonctionne pas et les marchés réagiraient encore plus durement que les banques. Il crée un appareil public hypertrophié, onéreux, démotivé et qui ne valorise pas la création de richesses. Une analyse de risque peut rapidement démontrer que sur le long terme, c’est intenable.”
Cela étant, précise l’une de nos sources, “on pourrait faire la même démonstration avec le programme économique de Donald Trump qui veut diminuer les impôts drastiquement, tout en multipliant les dépenses. C’est tout aussi intenable”.
“Anti-Otan, démagogique”
Tranchant avec la prudence de certains milieux académiques au sujet du PTB, l’économiste de l’UCLouvain Jean Hindriks nous répond en quelques mots et sans concession: “Le PTB est un parti prorusse et anti-Otan. C’est la démagogie contre la démocratie. Le temps est venu de dire aux gens ce qu’ils doivent savoir et non ce qu’ils veulent entendre.”
“Peut-être sommes-nous trop complaisants avec le PTB”, acquiesce un autre économiste, Bruno Colmant, qui évoquait pourtant un “procès d’intention” fait à ce parti lorsqu’on le juge dangereux pour les finances publiques. “Nous confondons peut-être la sympathie inspirée par Raoul Hedebouw et notre jugement à l’égard du parti, prolonge Bruno Colmant. Le PTB tire également son succès des 30% de Belges francophones qui peinent à sortir la tête de l’eau. Cela étant, je pense que l’on oublie trop souvent de le confronter à l’aboutissement de la logique de son programme, notamment en ce qui concerne les libertés.” Mais le PTB n’est plus un parti qui joue cartes sur table, il fait bonne figure. Ses penchants autoritaires, il les masque désormais…
Lors de la présentation du programme de majorité à Forest, le chef de file PTB, Simon de Beer, affirmait: “On a toujours la même ambition, celle de changer la société dans son ensemble”. Tout en précisant, curieusement, lorsqu’on lui demandait également si ce parti restait révolutionnaire : “S’il s’agit de faire peur aux gens en disant qu’il y aura des têtes sur des piquets, bien sûr que non…” Voilà, au fond, une bien drôle de façon de rassurer…
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