Pourquoi la Chine investit dans la dette publique européenne

© Reuters/John Kolesidis

Pékin a tout intérêt à ce que l’Europe, son premier marché d’exportations, sorte de la crise de la dette dans laquelle elle est engluée. Mais ses rachats d’obligations d’Etats en difficultés ne sont en aucun cas une solution de long terme, explique Bei Xu, économiste pour la banque de financement, Natixis. Interview.

La Chine a réaffirmé ce mercredi que l’Europe allait rester un marché d’investissements pour elle. La Chine s’était déjà engagée l’an dernier à soutenir d’autres pays de la zone euro confrontés au renchérissement du coût de leur dette souveraine, comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal. Quel est son intérêt à investir dans des dettes jugées à risque? La Chine y a d’abord un intérêt d’ordre économique: l’Europe est le premier marché en termes de débouchés de ses ventes à l’international (22% de ses exportations contre 17% pour les Etats-Unis). De ce fait, il est important pour la Chine que les pays européens soient en bonne santé économique, qu’ils continuent de consommer et d’importer ses produits. Ensuite, le fait qu’elle affirme son soutien à la dette souveraine européenne “sécurise” aussi l’encours de ces dettes qu’elle aurait déjà achetées. Enfin, la Chine intensifie la diversification de ses réserves de change en termes de devises et d’actifs, aujourd’hui dominées par les treasuries américains. Or on l’a vu avec la crise de la dette aux Etats-Unis, la question de confiance peut se poser. Il est à éviter de mettre les oeufs dans un même panier.

N’est-ce pas aussi une occasion de faire de bonnes affaires, les taux d’intérêts sur ces obligations souveraines des Etats en difficultés de la zone euro étant actuellement très élevés?

C’est un raisonnement financier que l’on peut envisager, mais je n’y crois pas trop. Quand on regarde la politique de gestion de ses réserves de change pratiquée par la Chine jusqu’à présent, il ne s’agit pas de réaliser des plus-values à court terme mais bien de placer ses énormes – près de 3200 milliards de dollars – réserves de change. A ce titre, acheter de la dette italienne – l’une des dettes européennes les plus liquides – serait avantageux pour la Chine.

Et une façon de renforcer sa présence en Europe?

Elle le faisait déjà, par le biais d’investissements directs dans des groupes industriels européens. Beaucoup d’acteurs économiques chinois sont aujourd’hui présents en Europe.

Combien la Chine a-t-elle acheté de dette souveraine des pays en difficultés de la zone euro depuis un an? Malheureusement, nous ne disposons d’aucune statistique sur ce point. Et nous ne connaissons pas le timing des actions concrètes après (ou avant !) les déclarations officielles de soutien des dirigeants chinois.

La rumeur – démentie par la suite – d’un accord entre Pékin et Rome sur le rachat d’obligations souveraines ont fait rebondir les Bourses mondiales. La Chine est-elle le sauveur de la zone euro en crise?

Les marchés sont actuellement extrêmement sensibles et ont tendance à sur-réagir aux bonnes nouvelles. Or il ne faut pas le nier: le fait que la Chine achète de la dette des pays sous tension des marchés est une bonne nouvelle, car cela offre une bouffée d’oxygène à ces pays émetteurs qui cherchent à lever de l’argent. Mais c’est une réponse de court terme, en aucun cas une solution de sortie de crise de la zone euro. La Chine ne peut et ne veut pas racheter la totalité de la dette des pays européens. Cela ne résout donc pas les problèmes structurels de fonds des pays européens.

En contrepartie de ses investissements en Europe, la Chine demande à l’UE de lui reconnaitre le statut d’économie de marché à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Qu’est-ce que cela changerait pour elle?

Reconnaître la Chine comme économie de marché à l’OMC facilitera la résolution d’enquête anti-dumping au profit de la Chine. Comme ce n’est pas encore le cas pour la Chine, le coût de référence pour conclure une enquête anti-dumping est le prix d’un pays similaire et non celui de la Chine. La Chine perd donc plus “facilement” des enquêtes anti-dumping à l’OMC car il est impossible d’utiliser son propre coût de production pour évaluer l’existence de dumping.

Propos recueillis par Emilie Lévêque (L’Expansion.com)

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