Pourquoi la Belgique a pu maintenir sa note financière

Le 25 octobre, l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) a annoncé qu’elle maintenait la note financière de long terme de la Belgique. Une annonce qui en a surpris plus d’un. (Photo by Cem Ozdel/Anadolu Agency/Getty Images) © Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

L’agence S&P n’a dégradé ni les perspectives ni la note de l’État belge. Une décision qui souligne la richesse du pays, mais qui n’élude pas la nécessité de remettre les finances publiques sur les rails.

Le 25 octobre, l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) a annoncé qu’elle maintenait la note financière de long terme de la Belgique. Elle reste donc à son niveau AA, soit une des trois meilleures notes possibles, derrière AAA et AA+. L’agence a, en outre, accompagné cette confirmation d’une “perspective stable” : elle ne s’attend pas à revoir son jugement dans les mois à venir.

Cette annonce a surpris. D’une part parce que nos finances publiques ne sont pas spécialement florissantes. Et d’autre part parce qu’une semaine auparavant, l’autre grande agence de notation, Moody’s, avait assigné une perspective négative à la note belge : autrement dit, elle soupèse la décision de peut-être dégrader la note belge. Une note qui, chez Moody’s, est déjà un cran plus bas, à Aa3, soit en quatrième place derrière Aaa, Aa1 et Aa2. Quant à Fitch, la troisième agence, qui devrait remettre en février 2025 un nouveau bulletin à notre pays, elle rejoint Moody’s avec un rating AA- et une perspective, elle aussi, négative.

Pourquoi passer en revue ces notations et ces avis ? Parce que ces notations financières constituent des labels sur lesquels de grands investisseurs comme les banques, les assureurs et les fonds d’investissement se basent pour évaluer la capacité d’un émetteur à rembourser sa dette. Alors, comment expliquer la notation financière de la Belgique, et quelles évolutions peut-on attendre ?

Une bonne surprise

On ne va pas le cacher, le maintien par Standard & Poor’s de la note de la Belgique est une bonne surprise. “Beaucoup s’attendaient en effet à ce que S&P fasse la même chose que les deux autres agences et attribue donc des perspectives négatives à la note belge, confie Jean Deboutte, directeur à l’Agence de la Dette. Une étape qui, normalement, précède le passage à l’acte et la baisse de la note financière.”

“Cette décision m’a surpris. Je m’attendais au moins à une mise en perspective négative comme Moody’s l’avait fait il y a quelques jours, d’autant plus que S&P a eu une attitude plus marquée par rapport à la France”, avoue Bernard Keppenne, chief economist chez CBC. S&P avait en effet abaissé en mai dernier la note française à AA-, soit en dessous de la note de la Belgique.

Chez Moody’s, en revanche, la note française est un cran au-dessus de la note belge. Bernard Keppenne ajoute être d’ailleurs “étonné de l’attitude actuelle des agences de rating par rapport aux pays européens. Elles semblent faire preuve d’un peu trop de mansuétude à l’égard de certains pays qui étaient bien notés auparavant, mais oublient de rehausser la note de certains autres. L’Espagne est encore le plus bel exemple.”

Ce dernier pays devrait en effet afficher une croissance de 2,8% cette année, ramener sa dette publique à 107% environ et son déficit à 2,7% du PIB. “On a une amélioration des finances publiques, une restructuration du tissu économique et pourtant, la note espagnole chez S&P est un simple A. Cela ne se justifie plus”, souligne l’économiste.

Pourquoi la Belgique résiste ?

Alors, comment expliquer le maintien de la bonne note de la Belgique ? Sur le plan des finances publiques, certes, ce n’est pas fameux. Standard & Poor’s ne prévoit qu’une amélioration très progressive du déficit public, qui devrait être ramené à 3,7% du PIB en 2025, et un ratio de dette publique qui devrait rester aux alentours de 100% du PIB jusqu’en 2027. “Nous nous attendons à ce que le nouveau gouvernement, une fois formé, mette en œuvre des mesures de consolidation budgétaire”, commente S&P.

Toutefois, “les agences de rating regardent davantage que seulement le déficit ou le taux d’endettement, explique Jean Deboutte. L’économie est un élément très important. Et de ce côté, nous avons de bonnes nouvelles en Belgique. La croissance est depuis des années supérieure à la moyenne de la zone euro (S&P s’attend à une croissance de 1,2% cette année et de 1,3% en moyenne annuelle entre 2025 et 2027, ndlr) et, autre élément important, la Belgique est un pays créditeur à l’égard du reste du monde.” La Belgique a globalement une créance nette sur l’étranger de 65% du PIB, elle est donc peu dépendante des financements étrangers, ce qui n’est pas nécessairement le cas des pays du sud de l’Europe.

Aujourd’hui, la dette belge est détenue en majorité par des investisseurs étrangers. La Banque nationale, qui avait racheté beaucoup d’Olo (obligations de l’État) pour soutenir l’économie en abaissant les taux longs, réduit désormais peu à peu son stock, maintenant que la politique monétaire se normalise. “Selon les derniers chiffres, la BNB aurait encore 24,3% d’Olo, précise Jean Deboutte, et les investisseurs belges privés 14,5%. Les investisseurs belges détiendraient donc 38,8% des Olo. C’est le résultat le plus bas que l’on ait observé depuis l’euro, dit-il. Mais que les investisseurs étrangers détiennent 61,2% des obligations de l’État n’est pas un phénomène exceptionnel en Europe, ajoute le directeur de l’Agence de la Dette. Les dettes française et allemande aussi sont détenues en grande partie par l’étranger.”

Si jamais ces investisseurs étrangers n’étaient plus intéressés par détenir des obligations belges, cela ne poserait-il pas des problèmes à un pays dont les besoins de financement (qui comprend le financement du déficit ainsi que les refinancements d’anciennes dettes arrivant à maturité) étaient de près de 50 milliards d’euros cette année ? C’est là qu’intervient la richesse des Belges. Les ménages du pays détiennent un patrimoine financier net de plus de 1.200 milliards d’euros. Et quand l’État leur demande de lui prêter de l’argent, ils répondent présents, surtout lorsqu’il y a un petit incitant fiscal à la clé. On l’a vu à la fin de l’année 2011, en pleine crise de la zone euro, avec le succès des bons Leterme, et on l’a revu l’été de l’an dernier, avec la ruée sur les bons Van Peteghem.

Attention aux conséquences

Sur les marchés financiers, depuis quelque temps, la Belgique a même un léger avantage sur la France qui se débat dans ses problèmes politiques. Au moment d’écrire ces lignes, l’obligation de référence belge sur 10 ans se négociait avec un rendement sur 10 ans de 2,90%, alors que l’obligation de la France offrait 3,05%.

Le statu quo annoncé par S&P permet donc à l’Agence de la Dette de voir la suite des événements avec un peu moins de stress. “Si les trois principales agences de rating avaient toutes donné des perspectives négatives, cela n’aurait pas été très confortable, avoue Jean Deboutte. Nous aurions sans doute eu des questions des investisseurs et des banques. La situation actuelle, avec une agence qui maintient un rating un peu plus élevé et des perspectives stables, permet d’avoir une conversation un peu plus équilibrée avec eux. Néanmoins, les deux autres agences ont des perspectives négatives et on ne peut pas exclure qu’elles passent à l’acte. Cela dépendra surtout du plan budgétaire et de la formation du gouvernement”, ajoute-t-il.

Que se passerait-il alors si l’une de ces deux agences abaissaient encore notre note ? “Souvent, l’impact d’une dégradation est insignifiant parce que les investisseurs sur les marchés sont déjà au courant des problèmes du pays concerné et en tiennent compte pour déterminer le taux d’intérêt exigé sur ses obligations, explique le directeur de la recherche économique de l’IESEG, Éric Dor. Toutefois, ajoute-t-il, lorsqu’une dégradation entraîne le déplacement de la note vers une catégorie inférieure, qui déclenche des effets de seuil automatiques sur la demande d’obligations du pays par les grands investisseurs, il y a alors un effet à la hausse sur le taux d’intérêt.”

Par exemple, si Moody’s ou Fitch abaissait encore la note belge, notre pays passerait dans la catégorie “simple A”, et cela obligerait mécaniquement certains fonds de placement, qui ne peuvent détenir que des dettes notées au minimum double A, à vendre leurs obligations belges, ce qui pèserait sur le marché et ferait remonter les taux. “Une dégradation à une catégorie simple A impliquerait aussi une augmentation des exigences de fonds propres pour les banques qui détiennent ces obligations”, ajoute Éric Dor.

Comme le lait sur le feu

Il faudra donc surveiller ces notes financières comme le lait sur le feu. D’autant plus que la remontée des taux d’intérêt depuis trois ans commence à peser sur les finances publiques. En 2022, l’État fédéral n’avait payé que 6,8 milliards d’intérêt sur sa dette. En 2023, les charges étaient remontées à 8,5 milliards environ. Cette année, la facture sera de 9,9 milliards, et plus encore les années qui viennent, car le taux moyen payé sur la dette du pays est en dessous du taux actuellement en vigueur sur les marchés.

“Effectivement, en valeur nominale, l’augmentation est assez forte, commente Jean Deboutte, mais elle est plus faible en pourcentage du PIB. Les charges d’intérêt représentaient 1,24% du PIB en 2022, et cette année nous sommes à 1,64%. Selon les prévisions faites à politique constante, nous devrions être un peu en dessous des 2% du PIB en 2027, précise Jean Deboutte. C’est vrai, ajoute-t-il, que pendant 30 ans, les taux et les charges d’intérêt ont énormément diminué. Nous sommes passés de charges – pour l’ensemble de la dette publique, donc pas uniquement la dette fédérale – qui s’élevaient à 9% du PIB en 1995 à moins de 2% en 2023. C’est donc 7% du PIB qui a été économisé en 30 ans. C’est spectaculaire”, souligne Jean Deboutte. Aujourd’hui, cependant, le balancier va dans l’autre sens : les taux remontent depuis trois ans, ce qui accroît la pression sur l’amélioration de nos finances publiques.

“Nous avons la main sur la gestion du refinancement des dettes qui arrivent à échéance, mais pas sur le déficit public, ajoute Jean Deboutte. Le fédéral accuse cette année un déficit (en termes de caisse, ndlr) de 19 milliards d’euros, qui est donc de la nouvelle dette. Si nous parvenons à réduire notre déficit – et l’Union européenne nous y oblige – nous aurons moins de dettes, et donc moins de charges financières à payer. C’est d’autant plus à souligner dans le contexte de la remontée des taux d’intérêt.”

Si les trois principales agences de rating avaient toutes donné des perspectives négatives, cela n’aurait pas été très confortable
Jean Deboutte

Jean Deboutte

directeur à l’Agence de la Dette

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