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Nos dirigeants devraient ‘jouer leur peau’

Hasard de calendrier oblige, le 1er mai 2018 a servi de date de lancement de la campagne électorale en Belgique. Sans doute l’occasion de rappeler aux citoyens de lire en urgence le dernier livre de Nassim Nicholas Taleb (Jouer sa peau, aux éditions Les Belles Lettres), un libano-américain, qui est à la fois philosophe, mathématicien et ancien trader à la Bourse de New York.

Pour Nassim Nicholas Taleb, juger un homme politique, un chef d’entreprise ou un général d’armée, rien n’est plus simple. Il se pose une seule question: sa peau est-elle en jeu ? Autrement dit, va-t-il ressentir les conséquences de sa décision ou pas ? Si ce n’est pas le cas, alors pour lui, l’affaire est close: la personne en question ne mérite pas sa confiance. Point barre.

La thèse de son livre, c’est qu’aujourd’hui, beaucoup de décideurs prennent des décisions dont ils n’ont pas à assumer les ratages. Comme il l’a dit dans plusieurs interviews, si vous êtes mécanicien d’hélicoptère, vous devriez être pilote d’hélicoptère. Et de la même manière, si vous décidez d’envahir l’Irak, comme l’ont fait les hommes politiques américains, les personnes qui votent pour vous devraient voir leurs enfants embrigadés dans l’armée. Bref, toute la thèse de Nassim Nicholas Taleb, c’est que si les décideurs devaient assumer leurs éventuelles erreurs, ils ne prendraient pas les mêmes décisions.

Si les décideurs devaient assumer leurs erreurs, ils ne prendraient pas les mêmes décisions

Dans la Rome antique, l’architecte qui avait dessiné les plans d’un pont devait le jour de l’inauguration se mettre sous le pont et attendre que l’on retire les échafaudages. De la sorte, si ces calculs étaient mauvais, il était sûr de mourir écrabouillé. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, nous dit Nassim Nicholas Taleb. Pourquoi ? Parce que les intellectuels et les politiques, c’est-à-dire les personnes les plus influentes et qui ne représentent qu’un pourcentage infime de la population, prennent souvent des décisions sans prendre un seul risque personnel.

Loin de se contenter de fustiger les politiques, Nassim Nicholas Taleb applique, au contraire, sa vision à toutes les situations de la vie. Quand quelqu’un lui demande comment il voit l’avenir de la Bourse, il répond que la question est idiote, que son interlocuteur ferait mieux de lui demander quelles sont les actions qu’il a en portefeuille, autrement dit, son pronostic sur l’évolution de la Bourse n’a de sens que s’il recommande des actions qu’il a en portefeuille. S’il a raison, il va gagner de l’argent. Et si c’est faux, il en perdra. Avec ce genre de raisonnement, nous sommes aux antipodes de ce qui se fait actuellement.

En lisant ce livre, vous saurez pourquoi on devrait cesser d’écouter ceux qui parlent au lieu d’agir. Vous saurez pourquoi les entreprises font faillite. Pourquoi imposer la démocratie aux autres pays ne marche pas. Ou comment il se fait que nous ayons plus d’esclaves aujourd’hui qu’au temps de Rome.

Pour ce dernier point, Nassim Nicholas Taleb risque de faire grincer nos dents, ce qui est toujours salutaire, car il avoue qu’il n’a jamais, mais au grand jamais, emprunté de l’argent. Il est allergique à toute forme d’emprunt, pour une voiture ou pour une maison. La raison ? Il part du principe, comme les Romains de l’antiquité, qu’un débiteur n’est pas un homme libre, mais un esclave. En l’occurrence d’une banque ou d’un employeur. C’est rude comme approche, mais Nassim Taleb est sans doute l’un des auteurs les plus déroutants aujourd’hui. Et il nous force à réfléchir sur nous-mêmes et nos travers, et pas seulement sur des politiciens ou des intellectuels qu’il traite bien souvent d’idiots.

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