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Merkel et Tsipras dans la délicate position de coureurs de Formule 1

Les négociateurs en piste dans la crise grecque sont comparables à des coureurs de Formule 1. Lancés à toute vitesse sur un circuit qui ne fait que tourner en rond, il s’échauffent, se tamponnent, vont de dépassement en queue de poisson avant de, fatigués, faire étape dans leurs écuries respectives, chargées de les regonfler à bloc pour les tours suivants.

Et même si pour le public, ces petits intermèdes sont vécus comme autant de privations en plein spectacle, les pilotes, eux, savent qu’ils roulent davantage pour leurs écuries que pour la foule en délire. Car à la fin de la saison, ce sont elles qui décident de renouveler leur contrat…ou pas.

Merkel et Tsipras sont aujourd’hui dans cette position très délicate qui consiste à se montrer publiquement heureux d’une fin (?) de course au coude-à-coude et sans sortie de route, tout en sachant pertinemment qu’à la maison, il reste des comptes à rendre et une légitimité à défendre. Nul n’est prophète en son pays. Qui eut cru que cet adage vaudrait un jour pour les leaders politiques eux-mêmes ?

Alors que la moitié des Allemands souhaite voir la Grèce quitter la zone euro, Angela Merkel est effectivement bien mal prise. Ce n’est pas le champagne que l’on va sabrer à son retour au bercail après un accord obtenu à l’arrachée, elle le sait ; mais il ne faudrait pas non plus que l’arme se retourne contre elle. Pour éviter le retour de flammes sur ses terres, elle avait donc fini par adopter une position très ferme, quitte à mettre à mal le sacro-saint duo franco-allemand. “Il n’y aura pas d’accord à tout prix”, avait-elle lâché à son arrivée au sommet européen de la dernière chance, alors que François Hollande martelait son soutien indéfectible à la Grèce. Sommet auquel elle avait pris soin de se rendre flanquée de son ministre des Finances Wolfgang Schäuble, plus intraitable qu’elle encore sur le sort des Grecs et dès lors politiquement au top dans les sondages allemands : sans son soutien en cas d’accord, elle était assurée de perdre sa légitimité non seulement en Allemagne, mais aussi dans son propre groupe parlementaire. Or le Bundestag va devoir le voter, cet accord.

Même si à l’heure d’écrire ces lignes on ne sait pas encore quelle serait la réaction du Parlement grec quant au deal obtenu lundi matin, Alexis Tsipras est sans doute lui aussi revenu penaud de Bruxelles. Et pour cause : acculé, poussé dans ses derniers retranchements, il a cédé à pratiquement toutes les exigences de ses créanciers, exigences qui avaient été réfutées par 60 % de son peuple à peine une semaine plus tôt. Sera-t-il lynché tel un faux prophète ? Quoi qu’il en soit, bien plus encore que Merkel, son avenir politique dans son propre pays est pour le moins incertain.

Ailleurs en Europe aussi, il faudra faire passer la pilule. Ainsi, les Parlements français, autrichien, estonien, lituanien et finlandais doivent également voter l’accord intervenu ce lundi 13 juillet. Et si les trois premiers devraient donner leur feu vert sans trop de discussion, en Lituanie et en Finlande – deux pays qui plaidaient pour le Grexit – les débats risquent d’être houleux.

Comme le disait très justement Guy Verhofstadt quelques minutes après la survenance de l’accord : “Il ne s’agit pas d’une crise grecque, mais d’une crise des institutions européennes. Comment voulez-vous que des décisions soient prises à l’unanimité par des leaders d’extrême gauche et d’extrême droite ? Une deuxième crise comme celle-là, l’Europe n’y survivra pas.” Paradoxalement, il faut sans doute être un ancien Premier ministre pour être un vrai prophète. Dans son pays et ailleurs.

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