Mener le bon combat contre l’inflation
Que traduit la difficulté des banquiers centraux à maîtriser l’inflation? En 2023, celle-ci sera sans doute enrayée dans la plupart des pays, mais pas sans avoir causé de sérieux dégâts.
Dans le monde de la politique monétaire, on raconte que seuls les faucons vont au paradis des banquiers centraux. Comme l’a un jour dit un président de la Réserve fédérale américaine (Fed): “enlever le bol de punch lorsque la fête commence à battre son plein”, en d’autres termes, avoir le courage de freiner une économie en trop forte hausse, fait partie des qualités les plus admirées chez les économistes.
Mais pendant les 20 années précédant la pandémie, les problèmes macroéconomiques les plus urgents dans la plupart des grandes économies mondiales furent seulement un faible taux de croissance et d’inflation. Jusqu’ici, les banquiers centraux n’ont donc pas eu l’occasion d’enlever le bol de punch pour prouver leur mérite.
Les banquiers centraux espéraient au départ que l’inflation se règlerait sans une récession qui anéantirait la croissance.
Or aujourd’hui, ces derniers ont enfin une chance de briller grâce à la hausse forte et persistante de l’inflation qui a commencé en 2021. En 2023, cette inflation sera maîtrisée dans la plupart des pays, mais pas sans avoir causé de sérieux dégâts.
Le problème a pris des proportions inquiétantes en 2022 quand l’invasion russe en Ukraine a provoqué une brusque hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie. De nombreuses économies ont vu l’inflation augmenter comme jamais depuis des décennies. Le taux de croissance des prix à la consommation a atteint les 9% aux Etats-Unis, un record de 10,7% dans la zone euro… et bien plus dans des économies émergentes particulièrement perturbées.
Confluence de forces inflationnistes
Ces prix en hausse sont le résultat d’une confluence de forces inflationnistes. Les mesures d’aide généreuses pendant la pandémie et la politique monétaire accommodante ont alimenté une hausse des dépenses de consommation. Ces dépenses ont surpassé les capacités des usines et des ports, souvent en raison de problèmes d’approvisionnement liés à des conditions météorologiques extrêmes, à de nouveaux foyers de covid et à d’autres chocs. L’envolée des prix du pétrole, du gaz et des céréales, liée à la guerre en Ukraine, a jeté de l’huile sur le feu.
Avec la hausse de l’inflation, un intense débat économique a éclaté autour de la réaction que devraient avoir les banques centrales pour freiner l’économie (par exemple augmenter les taux d’intérêt) et contrôler l’augmentation des prix. Certains ont préconisé une approche plus douce, arguant qu’une grande part de l’inflation observée était liée à des problèmes d’approvisionnement et qu’elle se résorberait en grande partie d’elle-même. D’autres ont soutenu que tant que les consommateurs étaient prêts à dépenser, un allègement de la pression sur les prix dans un secteur économique leur laisserait plus d’argent à dépenser, tout en augmentant les prix dans un autre pan de l’économie.
Atterrissage en douceur?
Début 2022, ce deuxième point de vue a commencé à convaincre de nombreux banquiers centraux. La Réserve fédérale, qui attendait patiemment que les prix baissent d’eux-mêmes en 2021, a augmenté son principal taux directeur de 0,25 point de pourcentage en mars et de 0,5 point en mai, et a fait un bon avec 0,75 point en juin, septembre, octobre et novembre. Les banquiers centraux espéraient au départ que l’inflation se réglerait sans une récession qui anéantirait la croissance. En mars, le président de Réserve fédérale, Jerome Powell, affirmait que “les données historiques permettaient d’être optimiste” quant à la capacité de la banque centrale à réaliser un “atterrissage en douceur”.
En août, Jerome Powell changeait de ton et annonçait que de plus forts taux d’intérêt permettraient de calmer l’inflation, mais qu'”ils feraient également mal”. D’autres banquiers centraux opinèrent alors du chef. Et Isabel Schnabel, membre du conseil d’administration de la Banque centrale européenne, de déclarer: “Pour la première fois en 40 ans, les banques centrales doivent prouver leur détermination à protéger la stabilité des prix”. Les prévisions de la Fed ont commencé à indiquer une hausse du chômage en 2023, et la Banque d’Angleterre annonçait une baisse du PIB de la Grande-Bretagne.
Selon la Banque mondiale, en 50 ans, le monde a d’ailleurs rarement connu une telle évolution vers des politiques de restriction de la croissance aussi synchronisée que celle de 2022. A l’exception de 1982, lorsque les responsables politiques du monde entier décidèrent de mettre fin à l’inflation qui durait depuis une décennie. Ils y parvinrent, mais cela provoqua une récession mondiale.
Ce fut une période difficile pour de nombreuses personnes, mais qui reste perçue comme une réussite pour la plupart des banquiers centraux. Malheureusement, en 2023, cette profession semble prête à accueillir une nouvelle génération de héros.
Ryan Avent, correspondant spécialisé en économie à Washington pour “The Economist”
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