L’inflation record ouvre une ère de bras de fer politiques et sociaux

Thierry Bodson, président de la FGTB, mobilise en front commun. © Belga
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Les 8,31% en mars remémorent l’époque du choc pétrolier et de… la victoire d’Abba à l’Eurovision. Mais ils ouvrent surtout une période de tensions entre gauche et droite, syndicats et patronat.

Flash back sur les années 1970. L’inflation record qui touche notre pays en mars, à hauteur de 8,31%, réveille les fantômes d’une époque oubliée, quand le choc pétrolier avait fait exploser les prix et plongé nos économies. “Je l’avais dit et prédit, souligne Bruno Colmant, professeur à l’ULB et à l’UCLouvain. Nous y sommes. Et cela donne un coup de jeune à ceux qui se rappellent les années 70. A titre personnel, je me souviens de la coïncidence entre la victoire d’ABBA à l’eurovision et la crise pétrolière.” Certains soulignent en réponse que l’époque actuelle est plus sombre encore avec la guerre en Ukraine et les mélodies certes envoûtantes, mais sombres de Stromae.

Le contexte est d’autant plus délicat que cette inflation est plus élevée en Belgique qu’ailleurs, notamment en raison d’une énergie surtaxée. “L’Inflation belge est supérieure à celle de tous les autres pays de la zone euros, à part l’Estonie et la Lituanie qui sont à côté de la Russie”, soulignait en début de semaine l’économiste Eric Dior (Ieseg Schhol of Management). Elle pourrait bientôt flirter avec les 10%. La Banque nationale prévoit désormais une inflation moyenne de 7,4% en 2022 contre les 4,9% annoncés lors des prévisions d’automne. Bref, il y a péril en la demeure.

Tensions sociales en vue

Des tensions sociales sont à prévoir. Car l’impact sur le pouvoir d’achat des Belges devient important, tandis que les entreprises souffrent de coûts en pleine explosion (énergie, indexation des salaires, matières premières…), tandis que la croissance commence à fléchir et que la pression sur les taux est réelle.

Pour la Fédération des entreprises de Belgique, la situation est très alarmante – elle le clame d’ailleurs depuis le début de l’année. “Il est crucial de préserver la compétitivité des entreprises dans ce contexte de grande incertitude, souligne cette semaine son administrateur délégué, Pieter Timmermans . La Belgique est une petite économie ouverte très dépendante des relations commerciales avec ses pays voisins (les exportations représentent près de 80% de la valeur ajoutée produite en Belgique). La Belgique est également dans le top 3 des pays de l’Union européenne en termes de coûts salariaux horaires. Les entreprises belges ne peuvent donc pas se permettre une nouvelle perte de compétitivité au risque de perdre des parts de marché voire de se retrouver en faillite avec, à la clé, de nombreuses pertes d’emplois.”

Et la FEB d’ajouter: “Dans ce contexte, il est au minimum nécessaire que la Loi de 1996 sur la sauvegarde de la compétitivité et la promotion de l’emploi soit appliquée strictement. Toutefois, l’application de la Loi de 1996 risque de ne pas être suffisante pour préserver la compétitivité des entreprises. C’est pourquoi la FEB demande aux partenaires sociaux et au gouvernement de réfléchir d’urgence aux mesures complémentaires possibles à prendre pour contrer au mieux cette vague d’inflation mais également pour sauvegarder la compétitivité de nos entreprises.” Les organisations patronales ont déjà réclamé à plusieurs reprises un saut d’index ou une révision de l’indexation automatique des salaires.

Pour les syndicats, c’est hors de question. “Inflation de 8%! Indexation des salaires plus que jamais vitale pour tous!, clame Geoffrey Goblet, secrétaire général de la FGBT. On y touchera pas! No way!”

Les syndicats mobilisent, d’ailleurs, en front commun: des actions régionales sont prévues le 22 avril et une manifestation nationale le 20 juin. “Nos affiliés estiment que les mesures prises par le gouvernement sont insuffisantes par rapport au pouvoir d’achat”, précise au Soir Thierry Bodson, président de la FGTB.

Bras de fer politique en vue?

Pour le gouvernement De Croo, cette question du pouvoir d’achat est une nouvelle source de tensions potentielles après le délicat dossier du nucléaire et alors que la Vivaldi boucle son contrôle budgétaire dans un contexte rendu délicat par les tensions internationales. “Combien de fois faudra-t-il rappeler que l’indexation des salaires et des allocations sociales est indispensable pour préserver le pouvoir d’achat de toutes et tous?, a déjà martelé Pierre-Yves Dermagne, vice-Premier PS, mardi 29 mars. Avec le PS? dans ce gouvernement, le saut d’index c’est non et ça restera non!” Les socialistes sont sur la défensive alors que les politiques sociales sont sous pression et que le PTB ne cesse de leur tailler des croupières dans les sonages.

Sir le MR mobilise ces derniers jours sur l’énergie ou les rythmes scolaires, il restez discret sur cette question des salaires. “L’indexation automatique est le pendant de la loi de 1996 qui contrôle les augmentations salariales, souloignait en début d’année son président, Georges-Lois Bouchez. Si on bouge l’indexation, on fait disparaître la loi de 1996. Il faut être juste par rapport à cela. Nous avons un système qui maintient l’équilibre, et je suis favorable à un système qui maintient l’équilibre.”

La pression pourrait toutefois venir du PS et d’Ecolo qui pourraient, en cheoeur, réclamer une révision de la loi de 1996 afin de permettre une plus grande latitude salariale face à cette inflation qui explose. Un tabou, qui n’est d’ailleurs pas inscrit dans la déclaration gouvernementale.

Face à ces niveaux d’inflation record, le gouvernement De Croo tergiverse, mais il devra finalement bien prendre le taureau par les cornes. Sous la pression, comme toujours.

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