Philippe Ledent

Les prix administrés n’effacent pas les déséquilibres, au contraire

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Seule l’adaptation des productions aux nouvelles conditions géopolitiques (et climatiques dans le cas des produits agricoles…) permettra de retrouver un équilibre entre l’offre et la demande.

Compte tenu de la forte vague d’inflation, se pose la question des mesures à adopter pour contrer la hausse des prix. Il existe différentes “familles” de mesures possibles. Une première consiste à augmenter les revenus des ménages pour leur permettre de mieux faire face à la hausse des prix. L’indexation automatique des salaires, des pensions et des allocations sociales fait partie de ce type de mesures. Rappelons que si elle est acquise en Belgique, cette indexation reste une exception à l’échelle européenne. D’autres mesures peuvent aussi être adoptées: hausse du salaire minimum, primes, baisse de la fiscalité sur le revenu du travail, etc.

Une deuxième famille de mesures consiste à jouer cette fois sur la fiscalité de la consommation. En baissant la TVA ou les accises, les prix des biens et services peuvent effectivement diminuer (ou moins augmenter), ce qui calme l’inflation.

Ce ne sont évidemment pas des solutions miracles. La baisse de la fiscalité diminue les recettes de l’Etat, creuse le déficit public et, in fine, ne fait que différer la ponction fiscale sur les revenus. De même, l’indexation automatique des revenus peut favoriser de nouvelles hausses de prix des biens et services ou encore détériorer la compétitivité de l’économie et faire perdre des emplois… donc des revenus. Bref, l’équation est malheureusement limpide: si l’on paie nos importations plus cher, et en particulier les importations d’énergie, l’économie dans son ensemble s’appauvrit.

Une troisième famille de mesures consiste à “geler” les prix ou à les administrer, ce qui signifie qu’ils sont sortis des forces du marché et régulés par l’Etat. Administrer les prix a un effet important et rapide sur l’inflation. On peut rappeler ici que la France, qui administre notamment certains prix de l’énergie, connaît actuellement un des taux d’inflation les plus faibles de la zone euro: 5,8% contre 9,9% en Belgique par exemple, selon la définition harmonisée de l’inflation.

Ceci étant, l’administration de prix n’est pas plus une solution miracle que les autres mesures décrites ci-dessus. Un blocage des prix à un certain niveau peut avoir deux conséquences. Soit la différence entre le prix du marché et le prix bloqué est payée par un autre agent économique que le consommateur final. Cela peut être l’Etat ou bien le producteur via la réduction “forcée” de sa marge (ce qui est le cas en France puisque EDF doit rétrocéder sa rente nucléaire pour financer le contrôle du prix de l’énergie). Soit personne ne compense cette différence et, confrontés à des coûts n’ayant eux pas baissé, les producteurs réduisent leur offre, créant une pénurie de fait.

Au final, quelqu’un paie donc bien la “facture” des prix administrés. Ces derniers n’effacent pas le problème des prix élevés, ils le déplacent. En effet, il ne faut pas oublier que l’augmentation des prix est le signal d’un déséquilibre entre l’offre et la demande dans le marché. Effacer le marché n’élude donc pas le déséquilibre.

Il n’y a, au final, pas de solution miracle. Seule l’adaptation des productions aux nouvelles conditions géopolitiques (et climatiques dans le cas des produits agricoles…) permettra de retrouver un équilibre entre l’offre et la demande. Et certaines variations de prix sont elles-mêmes un élément essentiel de ce nouvel équilibre.

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