“Les métiers en pénurie, c’est un problème de compétences”

Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Trois questions à Muriel Dejemeppe, professeure d’économie à l’UCLouvain…

Le demandeur d’emploi qui s’oriente vers un métier en pénurie a droit à un incitant fédéral. En un an, seules 337 personnes en ont bénéficié. Muriel Dejemeppe analyse l’échec de ce dispositif.

TRENDS-TENDANCES. Le faible impact de cet incitant fédéral sur les métiers en pénurie vous surprend-il?

MURIEL DEJEMEPPE. Pas vraiment. Le chiffre est peu élevé et en plus on ne sait pas si, même sans cette mesure, une partie de ces 337 personnes ne se serait pas de toute façon tournée vers ces métiers. A-t-on fait un bon diagnostic de la situation avant de prendre cette mesure? S’il y a tant de métiers en pénurie, c’est avant tout un problème de compétences. Les demandeurs d’emploi n’ont pas nécessairement les compétences requises pour exercer ces métiers. Les acquérir, ça prend du temps. Pour être efficaces, les incitants doivent être octroyés durant le processus de formation et pas seulement en fin de parcours.

– Cela signifie-t-il qu’on ne peut y remédier à court terme et que ces pénuries continueront à freiner la croissance des entreprises, comme l’a souligné récemment le Conseil supérieur de l’emploi?

– A court terme, ce n’est vraiment pas évident. Il faut agir structurellement en informant mieux les élèves du secondaire sur les débouchés professionnels réels des différentes filières et en les orientant vers les métiers porteurs, en partenariat avec les entreprises. Le gouvernement (de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’incitant en question étant lui fédéral, Ndlr) avait promis une réforme de la formation en alternance. Elle n’aboutira pas sous cette législature, c’est extrêmement dommage. Les liens entre formation et travail en entreprise demeurent insuffisants, c’est là qu’il faut agir. Mais je conviens qu’il n’est pas simple de coordonner les multiples acteurs impliqués.

Ne faudrait-il pas se montrer plus coercitif et obliger les personnes sans emploi à se former à ces métiers au pénurie?

– Allez-vous demander à la mère de famille qui élève seule ses enfants à se former à la boulangerie? Qui va s’occuper de ses enfants si elle doit travailler la nuit ou très tôt le matin? Certains métiers n’attirent plus car le salaire ne compense pas les désagréments, comme les horaires décalés. Et l’incitant fédéral – le droit de conserver 25% de l’allocation de chômage – n’y change pas grand-chose, comme il ne change pas grand-chose pour la mobilité interrégionale. Si les connexions de transport public entre le domicile et le lieu de travail sont complexes, que le trajet dure des heures, une prime de 1.000 euros n’y fera rien.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content