Eddy Caekelberghs
Les Kurdes, victimes collatérales de la guerre en Ukraine
Ankara et Téhéran se disputent le leadership régional en Syrie pendant que le monde a les yeux tourn,és vers l’Ukraine.
Pauvres Kurdes! Nous ne nous préoccupons pas – ou plus – de leur sort. La guerre en Ukraine concentre toute notre attention et, en particulier, l’attention de la Russie et une grande partie de celle des Etats-Unis. Aucun espace, donc, pour s’opposer aux opérations de la Turquie contre le PKK (parti marxiste-léniniste pankurde).
Tout dialogue entre puissances occidentales et Téhéran semble pour le moment impossible: inflexibilité iranienne sur le volet nucléaire militaire et soutien inconditionnel à Moscou avec livraisons de drones utilisés en Ukraine. Il n’y a pas d’espace pour obtenir quoi que ce soit par la négociation. A fortiori pour les Kurdes eux-mêmes. De son côté, l’Iran dénonce l’ingérence occidentale dans ses affaires intérieures concernant la répression des contestations populaires depuis le meurtre de la jeune Kurde Mahsa Amini! Kurde encore et toujours!
Offensive en Syrie
Pendant ce temps, Ankara met elle aussi à profit le contexte de la guerre en Ukraine. Les Occidentaux sont prêts à tourner la tête ailleurs depuis que la Turquie d’Erdogan a pu négocier la libération et l’acheminement des céréales ukrainiennes (et russes) bloquées dans les ports de la mer Noire, céréales tellement nécessaires pour calmer les révoltes de la faim au Moyen-Orient. Une “inattention” stratégique occidentale permettant à Ankara de mener une offensive militaire en Syrie contre la branche syrienne du PKK, le Parti de l’union démocratique (PYD), qui domine les Forces démocratiques syriennes, une structure militaire hétéroclite composée de plusieurs dizaines de milliers de combattants.
Depuis le 20 novembre dernier, c’est une suite de raids aériens et de tirs d’artillerie contre les positions en Syrie et en Irak du PKK, tenu pour responsable de l’attentat à la bombe qui a fait six morts à Istanbul le 13 novembre 2022. La Turquie prépare visiblement ses forces terrestres à un engagement majeur dans le nord de la Syrie mais jusqu’ici, les capitales européennes, russe et américaine ne s’en préoccupent pas!
L’Iran frappe en Irak
De son côté, Téhéran frappe les positions militarisées, dans le nord-ouest de l’Irak, de plusieurs organisations kurdes – le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK, branche iranienne du PKK) et Komala (Organisation autonomiste kurde de tendance maoïste). Ces groupes sont accusés par Téhéran d’attiser les manifestations contre le régime consécutives à la mort de Mahsa Amini. Kurdes toujours!
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Depuis 1984, la lutte entre le PKK et les gouvernements turcs successifs est constante. Et, à la faveur de la guerre en Syrie et des évolutions sur le terrain, le PYD (branche syrienne du PKK) a connu une montée en puissance pesant, pour la Turquie, sur son intégrité territoriale puisque le projet du PKK est de créer un Etat kurde en séparant le Kurdistan de Turquie du reste du pays.
Les Kurdes seuls avec eux-mêmes
Certes, ni les Russes, ni les Américains ne veulent d’une incursion militaire terrestre de la Turquie en Syrie, mais ils tolèrent les bombardements aériens et les tirs d’artillerie dans la mesure où ils ne peuvent – ni ne veulent – entrer en conflit avec Ankara dont ils ont besoin dans le conflit en Ukraine.
Une nouvelle donne donc: la convergence d’Ankara et Téhéran qui se disputent le leadership régional mais voient les acteurs kurdes comme des auxiliaires d’une stratégie américaine de déstabilisation. Les grandes puissances ayant à fort à faire ailleurs, les Kurdes risquent de ne pouvoir compter que sur leurs propres forces pour faire face à cette double offensive…
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