L’Iran à la croisée des chemins
Deux scénarios diamétralement opposés s’offrent à l’Iran. Lequel va-t-il voir réalisé?
D’un côté, les doux rêveurs. De l’autre, les oiseaux de mauvais augure. Pour les premiers, un changement de régime se profile à l’horizon. A l’approche du Norouz, le Nouvel An persan qui doit avoir lieu le 20 mars 2023, ils s’imaginent que les Iraniens se rendront en masse à l’aéroport de Téhéran pour y accueillir un avion plein à craquer de dissidents exilés, comme la militante Masih Alinejad, qui a défendu l’abolition de l’obligation du hidjab, et le populaire footballeur Ali Karimi.
Les foules envahiront les rues pour leur souhaiter la bienvenue, à l’image de ce qui s’est produit lors du retour de l’ayatollah Khomeini à Téhéran en 1979. Dans les jours qui suivront, l’aéroport changera de nom, d’Imam Khomeini à Mahsa Amini, en l’honneur de cette femme kurde de 22 ans dont l’emprisonnement pour avoir porté un “mauvais” hidjab et la mort en détention ont déclenché une révolution.
Le rêve d’une nouvelle constitution
De nombreux mollahs fuiront. Certains chercheront une protection auprès des milices qu’ils ont renforcées en Irak, en Syrie et au Liban. Ceux qui auront le bras plus long se rendront à Oman ou dans les Emirats arabes unis. Le guide suprême sortant et visiblement affaibli, l’ayatollah Ali Khamenei, fuira à Pékin. Un conseil de jeunes Iraniens rédigera une nouvelle constitution et remplacera le symbole au coeur du drapeau (une représentation stylistique de “Dieu est grand”) par le slogan de la révolution: “Femmes, Vie, Liberté”.
Khamenei restera-t-il le Guide suprême?
L’ancien ministre des Affaires étrangères du régime, Javad Zarif, assurera la présidence intérimaire après qu’Ebrahim Raisi aura renoncé à ses fonctions, dans le but d’assurer une transition en douceur. Il s’attirera les faveurs de la scène internationale en dotant son gouvernement d’exilés bardés de diplômes universitaires occidentaux.
Il mettra un terme à l’approvisionnement de drones iraniens à la Russie et tentera de négocier directement avec les Etats-Unis, non seulement sur le programme nucléaire iranien et la fin des sanctions, mais également concernant la réouverture d’un consulat américain à Téhéran pour la première fois depuis 40 ans. Les entreprises énergétiques seront à nouveau invitées à répondre à des appels d’offres.
République islamique… ou pas
Au sein du pays, Javad Zarif tentera de calmer les manifestants en abolissant les restrictions vestimentaires que les mollahs ont imposées aux femmes. “C’est une question culturelle”, expliquera la nouvelle porte-parole du gouvernement (qui ne portera pas de foulard). Zarif s’emploiera également à organiser un référendum pour déterminer si l’Iran doit demeurer une République islamique. Les organes de presse occidentaux qualifieront Zarif de nouveau Gorbatchev.
Le leadership iranien a rarement fait preuve de compassion.
Les Iraniens seront, quant à eux, moins indulgents. En effet, beaucoup parmi eux ne voudront pas avoir affaire avec les défenseurs de l’ancien régime. “Un procès”, scanderont-ils, tandis que les manifestants continueront d’envahir les rues. Ceux qui ont tenté de négocier avec les réformateurs, à l’instar du président de l’Assemblée iranienne, Mohammad Qalibaf, seront contraints de faire des aveux publics. D’autres pourraient avoir moins de chance.
Même s’il a désavoué son travail de juge ayant condamné à mort des milliers de personnes à la fin des années 1980, de nombreux Iraniens exigeront sa tête. En dehors de la capitale, les foules traqueront sans relâche – et dans certains cas lyncheront -les malheureux séminaristes et molesteront les femmes en tchador. Les mots d’Ali Ansari, politologue iranien vivant au Royaume-Uni, résonneront: “Le leadership iranien a rarement fait preuve de compassion”, a-t-il affirmé à la veille de son effondrement. “Le moment venu, il ne devra pas s’attendre à autre chose.”
Les oiseaux de mauvais augure…
Les oiseaux de mauvais augure entrevoient, quant à eux, un tout autre scénario. Après des mois de tergiversations, le régime enverra ses troupes d’élite s’occuper des dissidents. Des milliers de morts seront à déplorer. Les petites filles qui ont osé lancer des chants subversifs disparaîtront des écoles pour se retrouver dans des centres de rééducation.
Les soulèvements séparatistes au Kurdistan et au Baloutchistan alimenteront les craintes d’instabilité, voire de guerre civile, ce qui refroidira encore davantage les ardeurs pour un changement de régime. Après une brève période d’accalmie dans l’application du voile obligatoire pour restaurer le calme, la police des moeurs reviendra en force. En mettant un terme à des années d’incertitude, Khamenei annoncera triomphalement qu’il nomme son fils Mojtaba comme successeur.
Les mesures de répression se feront également ressentir sur la scène internationale. Dos au mur à l’échelle nationale, le régime lancera toute une série d’opérations militaires régionales pour détourner l’attention de la dissidence nationale et promouvoir l’unité à l’encontre des ennemis étrangers. Ils pourraient notamment lancer des incursions à la frontière de l’Azerbaïdjan, accusé d’abriter des réseaux de renseignement israélien, raviver les combats autour des champs pétrolifères dans le sud de l’Irak où les milices pro-iraniennes gardent la mainmise, ou encore envoyer des missiles sur Tel-Aviv, sur des pipelines saoudiens ou sur la 5e flotte américaine positionnée au Bahreïn. Le prix du baril de pétrole s’envolera au-dessus des 200 dollars.
Les modérés éliminés ?
Beaucoup espèreront une voie intermédiaire. Mais étant donné la polarisation de l’Iran, les extrémistes des deux camps auront éliminé les modérés. Quel que soit le vainqueur, les hommes armés devront payer le prix fort pour instaurer une révolution islamique ou laïque. Dans cet équilibre précaire entre les trois piliers de la politique iranienne (les religieux, le peuple et les forces armées), ce seront les militaires qui décideront en fin de compte si l’avenir de l’Iran se trouve entre les mains des ayatollahs ou des femmes révolutionnaires.
Nicolas Pelham, correspondant au Moyen-Orient pour “The Economist”
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