Les entreprises passeront-elles le “mur de la dette”?
Les taux montent, les besoins d’investir restent importants, l’endettement ne baisse pas. Mais si certains expriment leur crainte, on n’observe rien de catastrophique sur le terrain.
Est-ce que les entreprises belges pourraient être confrontées prochainement à un “mur de la dette”? La remontée des taux et la croissance des besoins d’investissement, et donc d’endettement, ne créent-elles pas les conditions pour l’arrivée d’une vague de défaillances?
C’est une inquiétude déjà exprimée chez nous et chez certains de nos voisins (en Allemagne, en France) où l’on s’interroge sur la solidité d’entreprises confrontées à la hausse de leur endettement car elles doivent notamment soutenir leurs investissements pour répondre au défi énergétique. Mais que faire lorsque l’on est aussi confronté à une hausse des taux et à une baisse des marges?
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Les assureurs-crédit sont évidemment les plus attentifs à la situation. Dans une étude publiée en août dernier, l’assureur-crédit Allianz Trade exprime son inquiétude. “D’une part, bon nombre de transitions (électrification, numérisation, robotisation) supposent que les entreprises continuent d’investir pour rester compétitives. D’autre part, les marges s’amenuisent en raison de l’augmentation des coûts (salaires, énergie, intérêts). Les entrepreneurs veulent à tout prix rester dans la course et ne pas prendre de retard, et sont prêts à s’endetter davantage à cet effet. Mais étant donné que la hausse des taux d’intérêt se poursuit, ils prennent coup sur coup, avec la conséquence que les PME les plus faibles se retrouvent dans l’incapacité de faire face à leurs obligations”, observe Allianz Trade.
“Il suffit de très peu de choses pour qu’une régression importante se produise.”
L’assureur estime que si les taux devaient encore augmenter de 2% (200 points de base), 18% des PME britanniques, 10% des françaises ou 7% des allemandes seraient en difficulté (il n’y a pas d’estimation pour la Belgique).
La situation n’est pas spécialement plus réjouissante pour les grandes entreprises. Johan Geeroms, directeur risk underwriting Benelux, explique que dans le commerce de détail, au cours du seul premier trimestre, 11 distributeurs réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions d’euros ont fait faillite en Europe. “Ensemble, ils représentaient un chiffre d’affaires de 2,4 milliards d’euros.”
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Si l’on prend en considération le fait que les entreprises doivent continuer à investir et que leur endettement ne diminuera pas, ce qui se passe sur le front de la politique monétaire n’est pas réjouissant: il faut en effet s’attendre à des taux d’intérêt qui restent élevés pendant un certain temps.
“L’assouplissement ne devrait pas intervenir avant la mi-2024”, estime Allianz Trade. Les entreprises se retrouvent donc dans une situation difficile. “L’équilibre est précaire et il suffit de très peu de choses pour qu’une régression importante se produise”, affirme Johan Geeroms, qui ajoute que “le maintien de taux d’intérêt élevés entraînera un nombre considérable de faillites dans un avenir proche”.
Risques maîtrisés
Du côté bancaire cependant, on n’observe pas (encore) de séisme. Les risques semblent maîtrisés. Une partie de l’explication réside dans le fait que la hausse est récente et ne s’est pas propagée à l’ensemble des crédits. “Le taux moyen exigé par les banques belges sur les nouveaux prêts aux entreprises a augmenté de 3,6% mais la hausse du taux moyen reçu par les banques belges sur l’encours total de leurs prêts aux entreprises s’est limitée à 1,7%”, observe Eric Dor, directeur de la recherche auprès de l’IESEG School of Management dans une récente étude.
Les entreprises se sont toutefois davantage endettées ces dernières années. Si l’on ne prend que le crédit bancaire, l’encours des prêts aux entreprises a augmenté d’une vingtaine de pour cent depuis 2019, pour passer de 142 à plus de 170 milliards d’euros.
Pas une préoccupation majeure
Cependant, malgré ce contexte plus difficile, les banques n’observent pas d’augmentation des accidents. Dans le domaine du crédit, et plus spécialement du crédit aux entreprises “il n’y a en ce moment absolument aucune détérioration du portefeuille”, a souligné Johan Thijs, le patron de KBC, lors de la présentation des résultats de la banque au début du mois d’août. KBC a même pu réduire de 23 millions ses provisions sur les risques de créances.
Même image rassurante du côté des faillites. Au cours des huit premiers mois de l’année, on a recensé 6.798 faillites d’entreprises, ce qui est certes 589 de plus que lors de la même période l’an dernier. “Mais on n’est pas aux chiffres de 2019 (avant le covid), où l’on avait atteint 7.647 faillites entre le début de l’année et la fin août. Et le taux de défaillance reste modeste, inférieur à 0,70% de la population des entreprises actives”, souligne Pascal Flisch, responsable de la recherche et du développement auprès de Trends Business Information.
Evidemment, cette image rassurante peut se ternir dans le futur parce que les entreprises qui se sont endettées ont bénéficié de conditions avantageuses jusqu’à l’été 2022, mais ensuite, les taux ont brusquement remonté. Le refinancement d’anciens emprunts arrivant à échéance va s’effectuer à des taux plus élevés. Cependant, si l’on se penche sur deux secteurs sensibles (l’immobilier et l’horeca), on n’observe rien de dramatique.
“Au niveau du secteur horeca, il y a une distinction à faire entre les établissements qui sont propriétaires de leurs murs et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui ne le sont pas sont forcément moins impactés par l’augmentation des frais financiers. Ils ont en revanche davantage été impactés par l’augmentation de l’index, explique Linda Di Nizio, responsable de la communication d’Horeca Wallonie. Pour les propriétaires, l’augmentation des frais financiers est évidemment une charge supplémentaire mais on ne constate pas une préoccupation majeure et prioritaire sur ce point.”
“Nous n’entendons pas de grands appels au secours pour l’instant.”
Le secteur horeca est davantage préoccupé par la hausse des coûts des matières premières et des coûts énergétiques. “Les frais financiers viennent un peu en second plan, poursuit Linda Di Nizio qui ajoute toutefois qu’un point d’attention est la fin des aides covid. “Pendant la période du covid, une série de mesures ont été octroyées consistant à reporter les charges. Les banques ont accordé des étalements de payement. Mais nous sommes désormais sortis de cette période et il faut désormais payer les sommes qui avaient été reportées. L’inflation et les coûts énergétiques sont venus s’ajouter à cela. Effectivement, certains établissements ont éprouvé des difficultés et doivent renégocier avec leurs banques. Et il y a aussi cette problématique importante du personnel et de la gestion ces charges, qui crée une instabilité qui rend la gestion difficile.”
Les préoccupations sur une remontée des taux sont encore modérées. “Nous n’entendons pas de grands appels au secours pour l’instant”, conclut la porte-parole d’Horeca Wallonie.
Deux ou trois années difficiles
Dans l’immobilier, la remontée des taux pose des problèmes spécifiques, mais ici non plus, ce n’est pas la catastrophe que certains annoncent, souligne Sidney D.Bens, ancien CFO d’Atenor aujourd’hui consultant financier et administrateur chez Mithra: “Dans le résidentiel, le bureau ou la logistique, la plupart des acteurs se sont protégés contre une hausse des taux, explique-t-il. Ils ont pris des couvertures de longue durée, parfois cinq ou six ans. Par exemple, les SIR (les sociétés immobilières cotées, Ndlr) ont en général couvert entre 80 et 90% de leur dette contre une remontée des taux”.
“Je pense que ce passage difficile durera deux ou trois ans.”
Ceux qui ont des problèmes sont certains promoteurs qui n’ont pas anticipé ces hausses de taux. “Ils ont construit des projets mais n’ont pas pu les vendre parce que les investisseurs aujourd’hui hésitent à acheter, explique Sidney D. Bens. En France, beaucoup de promoteurs travaillent sous option: sans vente ferme mais sans acquisition ferme non plus. Leur problème est alors différent: c’est le ralentissement de l’activité et donc la baisse du résultat”. Ils doivent alors négocier un refinancement ou un crédit pont auprès de leur banquier pour passer ce cap difficile.
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“Je pense que ce passage difficile durera deux ou trois ans, ajoute Sidney D. Bens. C’est pour cela qu’il faut trouver des solutions de moyen terme. Mais l’activité reprendra. Dans le secteur immobilier résidentiel, par exemple, les ménages à la recherche d’un logement devront tôt ou tard acheter. Et des solutions existent pour répondre au pouvoir d’achat limité des candidats acquéreurs, comme étendre la durée du prêt, ou, comme on commence à le voir chez nous, pratiquer une forme de location/vente où les ménages qui louent un logement peuvent l’acheter en déduisant du prix d’achat le montant des loyers déjà payés”.
Comme souvent lorsqu’une tendance s’inverse, les prévisions s’assombrissent. Mais ce n’est pas pour autant qu’elles se réalisent car elles suscitent aussi des contre-réactions. “Prédire, a dit un jour Jacques Attali, c’est penser que l’avenir est déterminé et s’y résigner puisqu’il est déterminé. Prévoir, au contraire, c’est créer les conditions pour que ce que l’on a prévu de mauvais n’arrive pas.” En prévoyant un mur de la dette, on se met donc en situation de réagir et de pouvoir le surmonter.
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