Les constructeurs automobiles font plier Bruxelles sur le CO2

DRESDEN, GERMANY - MAY 14: A worker performs a final check on new Volkswagen ID.3 electric cars at the Volkswagen plant on May 14, 2025 in Dresden, Germany. Volkswagen led sales of electric car sales in Germany that rose 54% overall in April compared to April of last year. (Photo by Sean Gallup/Getty Images) © Getty Images
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

L’ambition européenne de bannir les voitures thermiques neuves en 2035 vacille. Face à la pression des constructeurs et aux évolutions politiques à Bruxelles, un récent assouplissement pour 2025 soulève des doutes sur la tenue de cet objectif phare de la Commission.

C’est une victoire discrète, mais significative, pour les constructeurs automobiles européens. Début mai, le Parlement européen a voté un assouplissement de l’objectif climatique fixé pour 2025 : la réduction de 15% des émissions moyennes de CO₂ des voitures neuves et des utilitaires légers, par rapport aux niveaux de 2021, sera étalée sur trois ans. Un sursis bienvenu pour une industrie confrontée à de sérieux remous.

“C’est un pas dans la bonne direction, qui reconnaît les complexités et les difficultés persistantes du marché automobile“, a salué Sigrid de Vries, directrice générale de l’ACEA, la fédération européenne de l’automobile. Les constructeurs redoutaient des amendes importantes s’ils échouaient à atteindre la cible en 2025 et demandaient de la flexibilité.

Mais cet assouplissement en cache un autre : celui d’un rapport de force politique qui évolue à Bruxelles. Et peut-être d’une remise en cause plus large du cap fixé à l’horizon 2035.

Le signal d’un recul ?

Du côté des ONG, le signal est mal perçu. “C’est un mauvais précédent, estime Lucien Mathieu, cars director chez Transport & Environment. Les constructeurs européens ont pourtant enregistré une progression de 45% des immatriculations de voitures électriques. Cet adoucissement risque de freiner la dynamique.”

Car pour atteindre l’objectif intermédiaire de – 55% de CO₂ d’ici 2030, nettement plus élevé, la clé reste l’électrification massive du parc neuf. Impossible d’y arriver par la seule réduction des émissions des autos à carburant. “Pour réussir cet objectif, il faudrait que les électriques représentent entre 50 et 60% des ventes d’ici cinq ans”, poursuit Lucien Mathieu. Pour l’heure, leur part atteint 15,2% dans l’UE, et 33,4% en Belgique sur le premier trimestre 2025.

Ce n’est pas la première victoire de l’industrie automobile. Fin 2023, les constructeurs avaient déjà obtenu un assouplissement de la norme Euro 7, appliquée fin 2026, qui devait réduire davantage les émissions toxiques (NOx, particules). Les normes Euro sont distinctes du règlement sur la réduction des émissions de CO₂, gaz non toxique qui contribue au réchauffement climatique.

“Pour réaliser l’objectif de – 55% de CO2 en 2030, les électriques devront alors représenter entre 50 et 60% des ventes d’ici là.” – Lucien Mathieu (Transport & Environment)

Désormais, tous les regards se tournent vers 2026. C’est à cette date que la Commission européenne va réévaluer la trajectoire vers l’objectif 2035 – qui prévoit une réduction de 100% des émissions de CO₂ des voitures neuves, autrement dit la fin des ventes de modèles thermiques. Le règlement prévoit une clause de revoyure : Bruxelles devra vérifier si la transition est “économiquement viable et socialement équitable”, dixit le règlement. Une formulation assez large pour ouvrir la porte à une révision, voire un recul.

Une majorité politique favorable aux industriels

“On va vers un assouplissement général”, anticipe Guido Savi, ancien dirigeant de la Febiac au Luxembourg. Il pointe un changement d’équilibre au Parlement : les écologistes ont reculé aux élections européennes, affaiblissant leur poids dans la coalition pro-européenne. Le Parti populaire européen (PPE), premier groupe à Strasbourg, se montre plus sensible aux arguments industriels. Le gouvernement italien conteste déjà ouvertement l’échéance de 2035.

Depuis le “Dieselgate” de 2015, le contexte a radicalement changé. L’industrie, alors sur la défensive, est à nouveau écoutée. Elle met désormais en avant l’impact social et économique de la transition. En Allemagne, Volkswagen prévoit la fermeture de trois usines et la suppression de 35.000 postes. Audi a annoncé l’arrêt de son site à Bruxelles. Dans le même temps, les constructeurs allemands perdent du terrain en Chine, où ils réalisaient autrefois un tiers de leurs ventes. Ils souffrent également des droits de douane annoncés par les États-Unis. Les équipementiers (Bosch, Valeo…) réduisent leurs effectifs.

Autre argument servi à la Commission et aux partis : la flambée des prix qui rend les voitures basiques inabordables. Les constructeurs dénoncent l’impact des normes. “Entre 2015 et 2030, le prix d’une Clio aura augmenté de 40%, dont 92,5% liés à la réglementation”, affirme Luca de Meo, PDG de Renault, dans une interview croisée avec John Elkann (Stellantis), publiée au début du mois de mai dans Le Figaro. C’est une partie de l’explication : les hausses ont aussi permis d’augmenter les bénéfices.

“Un quart de notre ingénierie est aujourd’hui mobilisée uniquement pour répondre aux normes”, ajoute John Elkann, qui rappelle que le marché européen est le seul des grands marchés mondiaux à ne pas avoir retrouvé son niveau d’avant-covid.

Les deux dirigeants souhaitent une réglementation allégée pour les petites autos (lire l’encadré ci-avant).

Objectif 2035 : l’électrique est-elle la seule voie ?

Le texte européen ne parle pas explicitement de voitures électriques, mais de réduction totale des émissions de CO₂ à l’échappement. Dans les faits, seuls les modèles 100% électriques (et, théoriquement, ceux à hydrogène) peuvent répondre à cette contrainte. Les véhicules à pile à combustible restent marginaux : la Belgique n’en a immatriculé que six en 2024.

Mais d’autres options sont en discussion. L’Allemagne a obtenu que les e-fuels soient intégrés dans le règlement. Ils peuvent alimenter des moteurs thermiques existants. L’Italie défend les biocarburants. La France, elle, reste opposée aux e-fuels.

Ces e-fuels sont des carburants synthétiques fabriqués au départ d’hydrogène vert, issu de l’électricité renouvelable. “Mais les critères que la Commission souhaite imposer pour leur usage n’est pas au goût des autorités allemandes, note Lucien Mathieu. Les Italiens souhaitent que soient pris en considération des biocarburants, tandis que les Français ne veulent pas du tout. Tout cela sera réévalué l’an prochain pour voir s’il peut y avoir un accord sur ces sujets.”

“Cette clause de revoyure pourrait rouvrir la porte à d’autres approches que l’électrification pure”, estime Guido Savi. Le débat est déjà lancé : la Commission devra décider en 2026 si, et comment, ces technologies alternatives peuvent être intégrées. Cela pourrait rouvrir la discussion sur le mode de mesure. Les autos électriques sont zéro émission à l’échappement, mais pas si l’on tient compte de l’ensemble du cycle de vie.

C’est l’inverse pour les e-fuels : ils émettent du CO₂ à l’usage, mais sont considérés comme quasiment neutres en tenant compte du CO₂ consommé pour leur production. Les modalités sont encore à préciser. Leur coût reste encore un point d’interrogation : il pourrait être nettement plus élevé que celui de l’essence. Pour l’heure, les e-fuels ne sont pas produits en quantité.

Guido Savi, lui, se montre sceptique sur les biocarburants, qui ne sont jamais neutres en CO₂ sur tout le cycle de vie : “Ils risquent de relancer la controverse sur l’usage des terres agricoles pour nourrir des moteurs plutôt que des populations.”

Pour l’heure, rien n’est tranché. “L’objectif 2035 est encore très loin. C’est presque une utopie, résume Guido Savi. Le secteur navigue à vue. Il y aura plusieurs Commissions européennes d’ici là.” Même Volvo Cars, favorable à l’échéance 2035, l’un des premiers constructeurs à annoncer qu’il ne vendra plus que des autos électriques à partir de 2030, a récemment convenu qu’il continuera sans doute à vendre des hydrides après cette date, anticipant une transition plus compliquée.

“L’objectif 2035 est encore très loin. C’est presque une utopie.” – Guido Savi, ancien dirigeant de Febiac Luxembourg

Petites autos, petits règlements ?

Les petites voitures sont-elles devenues trop chères pour cause de surréglementation ? C’est ce qu’affirment Luca de Meo (Renault) et John Elkann (Stellantis). Dans une interview au Figaro, ils dénoncent des normes “conçues pour les voitures premium”, devenues trop complexes et coûteuses pour le grand public. “Les règles européennes font que nos voitures sont toujours plus complexes, toujours plus lourdes, toujours plus chères, et que les gens, pour la plupart, ne peuvent tout simplement plus se les payer”, avance Luca de Meo, CEO de Renault. Comme elles rapportent peu, les constructeurs tendent à supprimer les petits modèles de leur catalogue, comme les Peugeot 108, Citroën C1 et autre Ford Fiesta.
“Ce que nous demandons, c’est une réglementation différenciée pour les petites voitures”, explique Luca de Meo, qui donne en exemple les kei cars, ces autos compactes qui représentent le tiers du parc au Japon. Aujourd’hui, seuls les quadricycles comme les Ami ou Microlino bénéficient d’un régime allégé. Les dirigeants demandent un statut intermédiaire pour des modèles de type Fiat 500 ou R5.
“Ma R5 doit réagir comme une berline haut de gamme dont le capot est trois fois plus long lors d’un choc frontal. C’est de la physique. Je suis censé faire un capot en tungstène ?”, ironise Luca de Meo.
John Elkann se montre optimiste : “À Bruxelles, ils commencent à comprendre que l’excès de réglementation a asséché le marché.”

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