Les agences de notation sont-elles devenues trop complaisantes ?
Au niveau de leurs finances publiques, la France et la Belgique sont dans le même bateau. Les deux pays font clairement partie des mauvais élèves de la zone euro, mais au contraire d’autres membres de ce club peu enviable, leurs déficits s’accentuent. Pourtant, vendredi dernier, tant Moody’s, pour la Belgique, que Fitch, pour la France, ont laissé leur notation inchangée. Désormais, le rôle de lanceuse d’alerte des agences de notation semble révolu.
Avec la perspective d’un déficit de près de 5%, pour la Belgique, et de plus de 6%, pour la France, le monde politique a sans doute regardé avec inquiétude la décision des agences de notation, vendredi.
Stable à négative
Au final, aucun bouleversement. Moody’s n’a pas touché à la note de la Belgique (Aa3), se contentant de revoir la perspective de “stable” à “négative”. Son avertissement ? « Le risque que le prochain gouvernement ne soit pas en mesure de mettre en œuvre des mesures qui stabiliseraient le fardeau de la dette publique. » Rien qu’on sache déjà.
Même topo du côté de la France, avec Fitch. La troisième agence de notation en termes d’importance a conservé le rating de l’Hexagone à AA-, en changeant la perspective de “stable” à “négative”. Pourtant, Fitch s’inquiète que “la fragmentation politique forte et la situation minoritaire du gouvernement compliquent la capacité de la France à tenir des politiques de consolidation budgétaire soutenables” et elle doute que “le gouvernement arrive à respecter son objectif d’un retour du déficit à 3 % d’ici 2029”.
“Dans les deux cas, les agences se sont montrées bien complaisantes“, commentait Bernard Keppenne, économiste en chef à la CBC, lundi matin. Il faut dire que sans mesures drastiques, les deux pays foncent dans un mur, avec une dette qui ne cesse de prendre de l’ampleur. La Belgique fait face à un effort de 27 milliards d’euros dans les prochaines années. La France doit, elle, accomplir un effort de 60 milliards d’euros rien que pour l’année prochaine.
La plus grande agence de notation, S&P Global Ratings, doit se prononcer sur la dette française le 29 novembre prochain. Selon Les Echos, elle imitera sa consœur en ne touchant à rien. Moody’s pourrait, en revanche, dégrader la note française le 25 octobre. Mais le journal économique français rappelle que la note est actuellement supérieure à celle de S&P et de Fitch. Mais ce n’est en rien une certitude : “Peut-être préférera-t-elle s’abstenir, alors que le débat parlementaire battra son plein en France.”
Lanceuse d’alerte
Dans le cas de la Belgique et de la France, il n’y a donc aucune mauvaise surprise, comme le démontre la totale apathie des marchés obligataires suite à la décision de revoir la perspective en territoire négatif. Le spread entre l’obligation à 10 ans française et allemande est resté inchangé. En réalité, les marchés ont déjà largement anticipé la dégradation des finances publiques de l’Hexagone.
Récemment, le taux d’emprunt à 10 ans français est passé au-dessus de celui de l’Espagne. C’était déjà le cas depuis plusieurs mois pour le taux portugais, qui est lui-même plus intéressant que le taux belge. Le Portugal et l’Espagne sont respectivement notés A- et A. “Les marchés sont en avance sur les agences et traitent la France comme un émetteur simple A”, constate Stéphane Déo, chez Eleva Capital, aux Echos.
Alors, qu’est-ce qui explique cette frilosité des agences de notation ? Elles semblent ainsi avoir perdu leur rôle de lanceuses d’alerte. Ce que regrettent certains observateurs, car cela peut parfois servir d’électrochoc pour le monde politique. Après tout, c’est en étant dos au mur que l’Espagne, le Portugal et surtout la Grèce ont pu remonter la pente, avec des indicateurs qui sont aujourd’hui largement plus favorables que ceux de la France et de la Belgique.
Après 2008, tout a changé
Pour comprendre cette plus grande prudence, voire cette complaisance, il faut revenir en arrière. Les agences de notation sont des sociétés privées qui évaluent la solvabilité d’un émetteur de dette, dont font bien sûr partie les États. Ces notes ont pris de plus en plus d’importance à partir des années 80 pour devenir déterminantes dans les années 90. Car les marchés ont commencé à émettre massivement de la dette sur les marchés financiers à partir de cette période.
En 2007, quand la bulle spéculative des subprimes éclate, les trois grandes agences de notation dégradent soudainement de nombreux produits financiers et émetteurs de dette. S’ensuivront la terrible crise financière puis la crise de la dette souveraine.
Bien sûr, les agences de notation n’en sont pas la cause, mais beaucoup de critiques leur sont adressées. On leur reproche d’avoir trop anticipé et d’avoir aggravé la crise à la suite d’une dégradation des notes en cascade. Le gendarme boursier américain (la SEC) finit par enquêter sur le fonctionnement des agences de notation et les patrons sont auditionnés devant le Congrès.
Après cet épisode, les agences de notations se montreront beaucoup plus prudentes dans les rapports pluriannuels qu’elles remettent.
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