Les 27 cherchent à dépasser leurs divisions afin de trouver une solution à la flambée de l’énergie
Les dirigeants de l’UE se réunissent jeudi et vendredi à Bruxelles pour tenter de surmonter leurs divisions et trouver enfin une réponse commune à la flambée de l’énergie sur fond de tensions franco-allemandes.
La guerre en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie ont provoqué un choc sur les prix du pétrole, du gaz et de l’électricité. Mais, depuis février, l’Europe réagit avec lenteur, affaiblie par les intérêts divergents des pays membres. Il y a pourtant urgence
“Nous devons agir de toute urgence pour faire baisser les prix tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement”, a affirmé le président du Conseil Charles Michel juste avant l’entame de la réunion.
Ce sommet est “le plus important depuis longtemps” a averti cette semaine notre Premier ministre, Alexander De Croo. S’il n’aboutit pas à un “signal politique clair que nous avons la volonté de ne plus tolérer les prix élevés du gaz”, ce sera “l’échec de l’Europe”, a-t-il lancé.
Des milliers d’entreprises européennes craignent pour leur survie, menacées par la concurrence aux Etats-Unis ou en Asie où les tarifs sont restés plus sages. En Allemagne et en France, des manifestations ont réuni des milliers de personnes contre la vie chère.
Un tête-à-tête entre le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz est prévu en début d’après-midi pour tenter d’aplanir leurs différences juste avant le début de la réunion. Plusieurs diplomates s’attendent à des discussions très longues entre les 27 chefs d’Etat et gouvernement.
Dans un entretien à l’AFP, la ministre espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera, a critiqué ouvertement le travail de la Commission européenne. “Les propositions sont encore un peu timides: on manque toujours de mesures concrètes sur une grande majorité de sujets. Il y a eu certes un réel effort depuis un an (…) mais il est frustrant de voir à quel point la réaction de l’Europe face au défi auquel nous faisons face est lente et laborieuse”, a-t-elle dit.
Lors du dernier sommet à Prague, début octobre, plusieurs dirigeants avaient rudoyé la présidente allemande de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen. Le chef du gouvernement polonais, Mateusz Morawiecki, l’avait notamment accusé de représenter les intérêts allemands. “Sept mois de retard nous valent une récession”, lui avait lancé l’Italien Mario Draghi, selon des propos rapportés à l’AFP.
“Aller plus vite”
Mais la présidente de la Commission est confrontée aux divisions des Vingt-Sept qui ont chacun leur propre mix énergétique, les uns s’appuyant sur le nucléaire, d’autres sur le gaz ou même le charbon pour produire leur électricité. Ils se divisent notamment sur la question d’un plafonnement du prix du gaz utilisé pour produire de l’électricité. Un dispositif de ce type est déjà appliqué en Espagne et au Portugal, où il a permis de faire chuter les prix.
Plusieurs pays dont la France demandent l’extension de ce mécanisme, dit “ibérique”, à l’échelle de l’UE. Mais l’Allemagne s’y oppose, ainsi que plusieurs pays nordiques, dont le Danemark et les Pays-Bas, rétifs aux interventions étatiques sur les marchés. Berlin estime que faire baisser artificiellement le prix du gaz nuirait à l’objectif de sobriété énergétique, en incitant à consommer plus.
Un projet de conclusions du sommet réclamait cependant à la Commission de préparer une proposition pour cet instrument. “Le modèle ibérique mérite d’être étudié. Des questions restent en suspens, mais je ne veux négliger aucune piste”, a déclaré mercredi Mme von der Leyen.
“Il est important d’aller un peu plus vite sur ce sujet. Nous ne devrions pas avoir à demander quatre fois la même chose à la Commission pour avoir une proposition”, a estimé Teresa Ribera.
Faire baisser les prix au bénéfice de tous
Les bouquets énergétiques très différents entre les États membres rendent la recherche d’une politique commune compliquée. Ces dernières heures, les tensions entre la France et l’Allemagne ont crû. En matière d’énergie, Berlin tient au développement des stratégies hydrogène et bas carbone et voit d’un mauvais oeil le projet d’un nouveau gazoduc (MidCat) dans les Pyrénées pour désenclaver la péninsule ibérique du reste de l’Europe.
À son arrivée à Bruxelles, le président français Emmanuel Macron a jugé que l’Allemagne s’isolait, ce qui n’est bon “ni pour elle ni pour l’Europe”. Mais il a affirmé sa volonté de travailler avec le chancelier Olaf Scholz. Portugal, Espagne et France ont même décidé ce matin l’abandon du projet MidCat, au profit d’un corridor hydrogène et énergies renouvelables Barcelone-Marseille.
Olaf Scholz, quant à lui, a rejeté tout accusation de manque de solidarité avec le reste du continent. “Nous sommes les plus importants supporters de l’Europe”. Il a répété cependant un message déjà transmis au Bundestag: pour l’Allemagne, s’il faut tenter de faire baisser les prix au bénéfice de tous, cela ne doit pas être “juste avec des subsides” (comme la solution “ibérique”), mais réellement “au niveau mondial”, donc en coopération avec d’autres acheteurs de gaz (Corée, Japon, etc.) et avec les fournisseurs (Norvège, etc.).
Tout comme les Pays-Bas, l’Allemagne souligne que l’enveloppe européenne mise en place pour relever le continent de la crise liée à la pandémie offre de larges sommes encore non-utilisées, qui permettent d'”investir dans les infrastructures, le renouvelable, etc.”, soit ce dont l’UE a justement besoin pour davantage de résilience sur le plan énergétique.
Un plafonnement des prix du gaz, écarté actuellement
Un plafond sur le prix des importations est écarté pour l’instant. Fixer un prix maximum “comporte toujours le risque que les producteurs vendent ensuite leur gaz ailleurs, et que nous, les Européens, nous retrouvions avec moins de gaz au lieu de plus”, a martelé Olaf Scholz devant le Bundestag quelques heures avant le début du sommet.
Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, vu lui aussi comme réticent à un plafonnement des prix du gaz, a répété jeudi qu’il fallait avant tout veiller à ce que le gaz continue d’arriver en Europe. Il s’attend à “des accords généraux”, appelés à être affinés et développés par les ministres de l’Énergie (ces derniers se rassemblent mardi prochain à Luxembourg). “Nous ne nous opposons pas à un plafond”, assure le Néerlandais, “mais il faut être vraiment sûr que ça fonctionne”, sans effet pervers sur le niveau général des prix ni sur les livraisons, martèle-t-il. Les 27 devraient selon lui donner pour mission à la Commission d’examiner plus en détails la possibilité d’étendre le mécanisme “ibérique” de subsidiation du gaz qui sert à la production d’électricité. Quant aux achats communs, “c’est quasiment bouclé, tout le monde est d’accord”.
Des propositions de la Commission
Mme von der Leyen a détaillé cette semaine d’autres propositions : l’organisation d’achats de gaz en commun, de nouvelles règles pour tenter d’imposer le partage du gaz en Europe pour aider les pays les plus en difficulté ou encore une réforme de l’indice du marché gazier TTF (la “Bourse du gaz” européenne), utilisé comme référence dans les transactions des opérateurs.
“Il y a eu beaucoup de progrès, mais pas de percée fondamentale”, reconnaît un diplomate européen. “Les priorités diffèrent: l’Allemagne privilégie la sécurité d’approvisionnement car elle peut se permettre des prix élevés, mais beaucoup de pays ne peuvent pas faire face à ces coûts”.
“On avait besoin de ces propositions de la Commission, essayons maintenant d’agir vite. Un certain nombre de pays ont encore des questions, traitons-les, regardons-nous dans les yeux et décidons”, a exhorté Charles Michel, jugeant que ce sont toujours “les derniers centimètres qui sont les plus difficiles”. Le président du Conseil européen s’est dit “déterminé à tout faire pour sortir dans quelques heures avec un message clair: solidarité et mobilisation pour protéger nos citoyens et nos entreprises”.
La Belgique est à la pointe d’un groupe de pays qui plaident pour les plafonnements, avec entre autres l’idée d’un couloir fluctuant de prix gaziers, repris par la Commission dans ses propositions. “Tous les éléments du puzzle sont sur la table”, selon le Premier ministre Alexander De Croo. “Je comprends que certains pays ont encore des questions sur la sécurité d’approvisionnement, mais regardons cela”. L’idée de couloir dynamique permet à ses yeux de rester compétitifs par rapport à d’autres pays dans le monde, aux États-Unis ou en Asie. “Il faut bien mesurer l’enjeu: des citoyens ont des problèmes énormes à payer leur facture, et nos PME, nos entreprises, sont aujourd’hui tout près d’arrêter leurs activités”.
(AFP et Belga)
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