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Le “Voleur de bicyclette” et la pratique chinoise du ministre de la Justice

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Le “Voleur de bicyclette” est, comme chacun sait, le titre d’un des plus grands chefs-d’oeuvre du cinéma italien, réalisé par Vittorio De Sica. Il raconte le drame supporté par Antonio, un colleur d’affiches qui se fait voler sa bicyclette, son outil de travail indispensable.

Ce film de 1948 montre combien ce délit, souvent considéré à tort comme mineur, peut être cause de graves désagréments pour ceux qui en sont victimes.

Notre ministre de la Justice en est conscient et, à raison, veut lutter contre ce phénomène qui a pris des proportions énormes en Belgique. On relève chaque année 35.000 plaintes pour vol de bicyclette, en ce compris les “vols d’usage”, commis par des personnes qui s’emparent d’un vélo qui ne leur appartient pas, l’utilisent, puis le déposent n’importe où, ce qui ne garantit pas à son propriétaire qu’il sera retrouvé. A ces 35.000 vols s’ajoutent, pense-t-on, 65.000 vols qui ne sont pas déclarés parce que leurs victimes ne portent pas plainte, sachant qu’il y a très peu de chance de retrouver leur engin.

Le souci de combattre ce phénomène est tout à fait légitime. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est la décision prise par le ministre Van Quickenborne de permettre aux agents de police de sanctionner les coupables non récidivistes d’une amende de 250 euros. Ce montant n’est certes pas excessif mais ce qui n’est pas normal, c’est que la sanction soit imposée par un policier et non par un juge.

Ce n’est pas parce qu’une sanction peut être imposée par un policier qu’on retrouvera davantage de bicyclettes volées. Ce n’est pas non plus cette mesure qui sera plus dissuasive puisque, précisément, la plupart des vols ne sont pas déclarés et que les délits déclarés ne sont presque jamais élucidés et que leurs coupables échappent par conséquent en général à toute sanction.

Ce qui est très critiquable, c’est que l’on décide ainsi de se passer des tribunaux pour sanctionner. C’est le rôle exclusif des juges que de juger et ils ne peuvent être remplacés par un policier dont la fonction est de poursuivre les délits et de constater des faits. Les policiers ne sont pas formés à juger et n’ont pas l’indépendance requise pour cela, eux qui sont le bras armé du pouvoir exécutif, fédéral ou communal.

La séparation des pouvoirs est une des caractéristiques essentielles de l’Etat de droit. Le ministre qui l’ignore agit de manière incompatible avec celui-ci. De plus, en prévoyant que la constatation des faits par un procès-verbal s’accompagne du prononcé de la sanction, on prive la personne poursuivie des droits élémentaires de la défense. On se passe ainsi, par exemple, d’un interrogatoire en bonne et due forme et en présence d’un avocat.

En fait, le système du ministre correspond à la pratique chinoise où les délits mineurs sont sanctionnés par la police. Voilà une belle inspiration pour un ministre de la Justice (sic) qui se moque ouvertement des principes démocratiques les plus fondamentaux. Le fait que le même procédé ait déjà été utilisé par ses prédécesseurs dans d’autres domaines, notamment pour les sanctions administratives communales, n’y change rien. La récidive dans le mépris des institutions, en l’occurrence les tribunaux, ne rend pas l’acte plus admissible.

Sans doute le ministre prétend-il agir pour désengorger les tribunaux, comme si l’arriéré judiciaire était la faute de ceux-ci, et non de l’abandon organisé dans lesquels on les fait vivre depuis des décennies en ne leur accordant pas les moyens pour fonctionner normalement.

Le pire est sans doute que ce mépris des libertés vient d’un ministre membre d’un parti qui se prétend “libéral”, ce même parti du Premier ministre qui, en période covid, a le plus enfreint, mois après mois, les droits individuels que l’on croyait les mieux établis.

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