Le spectre de la déflation menace-t-il l’Europe?

Face à la faiblesse prolongée de l’évolution des prix en zone euro, de nombreux économistes agitent le chiffon rouge de la déflation. Le cercle vicieux de la baisse généralisée des prix n’est pas encore enclenché, mais le risque est réel…

On a longtemps cru que la déflation était un mal japonais. Cette dépression nerveuse économique, qui se traduit par une baisse généralisée des prix, est aujourd’hui aux portes de l’Europe, selon certains économistes qui tirent la sonnette d’alarme. C’est quoi la déflation? La déflation est une baisse généralisée et persistante des prix à la consommation. A priori, c’est une bonne nouvelle pour le consommateur. Mais en réalité, c’est une incitation à reporter dans le temps la consommation et l’investissement ; la déflation est donc source de ralentissement économique. Face à des prix qui baissent, le consommateur diffère ses achats dans l’espoir de payer encore moins cher demain. Les commandes aux entreprises s’effondrent, elles réduisent par conséquent leur production, licencient, baissent les salaires… le cercle vicieux s’enclenche.

L’autre mal de la déflation, c’est qu’elle alourdit le poids de la dette pour les ménages, les entreprises et les Etats. Car la valeur nominale de la dette, elle, ne baisse pas, tandis que les taux d’intérêts réels payés augmentent. La déflation est longue à s’installer, mais quand on entre dans cette spirale auto-entretenue, il est très difficile d’en sortir.

Y a-t-il des signes de déflation en Europe? Il y a un ralentissement très net de l’inflation, une faiblesse prolongée de l’évolution des prix. La hausse des prix en zone euro a été de 0,9% en octobre sur un an, après seulement +0,7% en septembre, le niveau le plus bas en près de quatre ans.

Malgré la légère hausse enregistrée en novembre, le chiffre de l’inflation demeure très en dessous de l’objectif fixé par la Banque centrale européenne, dont le mandat est de maintenir l’inflation proche (mais en dessous) du seuil de 2% à moyen terme. L’inflation est égale à zéro voire négative dans les pays périphériques qui ont procédé à d’importants ajustement budgétaires.

La zone euro est au seuil d’une “période prolongée de basse inflation”, a reconnu en début de mois Mario Draghi. Le président de la BCE écarte toutefois tout risque de déflation. “L’Europe traverse une période de désinflation, mais il n’y a pas de risque global de déflation”, estime Sylvain Broyer, responsable du département économie chez Natixis. Selon lui, seuls trois pays en Europe sont réellement en déflation : la Grèce, l’Irlande et Chypre. L’Europe est donc aujourd’hui en période de désinflation ; la déflation n’est pas encore à l’oeuvre mais elle menace.

Quelles sont les causes de cette désinflation? Tout d’abord, l’évolution des prix des matières premières importées, et notamment de l’énergie. Ensuite, il y a l’évolution favorable du taux de change : depuis le 1er janvier, l’euro a gagné 4,17% par rapport au dollar, +6,23% sur un an. Ce renchérissement de l’euro fait baisser le prix des produits manufacturés importés en Europe.

Enfin, et surtout, cette désinflation est due à la baisse des coûts salariaux dans les pays du sud de l’Europe (Espagne, Grèce, Portugal) depuis deux ans. “Le processus de la déflation salariale s’étend en Europe, alerte Xavier Timbeau de l’OFCE. Cette concurrence salariale par le bas est très dangereuse pour l’Europe, c’est elle qui fait peser un risque de déflation généralisée”.
“C’est schizophrène de dénoncer la déflation alors même qu’on demande aux pays du Sud d’améliorer leur compétitivité, estime à l’inverse Sylvain Broyer de Natixis. Cette désinflation est bonne pour le pouvoir d’achat du consommateur”.

Comment éviter la déflation? “Il faut faire baisser le chômage, principal vecteur de la déflation salariale, en reportant les politiques d’austérité et en relançant l’investissement public”, indique Xavier Timbeau. Par ailleurs, poursuit l’économiste, “il faut instaurer une norme européenne de salaire minimum afin d’harmoniser les coûts salariaux”.

En l’absence de politique d’harmonisation sociale commune, seule la BCE a les moyens d’agir pour éviter que la zone euro ne s’enlise comme le Japon dans la déflation. Elle pourrait par exemple déprécier fortement le taux de change de l’euro pour soutenir la demande et faire remonter l’inflation. Mais l’Allemagne est très attachée à un euro fort. Elle pourrait également faire du quantitative easing, c’est-à-dire créer de la monnaie pour acheter de la dette publique des Etats, comme le fait le Banque centrale du Japon depuis six mois. Mais l’institution de Francfort est très réticente vis-à-vis du quantitative easing.

Reste l’arme du taux directeur : en le baissant en octobre de 0,5% à 0,25%, la BCE a voulu écarter tout risque de déflation. En maintenant durablement des taux bas, l’institution monétaire de Francfort espère relancer le crédit et l’investissement en zone euro, donc la reprise.

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