Le mystère de l’inflation (3): n’y a-t-il vraiment pas d’alternative à la création monétaire ?

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Dans leur quête d’inflation, les banques centrales s’alimentent toutes à la même source: celle de l’argent frais. N’existe-t-il vraiment pas d’alternative ?

“La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent” – Albert Einstein. Si cette définition est exacte, cela ne se présente pas très bien pour les banquiers centraux. À chaque fois que l’inflation s’est avérée quelque peu piquer du nez ces dernières années, ils sont arrivés avec la même réponse: “Nous allons encore injecter un peu plus d’argent frais dans l’économie.” Le taux d’inflation rêvé de 2% n’est toujours pas une réalité.

Des variantes ont parfois été imaginées. Ainsi, l’idée a gagné du terrain l’an dernier de ne plus racheter les dettes de l’État ou des grandes entreprises, mais de distribuer une somme à chaque citoyen, ce qui est mieux connu sous l’appellation ‘QE for the people’ ou ‘monnaie hélicoptère’. Une telle somme d’argent gratuite peut paraître très attrayante. Or, il n’est pas tellement bon de créer de l’argent à partir de rien.

De quelle autre manière l’inflation peut-elle encore (re)naître ? De mauvaises récoltes, une guerre ou une mauvaise gestion de l’économie comme au Venezuela paraissent peu tentantes. D’autres alternatives sont encore à imaginer. La question est juste de savoir si elles vont fonctionner.

Suppression du cash

L’une des idées qui pointent régulièrement le bout de son nez est la suppression de l’argent liquide. Si le Belge n’a plus la possibilité de payer sous la table, pas mal d’argent sera injecté dans l’économie, ce qui pourrait sérieusement la booster et générer quelque peu d’inflation. Nous serons en outre moins enclins à conserver du cash, nous investirons donc davantage.

Selon le professeur Paul De Grauwe (London School of Economics), la suppression du cash n’est pas une bonne idée. “Dans les pays scandinaves, on n’utilise quasiment plus d’argent liquide. En Allemagne, on paie principalement en cash. L’inflation ne diffère pourtant pas fondamentalement.”

Les détracteurs estiment que l’abolition du cash a surtout pour objectif de resserrer davantage les boulons de la politique monétaire. Actuellement, les épargnants reçoivent encore un taux d’intérêt minimum légal sur leur livret d’épargne pour les empêcher de réclamer massivement leur argent. “Si le taux d’intérêt s’élevait à -1%, tout le monde retirerait son argent”, analyse Peter Vanden Houte, économiste en chef d’ING Belgique. “Sans cette conséquence, les banques centrales pourraient en théorie diminuer le taux d’intérêt jusqu’à -5%, et de la sorte quasi contraindre les gens à dépenser leur argent.”

Hausse des salaires

Avant l’introduction de l’euro, les exigences salariales des ouvriers métallurgistes allemands étaient pour ainsi dire la principale boussole de la Bundesbank. Si le puissant syndicat métallurgiste déposait de lourdes exigences salariales sur la table de négociation, les banquiers centraux savaient qu’il y avait de l’inflation en perspective. Une hausse des salaires signifie en effet davantage de pouvoir d’achat et des coûts plus élevés pour les entreprises, ce qui conduit à une augmentation des prix. Pour la Bundesbank, c’était le signal pour actionner le frein.

Une hausse des salaires signifie davantage de pouvoir d’achat et des coûts plus élevés pour les entreprises, ce qui conduit à des prix plus élevés.

La Banque Centrale européenne (BCE) observe également le marché du travail avec attention, car elle est persuadée que “les salaires restent le principal levier de l’inflation”. Dernièrement, le président de la BCE Mario Draghi a dû pousser un soupir de soulagement. Car d’importantes négociations salariales sont à l’agenda en Allemagne et IG Metall (le syndicat professionnel allemand qui représente les ouvriers de l’industrie métallurgique, du textile et de l’habillement, du bois et du plastique, NDT) a ouvert les débats avec l’exigence d’une augmentation des salaires de 6%. “Auparavant, les banquiers centraux craignaient les hausses salariales, à présent ils les encouragent”, a constaté Claudio Borio. Ce dernier est l’économiste en chef de la Banque des règlements internationaux (BRI, Bank for International Settlements en anglais ou BIS), le petit club des principales banques centrales.

Ce n’est malgré tout pas une bonne idée que des travailleurs exigent une augmentation de salaire au nom de l’intérêt général. “Si les salaires augmentent indépendamment du chômage ou de l’évolution de la productivité, vous perdez alors de la compétitivité”, explique Vanden Houte. “Dans un environnement économique faible, vous obtenez ainsi davantage de chômage et non davantage d’inflation.

Objectif d’inflation plus élevé

En pleine crise, Olivier Blanchard, alors économiste en chef du Fonds Monétaire International (FMI), avait tenu un plaidoyer étonnant. Les banques centrales devraient tendre vers 4% d’inflation et non 2%. De Grauwe soutient également cette idée: “avec un objectif de 2% d’inflation, nous sommes constamment proches d’une spirale négative de déflation.”

Le marché ne croit même pas qu’il y aura 2% d’inflation’ Peter Van Den Houte, économiste en chef d’ING Belgique

Selon Vincent Juvyns (J.P. Morgan Asset Management), les banques centrales poursuivent déjà de facto un objectif plus élevé. “Elles ont déjà mentionné qu’elles toléreront quelque temps une inflation plus élevée. Cela devrait aider à rendre l’inflation durable. Mieux vaut un peu trop d’inflation que d’actionner à nouveau le frein immédiatement.”

L’idée à la base de l’objectif d’inflation plus élevé est aussi que les gens croiraient dans ce cas que l’argent est encore meilleur marché que ce n’est le cas à présent. Car si l’argent diminue plus rapidement de valeur, il est plus intéressant d’emprunter, ce qui pourrait booster l’économie. Mais peut-on persuader les gens qu’il y aura davantage d’inflation, si on ne parvient déjà pas maintenant à en créer un petit peu ?

Vanden Houte ne le croit pas, car les prévisions d’inflation sont dans une importante proportion pilotées par l’évolution du niveau des prix des années précédentes. “Le marché ne croit même pas qu’il y aura 2% d’inflation”, observe-t-il. “Le danger est en outre que l’objectif devienne un instrument monétaire. Parfois nous viserions 4%, et ensuite à nouveau 2%. Cela affaiblirait la crédibilité de la banque centrale. Un objectif d’inflation ne fonctionne que si l’on y croit dur comme fer.”

Relever le taux d’intérêt

Cette idée consiste en l’utilisation par les banques centrales d’une hausse du taux d’intérêt pour créer un effet de choc. Le taux d’intérêt est faible depuis bien longtemps déjà, mais les gens attendent peut-être d’être certains de la direction que l’économie prendra. En augmentant le taux d’intérêt, ils se rendraient compte qu’ils doivent se hâter s’ils désirent encore profiter de la faiblesse du taux d’intérêt. Cela donnerait ce petit coup de pouce tellement nécessaire à l’économie et dès lors à l’inflation.

Vanden Houte convient que la faiblesse du taux d’intérêt n’est plus le seul facteur qui détermine l’octroi de crédits. “Vous avez beau mettre le cheval près de l’eau, ce n’est pas pour autant qu’il voudra boire. La confiance est également nécessaire. Celle-ci, on pourrait peut-être l’éveiller grâce à une augmentation du taux d’intérêt, ce qui pourrait résulter en un court moment de renversement. Mais ce n’est assurément pas une solution structurelle.”

De Grauwe ne croit pas lui non plus en une hausse du taux d’intérêt. “L’inflation reste un phénomène monétaire. Pour faire augmenter les prix, il faut davantage d’argent.” Et vu que la création d’argent se fait surtout par le biais de l’octroi de crédits par les banques commerciales, il vaut dès lors mieux ne pas augmenter le taux d’intérêt. “Une hausse du taux d’intérêt signifie que vous actionnez le frein, car emprunter devient moins intéressant.”

Politique publique

La Belgique semble toutefois être un miracle de l’inflation. Dans notre pays, la BCE obtient son objectif les doigts dans le nez. Mais celui qui regarde sous le capot de l’économie belge remarquera que la pression stable sur les prix est stimulée par une augmentation des taxes qui rendent l’énergie plus chère et par une faible concurrence sur le marché des services. Les autorités de notre pays semblent de la sorte prêter main-forte à Draghi.

Selon Vanden Houte, ce modèle n’est pas à imiter. “Vous ne pouvez rendre l’économie moins efficiente afin d’obtenir une pression sur les prix”, ressort-il. “Nous observons le même débat autour du libre-échange. On pourrait remplacer des produits bon marché en provenance de l’étranger par des marchandises intérieures plus chères. On créerait ainsi également de l’inflation. Mais cela ne signifie pas que nous nous en porterions mieux.”

Le manque d’inflation découle d’un excédent d’épargne. Mais cela se solutionnerait facilement si les autorités investissaient massivement

Paul De Grauwe, London School of Economics

L’inflation dans notre pays est aussi due à la rigidité du marché du travail, où l’indexation automatique des salaires et les prix sont étroitement liés. Des réformes structurelles sont inversement déflationnistes, en théorie du moins : sur un marché du travail flexible, davantage de personnes seront au travail, mais il y aura moins de pression sur les salaires.

Selon Juvyns, il s’agit de trouver le juste équilibre. “Dans des pays avec un marché du travail très flexible comme la Suisse, le balancier penche probablement trop loin, car même avec le plein emploi, les salaires n’augmentent pas. Mais pour de nombreux pays, comme la Belgique et la France, une flexibilisation créerait un lien plus fort entre l’économie et les salaires, et donc une dynamique des prix plus saine.”

De Grauwe conclut que les autorités peuvent jouer un rôle central, en investissant. “Le manque d’inflation découle d’un excédent d’épargne. Mais cela se résoudrait facilement si les autorités investissaient massivement. Dans les années trente, nous sommes parvenus à sortir de la déflation de cette manière. C’était hélas en préparation d’une guerre.”

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