Le jeu dangereux de la Commission européenne avec les voitures chinoises

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

La Commission menace la Chine de taxes supplémentaires pour les voitures électriques. Bejing parle « d’acte purement protectionniste ». Les constructeurs allemands s’inquiètent des risques de rétorsion.

La décision annoncée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, mercredi, d’ouvrir une enquête sur un possible dumping dans la production de voitures électriques a été accueillie fraîchement à Beijing. “C’est un acte purement protectionniste qui va sérieusement perturber et fausser l’industrie automobile mondiale et la chaîne d’approvisionnement, y compris celle de l’UE, et qui aura un impact négatif sur les relations économiques et commerciales entre la Chine et l’UE”, a déclaré jeudi le ministère chinois du Commerce dans un communiqué.

Petite percée chinoise

Plusieurs constructeurs européens s’inquiètent des ambitions chinoises en Europe.

La marque MG, qui appartient au groupe SAIC, basé à Shanghaï, fait une percée avec la compacte électrique MG4, vendue 7.000 ou 8.000 euros moins chère que ses concurrentes européennes, Volkswagen ou Renault, à partir de 32.850 euros.

BYD, qui rivalise avec Tesla dans la production de voitures électriques, a de grandes ambitions en Europe, et a baissé le prix de son SUV Atto3 en Belgique, de 45.990 euros au lancement, fin 2023, à 38.740 euros, quasi imbattable pour les marques européennes.

15% d’autos chinoises en 2025 dans l’UE ?

Plusieurs constructeurs européens, dont Stellantis, se sont inquiétés de cette concurrence. La Commission européenne a réagi. « Les marchés globaux sont maintenant inondés par des voitures électriques chinoises », a déploré la présidente de la Commission. « Ce que nous n’acceptons pas à l’intérieur (de l’UE), nous ne pouvons l’accepter à l’extérieur. »

La Commission européenne note que la part des voitures électriques chinoises pourrait passer de 8% des ventes européennes actuellement à 15% en 2025. Avec un tarif environ 20% inférieur aux modèles européens.

Tentatives passées avortées

L’enquête, qui peut durer plus d’un an, pourrait mener à une augmentation de la taxe d’importation dans l’UE, qui s’élève à 10% actuellement. Mais les chances d’arriver à cette situation sont sans doute limitées.  L’UE avait imposé, en 2012, des tarifs pour limiter la concurrence des panneaux solaires chinois qui tuaient les producteurs européens, mais avait dû y renoncer, pour ne pas freiner le déploiement de ces installations en Europe.

4 risques de mesures protectionnistes 

Quelles sont les raisons qui pourraient faire dérailler une nouvelle taxation des importations de voitures chinoises ?

1. Le maintien à un niveau élevé du prix des autos électriques. Il va être difficile d’expliquer aux citoyens européens qu’ils n’auront pas accès à des véhicules électriques meilleur marché, alors que les législations européennes et locales tendent à freiner puis à interdire, à partir de 2035, l’achat d’autos à carburant. Les constructeurs européens promettent tous des autos moins chères, mais pour l’heure, une compacte made in Europe avec 400 km d’autonomie se vend aisément 45.000 euros. En Belgique, les particuliers ne les achètent guère, les clients sont des sociétés.

2. Pression des constructeurs européens qui produisent en Chine. BMW, Mercedes, Volvo, Dacia (groupe Renault) fabriquent des autos en Chine, qui sont importées en Europe. Il en va de même pour Tesla.

3. Risque de rétorsion contre les constructeurs allemands. Les trois géants allemands de l’auto, le groupe VW, BMW et Mercedes, dépendent lourdement du marché chinois. Ils y connaissent des difficultés, car les Chinois, friands d’autos à carburant allemandes, semblent mieux apprécier les électriques chinoises. Des rétorsions entraîneraient une crise pour ces groupes. L’association allemande des constructeurs, VDA, a mis ce risque en avant, demandant à la Commission de plutôt s’attaquer à la baisse du prix de l’électricité dans l’UE.

4. Risque d’approvisionnement. Les constructeurs européens sont encore fort dépendants des fournitures chinoises, en batteries et en matières premières.  Ils ne sont pas forcément encore autonomes, cela peut à la fois compliquer la vie des constructeurs et donner des armes à Beijing, qui peut freiner l’accès à certaines matières.

Le problème de la concurrence chinoise se pose surtout pour les constructeurs généralistes comme Renault ou Stellantis (Peugeot, Citroën, Chrysler, Fiat, DS,…), qui ont une grande clientèle à revenu moyen. Les premium allemands comme BMW ou Mercedes sont moins affectés par la concurrence chinoise, leurs autos se vendent à un niveau de prix élevé, et sont peu impactées, en Europe, par les marques chinoises qui visent ces créneaux, avec peu de succès jusqu’à présent.

Une posture de négociation ?

Cette annonce de la Commission européenne peut aussi être une posture de négociation, en vue du prochain sommet annuel EU-Chine, d’ici la fin de l’année, où Bruxelles souhaite obtenir un meilleur accès au marché chinois pour les entreprises européennes.

« Les prix des voitures chinoises, vendues en Europe, sont deux fois plus chers qu’en Chine »

Le CEO du groupe Volkswagen, Oliver Blume, a fait des déclarations surprenantes reprises par le site chinois CarNewsChina, le 5 septembre dernier. « Les prix des voitures chinoises vendues en Europe sont deux fois plus chers qu’en Chine », assure-t-il.  « C’est vrai qu’ils peuvent produire à un coût 20% inférieur, mais ils ne sont pas capables d’offrir ce niveau en Europe. Ils doivent dépenser beaucoup d’argent pour adapter les autos aux réglementations européennes et construire un réseau de vente. »

« Les constructeurs chinois ne sont pas une menace pour les constructeurs européens », a-t-il continué. Pour lui les marques européennes souffrent encore d’un souci de compétitivité qu’elles peuvent améliorer. « Nous devons travailler dur pour réduire les coûts, mais nous sommes confiants que cela pourra se faire assez rapidement. » Le groupe VW travaille, avec Umicore, sur de nouveaux types de cellules de batteries moins chères à produire. D’ici-là, le groupe VW tirera parti des marges dégagées par les modèles à carburant qui constituent toujours l’essentiel des ventes en Europe.

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