Le fléau de l’“inflation furtive”

Certaines compagnies aériennes vont jusqu’à faire payer l’impression des cartes d’embarquement, l’enregistrement à l’aéroport ou les oreillers et couvertures à bord. © Getty Images

Les entreprises ont trouvé des moyens détournés d’augmenter leurs prix. Où cela va-t-il s’arrêter ?

Comme les économistes aiment à le dire, il n’y a pas de repas gratuit. Mais si vous achetez votre déjeuner dans une succursale de McDonald’s, vous découvrirez peut-être qu’il n’y a pas non plus de sauce gratuite. Dans certains pays, le ketchup et d’autres condiments sont désormais payants. McDonald’s n’est pas le seul à imposer des frais inattendus à ses clients. Dans un contexte d’inflation galopante, les entreprises ont trouvé plusieurs moyens discrets d’augmenter leurs prix. L’année 2024 pourrait-elle marquer un tournant dans cette tendance néfaste ?

Un exemple classique est la technique du “dégroupage”, une ruse mise au point par les compagnies aériennes à bas prix. Il y a longtemps, elles ont commencé à facturer des frais supplémentaires pour des choses qui étaient auparavant incluses, comme la nourriture en vol et les bagages enregistrés. Elles ont ensuite commencé à facturer le choix du siège ou tout bagage de cabine plus grand qu’une chaussette remplie de sous-vêtements de rechange. Dernièrement, les choses ont vraiment dégénéré.

Certaines compagnies aériennes appliquent désormais une “redevance de développement technologique” contre le privilège d’effectuer des réservations en ligne qui, curieusement, dépend de la distance parcourue – les serveurs web doivent travailler beaucoup plus dur, voyez-vous, pour délivrer des billets longs-courriers. D’autres font payer l’impression des cartes d’embarquement, l’enregistrement à l’aéroport ou les oreillers et couvertures à bord.

Ce n’est qu’une question de temps avant que les compagnies aériennes ne commencent à vendre des billets pour la navette jusqu’à l’avion, à percevoir une redevance pour chaque vêtement porté ou à faire payer l’utilisation des toilettes (le patron de Ryanair, Michael O’Leary, a d’ailleurs suggéré cette dernière mesure un jour).


La pratique s’est répandue. Les hôtels et les centres de villégiature facturent souvent des “frais d’enregistrement”, les plats à emporter des “frais d’emballage” et les applications de covoiturage des “frais de sécurité”. Airbnb, une plateforme de location à court terme, a été critiquée pour avoir ajouté des frais de service et de nettoyage excessifs.

Payer pour ses propres sièges

Mais les frais supplémentaires ne se limitent pas aux services : ils sont également appliqués aux produits physiques. BMW a introduit des frais mensuels de 18 dollars pour activer les sièges chauffants sur certaines de ses voitures, avec un accès “illimité”pour un montant unique de 415 dollars. Mercedes-­Benz facture 60 dollars par mois, ou 600 dollars par an, pour l’option permettant d’augmenter l’accélération de certains de ses véhicules électriques. Imaginez que cela se généralise… Vous voulez utiliser le zoom de l’appareil photo de votre smartphone ? Payez. Vous voulez utiliser votre four à sa température maximale ? Désolé, c’est réservé aux abonnés premium.

Une autre façon pour les entreprises d’augmenter sournoisement leurs revenus est la tarification “à la hausse”. Les compagnies aériennes et les hôtels font depuis longtemps varier leurs prix en fonction de la demande saisonnière. Mais la possibilité de suivre la demande en temps réel permet d’ajuster les prix d’une minute à l’autre : Uber et d’autres applications de covoiturage pratiquent des tarifs plus élevés lorsque la demande est forte.

La tarification à la hausse est en train de contaminer d’autres secteurs d’activité. En septembre, une chaîne de pubs britannique a annoncé que les pintes de bière coûteraient plus cher le soir et le week-end, ou lors de grands événements sportifs. Les prix des billets pour les concerts, les événements sportifs et les parcs à thème sont également constamment modifiés. En théorie, il s’agit d’un triomphe de la main invisible du marché : si vous voulez payer moins cher, achetez lorsque la demande est faible. Mais les consommateurs mécontents se plaignent que la frontière soit aussi mince entre le fait de facturer ce que le marché peut supporter et le simple profit.

Fatigue du pourboire

Il y a aussi l’épidémie de pourboires, qui semble inéluctable. Depuis des années, les étrangers qui visitent l’Amérique sont surpris par l’omniprésence de la culture du pourboire dans le pays et par les attentes exorbitantes qu’elle suscite. Avec 20 %, le taux moyen de pourboire aux Etats-Unis est le plus élevé au monde. La justification est que les travailleurs du secteur des services peuvent légalement être payés à peine 2,13 dollars de l’heure, et qu’il incombe donc aux clients de faire ce qu’il faut pour que les serveurs, les barmans et les autres travailleurs puissent gagner un salaire décent. Avec les caisses à écran tactile, les clients sont de plus en plus souvent invités à payer des pourboires, et ce dans des endroits improbables. Ils peuvent se voir demander des pourboires dans des magasins de proximité, par des machines en libre-service et même sur des sites web.


Certains hôtels ajoutent automatiquement les pourboires du personnel à la facture, considérant ainsi le pourboire comme un frais caché. Mais il n’y a pas que l’Amérique. La demande de pourboire s’est étendue à d’autres pays, en raison de l’omniprésence des applications et des systèmes de paiement sans contact. Les Australiens se plaignent que les applications de livraison de nourriture ajoutent désormais des pourboires automatiques. Les Indiens sont souvent déconcertés par les messages les invitant à donner un pourboire aux chauffeurs de taxi.


La fièvre des hausses de prix furtives pourrait-elle enfin s’éteindre en 2024 ? Peut-être. La baisse de l’inflation pourrait tempérer le recours à des méthodes farfelues pour maintenir les marges. Les gouvernements parlent de réglementation : aux Etats-Unis, le président Joe Biden veut sévir contre les frais “de pacotille”, et les consommateurs se rebiffent. Les Américains se plaignent de la “fatigue du pourboire”. BMW a récemment supprimé ses frais de chauffage des sièges en réponse à la colère de ses clients. Airbnb a réorganisé sa plateforme pour rendre les frais supplémentaires plus visibles. Il existe certainement une opportunité pour les entreprises prêtes à proposer une tarification simple, “sans suppléments cachés”.


Cependant, il semble plus probable qu’après avoir découvert une myriade de méthodes pour gonfler les prix, les entreprises continueront à le faire. Les compagnies aériennes expérimentent le dégroupage des avantages des billets de classe affaires. BMW et Mercedes-Benz prévoient d’aller de l’avant avec d’autres “extras” payants. Les demandes de pourboires ne sont pas moins fréquentes. En effet, une compagnie aérienne américaine autorise désormais les passagers à donner un pourboire au personnel de cabine. La pollinisation croisée des techniques d’inflation furtive a manifestement encore du chemin à faire. Attendez-vous à plus d’indignation en 2024.

Leo Mirani, correspondant à Bombay de “The Economist”
Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”


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