Le budget wallon soudainement à l’équilibre ou les tours de magie de Jean-Luc Crucke

Un budget wallon soudain à l’équilibre alors que les dépenses dépassent les recettes de plus d’un milliard, et une bulle des certificats verts maîtrisée en… baissant la facture d’électricité : le magicien Jean-Luc Crucke a-t-il encore d’autres lapins dans son chapeau ?
« Nous avons le plaisir de vous présenter un budget à l’équilibre pour 2019, bien au-delà de nos engagements. » Le propos reste sobre mais Jean-Luc Crucke (MR) savoure l’instant. » Il ne faut pas sous-estimer l’effet psychologique d’un tel seuil, se réjouit le ministre wallon du Budget. Quand tu es revenu à zéro, tu ne peux pas passer ne fût-ce qu’à -10 ou -20 millions l’année suivante. Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, ne pourra pas se permettre de laisser aller les choses. Nous avons enrayé la spirale. » La trajectoire initiale prévoyait encore un déficit de 117 millions pour la Wallonie en 2019.
J’ai coupé dans les dépenses facultatives, ces petits cadeaux que les ministres peuvent donner.
Un tel résultat, sans hausse de taxes, à quelques jours du scrutin communal et à quelques mois des législatives, cela incite au scepticisme. Regardons-y donc de plus près. Une incongruité saute immédiatement aux yeux : le trou de 1,2 milliard d’euros entre les dépenses et les recettes (8 % du budget), peut-on vraiment appeler cela un équilibre ? » Il n’y a là aucun tour de magie mais seulement le passage de la comptabilité nominale à la comptabilité européenne (les fameuses normes SEC), celle qui permet les comparaisons « , répond Jean-Luc Crucke. Une série de dépenses sont » déparamétrées » : sous-utilisation de crédits (les administrations dépensent généralement moins que les montants prévus), trésorerie consolidée des Unités d’administration publique (pour un total incroyable de 185 UAP : Forem, SRIW, etc.), prises de participation, etc. » Il n’est pas impossible que le plan d’investissements soit aussi déparamétré par l’Europe, ajoute le ministre. A l’inverse de la Flandre ou du fédéral, nous l’avons en effet laissé dans notre budget. Cela nous amènera peut-être une bonne nouvelle et un peu de marge. »
» Non, les dépenses ne sont pas à l’os »
Le truc du magicien ne résiderait donc pas dans l’addition finale. Mais peut-être dans le calcul des recettes et des dépenses. Pour ces dernières, le gouvernement a notamment prévu une diminution de 3 % des frais de fonctionnement et de 1 % des frais de personnel des UAP. Peut-on raboter indéfiniment les moyens tout en préservant le service ? » Il est faux de dire ‘nous sommes à l’os’, il y a des habitudes à corriger et elles se corrigeront avec le temps, estime Jean-Luc Crucke. Nous n’agissons pas de manière linéaire, nous ne sommes pas là pour casser la machine. Mais pour insuffler un état d’esprit différent, pour imprimer une nouvelle ligne de conduite. J’ai aussi coupé dans les dépenses facultatives, ces petits cadeaux que les ministres peuvent faire, en accordant un subside de 5.000 euros à une association ou à un événement. Je sais que cela aide bien celles et ceux qui organisent des activités sportives ou autres, mais faut-il vraiment tout faire payer à l’ensemble de la collectivité ? Et tant que libéral, ce n’est pas ce que j’attends de la puissance publique. Je précise par ailleurs que nous n’avons posé aucune économie dans les budgets sociaux. »
Le grand argentier wallon a enregistré de bonnes nouvelles du côté des recettes. Les quotas de CO2 rapportent plus que prévu (260 millions au total) ainsi que, ô surprise, les additionnels à l’impôt des personnes physiques. Surprise parce que les allègements fédéraux (frais forfaitaires, quotité exemptée, suppression de la tranche de 30 %, etc.) devaient mécaniquement réduire le rendement des additionnels régionaux. Les projections indiquaient une perte de 103 millions, ce sera finalement une augmentation de 54 millions. » Cela prouve tout simplement que le tax shift fonctionne, que l’économie et l’emploi repartent, commente Jean-Luc Crucke. Cela se retrouve dans le rendement de l’impôt sur le revenu. » Hors de question, pour lui, d’augmenter le niveau de taxation. Bon, il consent à ce que l’on réclame une contribution forfaitaire pour l’assurance-autonomie mais seulement à partir de 2020 (d’ici là, un nouvel exécutif peut toujours revoir les choses…) et sur un montant réduit (34 euros/personne au lieu des 50 annoncés initialement). » Le solde viendra du budget wallon, chaque ministre devra structurellement trouver les moyens dans ses départements, dit Jean-Luc Crucke. Il fallait agir en la matière, car le vieillissement de la population est un fait. Mais je ne voulais pas que le coût repose uniquement sur les familles, même avec les exemptions prévues pour les moins favorisées. »

« Nous gérons la dette de manière dynamique »
Parmi ces recettes, on trouve cependant 911 millions de » produits d’emprunts « . Le tour de passe-passe ne serait-il pas ici ? Mais décidément, le ministre-magicien a réponse à tout : il ne s’agit pas d’un nouvel emprunt mais du refinancement d’engagements échus, comme les pouvoirs publics le font régulièrement. Ces opérations doivent désormais apparaître en tant que telles dans le budget, tant en recettes qu’en dépenses. » Cela apporte une meilleure lisibilité, et donc crédibilité, à notre budget, dit Jean-Luc Crucke. Mais ce n’est qu’une écriture comptable, notre budget n’a pas subitement gonflé d’un milliard d’euros. »
Le budget, non. Mais la dette ? Le ministre convient qu’elle augmentera en 2019, sans doute de l’ordre d’un demi-milliard car la réalité des besoins de trésorerie finit à un moment donné par rattraper les corrections de la comptabilité SEC. Pour vraiment la juguler, il faudra dégager des surplus les prochaines années. La dette dépasse désormais les 22 milliards d’euros et coûte quelque 300 millions d’euros en charges d’intérêt. » Nous la gérons de manière plus dynamique, assure le ministre. La Wallonie, qui bénéficie de meilleurs taux, emprunte à la place des UAP. Rien qu’avec cela nous gagnons de 4 à 6 millions d’euros en intérêts. » L’Agence régionale de la dette, dont le principe a été adopté cet été en première lecture par le gouvernement, devrait être effectivement mise en place au premier semestre 2019.
« Certains n’envisagent de solution que dans les caisses publiques »
Jean-Luc Crucke ne se contente pas de gérer les finances wallonnes. Il est également ministre des Aéroports et de l’Energie. Et en cette matière, il affiche aussi un côté » magicien « . Tout le monde se demandait comment payer la bulle des certificats verts, qui empoisonne la vie politique wallonne depuis des années… Et il arrive avec une solution qui inclut… une baisse des tarifs réclamés aux ménages ! Cela paraît un peu trop beau pour être vrai. » Non, il n’y a pas d’enfumage, il y a une solution qui n’avait jamais été étudiée auparavant, insiste le ministre de l’Energie. Les pistes de financement, elles existent aussi dans le privé, dans les banques, même si cela perturbe idéologiquement ceux qui n’envisagent de solution que dans les caisses publiques. »
En l’occurrence, BNP Paribas Fortis reprend la gestion des certificats verts, moyennant un emprunt obligataire pouvant aller jusqu’à 1,8 milliard d’euros et qui sera remboursé via une surcharge pendant 20 ans sur la facture d’électricité des Wallons. Cette surcharge existe déjà et son montant sera ramené de 13,8 à 7,5 euros/MWh (et même un peu moins la première année). Le » tour de magie » est en réalité un étalement dans le temps, ce qui permet d’alléger les mensualités mais alourdit la facture totale, comme le savent tous ceux qui ont réfléchi à la durée de leur crédit hypothécaire. Au final, les ménages wallons auront donc payé un peu plus pour résoudre cette bulle des certificats verts. » Oui, mais cette formule prévoit bien l’annulation des certificats verts après 15 ans et pas leur mise au frigo, comme c’était le cas auparavant, dit Jean-Luc Crucke. Cela nous coûtait 7 millions par an pour ne rien résoudre, pour juste tenter de cacher le problème sous le paillasson. C’était au mieux un sparadrap sur une hémorragie. Là, nous avons un véritable traitement. Notre formule permettra de remettre le marché des certificats verts en équilibre pour 2025, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici. » L’emprunt obligataire ne devrait a priori pas s’ajouter à la dette wallonne puisque le mécanisme des certificats verts a toujours été considéré comme » hors budget « .
Fallait-il alourdir les charges de tous les ménages, pour résoudre une erreur du passé avec les certificats verts ?
La task force instaurée pour dégager des pistes de solution avait suggéré une taxe de 45 euros par ménage. Une idée balayée par le ministre, rétif à toute idée de hausse de la fiscalité. » Attention, je n’ai pas dit que la transition énergétique n’avait pas un coût, que du contraire, précise Jean-Luc Crucke. Mais fallait-il alourdir les charges de tous les ménages, pour résoudre une erreur du passé ? Je ne suis pas le procureur du passé mais j’amène une solution pour l’avenir. C’est aujourd’hui que le citoyen doit être aidé, pour pouvoir faire des efforts pour aller vers une énergie plus sûre, plus durable et qui convienne à la survie de la planète. »
« Quand une filière est rentable, pourquoi encore la subsidier ? »
Tant qu’à avoir un magicien féru de politique énergétique, n’aurait-il pas un truc pour assurer l’approvisionnement du pays cet hiver ? » Je ne veux pas ajouter de la confusion dans le message, répond le ministre wallon. Le nucléaire, le gaz et la sécurité d’approvisionnement relèvent des compétences fédérales. A notre niveau, nous travaillons à des mesures de prévention, pour limiter les consommations. Il y a une série de petites mesures à laquelle nous devons travailler. Par exemple, serait-il dramatique de réduire de deux ou trois heures les horaires d’éclairage public pour contribuer à éviter un délestage ? »
Jean-Luc Crucke se présente en partisan résolu de la sortie du nucléaire en 2025. Ce qui implique de soutenir les alternatives. Du moins jusqu’à un certain point. » Le secteur évolue beaucoup et les critères de rentabilité économique aussi, dit-il. Quand une filière n’a plus besoin d’aides publiques pour fonctionner, il faut pouvoir les arrêter. Je l’ai fait avec le petit photovoltaïque. Cela n’a pas plu à tout le monde mais tant pis : toutes les études prouvent que le photovoltaïque est aujourd’hui rentable sans que cela ne coûte un euro à la caisse publique. Il fallait prévoir, me disait-on, un phasing out pour des raisons psychologiques. C’est gentil, mais les raisons psychologiques, c’est toujours le contribuable qui les paie ! L’argent public doit contribuer uniquement à aider les filières qui doivent encore se développer. Chaque année, nous déterminerons les taux d’octroi sur base de la rentabilité socio-économique des différentes filières. Il n’y a pas de raison de subsidier des sur-profits. »
Les subsides peuvent aussi aider les citoyens à réduire leur consommation en isolant leur habitation. De nouveaux mécanismes d’aide entreront en vigueur en 2019. » Au lieu de distribuer des primes dans tous les sens (il y en avait une trentaine), nous allons les cibler vers les investissements les plus opportuns sur base d’un audit de l’habitation, conclut Jean-Luc Crucke. Si l’audit estime que la priorité, c’est le double-vitrage mais que le propriétaire veut d’abord faire la toiture, hé bien, ce sera sans prime. «
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