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La triste sortie d’Angela Merkel

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Les hommages n’en finissent pas pour Angela Merkel qui quitte ses fonctions. Les dirigeants du monde entier chantent ses louanges, tandis que la population est flattée par l’image d’une chancelière allemande locataire de son appartement et qui fait ses courses au supermarché toute seule.

Les recettes démagogiques ont décidément une longue vie, malgré l’exemple désastreux de François Hollande, qui, pour être élu, s’est, lui aussi présenté comme un “homme normal”. Cela flatte les masses, qui ne paraissent pas comprendre que lorsqu’on assume des responsabilités exceptionnelles, il faut être un homme – ou une femme – exceptionnel(le).

Pour le reste, on ne peut pas dire que les dernières années du règne d’Angela Merkel aient été un succès. Les Allemands aiment peut-être bien la personne qu’elle incarne, surtout lorsqu’elle s’en va, mais sa politique ne recueillepas un soutien massif. Bien au contraire, son parti la CDU, qui obtenait 41,54% des voix en 2013, n’en a plus aujourd’hui que 24,07%… C’est le niveau le plus bas jamais obtenu par ce parti. Disons-le clairement: sur ce plan, la fin de l’ère Merkel ne peut s’appeler qu’une déroute.

Ce l’est aussi sur le plan des idées. Au départ, les grands partis allemands, tant la CDU chrétienne démocrate que le SPD social-démocrate, se fondaient sur une conception idéologique relativement claire: l’ordolibéralisme. Cette philosophie, qui était à l’origine celle d’économistes libéraux antinazis (“l’école de Fribourg”), faisait une quasi-unanimité dans l’Allemagne de l’après-guerre. Elle est fondée sur une conception certes dévoyée du libéralisme mais, à la base, elle part de l’idée que le rôle de l’Etat est de fixer les règles et de réguler, mais non d’avoir une politique économique, ni d’intervenir directement dans l’économie. Dans toute sa politique, et certes parfois en raison d’alliances qui lui étaient imposées par les urnes, Merkel n’a cessé de réduire la dose de libéralisme, et d’accroître l’intervention étatique ( ordnung).

Elle a ainsi détricoté la politique sociale très libérale qu’avait introduite son prédécesseur, le social-démocrate Gerhard Schröder, et s’est montrée de plus en plus proche de la politique des Verts, notamment en mettant fin au nucléaire, ce qui a contraint l’Allemagne à ouvrir des centrales au charbon, grandes productrices de CO2… Nous le savons en Belgique: la politique antinucléaire des écologistes a pour effet d’émettre plus de CO2.

Petit à petit, son parti, qui avait une tradition plutôt libérale, s’est rapproché du centre gauche, pour être qualifié par certains comme “le meilleur parti socialiste de tous les temps”. Ce n’est certes pas là une trahison de la doctrine ordolibérale, mais un grand réajustement, qui lui a fait préférer la partie “ordre” de cette notion, à celle de “libéralisme”.

Le paradoxe est que c’est sans doute dans le domaine où elle s’est montrée la plus libérale, celle de l’immigration, qu’elle a perdu le plus de voix. La droite allemande, comme toujours illibérale, lui a beaucoup reproché sa politique de frontières relativement ouvertes, ce qui a conduit à la création d’un parti d’extrême droite puissant, l’AfD.

Peut-être est-ce ce pragmatisme, refusant toute idéologie, qui lui a permis à la fois de rester longtemps au pouvoir et de quitter celui-ci par la petite porte, avec un parti que beaucoup présentent comme désormais dénué de contenu, comme d’autres partis chrétiens-démocrates européens de l’Italie à… la Belgique.

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