La tragédie grecque en 14 actes: récit d’une odyssée vers l’inconnu
Nouvelle réunion des ministres des Finances de la zone euro jeudi, et nouvel échec. Dans la tragédie de la dette grecque, à maintes reprises on a parlé de ‘dernière chance’, mais jamais encore la Grèce n’avait semblé aussi proche de la sortie, à moins que le sommet exceptionnel programmé lundi n’aboutisse sur une désormais improbable fin heureuse.
Décembre 2009
Suite à la crise financière qui s’est déclenchée deux ans plus tôt, le pays connaît de lourds problèmes financiers. Il apparaît que le gouvernement a embelli ses statistiques pendant de nombreuses années et qu’il a été à peine contrôlé. L’Union européenne (UE) impose à la Grèce de prendre des mesures immédiates afin de ramener le budget sur les rails, sous peine de sanctions. Bien que tous les pays se situent au-dessus de la norme des 3%, la Grèce accuse un déficit budgétaire de 12,7% du produit intérieur brut (PIB) – loin des 3,7% adoptés.
Le gouvernement du Premier ministre Giorgios Papandreou se fixe comme objectif de ramener le déficit budgétaire à 10% en 2010. La dette de l’Etat serait alors à 120% du PIB. L’agence de notation Fitch est la première à baisser la note de la dette publique de la Grèce, suivie de Moody’s et de Standard & Poor’s. Par conséquent, cela devient plus difficile pour Athènes d’emprunter de l’argent sur les marchés internationaux.
Mai 2010
La situation budgétaire de la Grèce est sans issue. En échange de mesures d’économie drastiques et douloureuses – et aussi pour protéger les banques qui possèdent des obligations d’Etats grecques – le Fonds Monétaire International (FMI) et les pays de la zone euro prêtent 110 milliards à Athènes, le plus grand plan de sauvetage de l’histoire. Les pays de la zone euro prennent 80 milliards à leur compte, le FMI 30 milliards. Le montant sera payé en plusieurs tranches.
Parmi les mesures d’économie du gouvernement Papandreou, on trouve une augmentation de l’âge de la pension de 62 à 67 ans, des baisses de salaire considérables pour les fonctionnaires et une augmentation de la TVA. À intervalles réguliers, la “troïka” (composée d’inspecteurs de la Banque Centrale Européenne, de la Commission européenne et du FMI) fournit un rapport sur l’état d’avancement de la réforme, sur base duquel elle décide le versement ou non de la tranche suivante du plan de sauvetage.
Des manifestations violentes contre le plan d’austérité font plusieurs morts dans les rues d’Athènes. L’économie grecque se contractera de 4,5% cette année-là.
Nous le savions déjà en 2001
Juin 2011
Giorgios Papandreou survit à un vote de confiance au parlement et reçoit également le feu vert pour le plan d’austérité de son gouvernement, qui a pour but de renouer avec la croissance économique et de rendre la charge de la dette à nouveau supportable. Le plan consiste en 28 milliards d’euros d’économies et 50 milliards d’euros de privatisations. Pendant ce temps, la plupart des fonctionnaires grecs participent aux 48 heures de grève qui paralysent complètement le pays.
Comme si c’était la chose la plus normale du monde, le vice-Premier ministre belge Didier Reynders (MR) déclare au journal français La Tribune: “Depuis l’entrée des Grecs dans la zone euro, en 2001, nous savions que leurs statistiques étaient truquées”. De plus, il rappelle que la Belgique était alors à la présidence du Conseil Européen. Dans les cercles européens, ces déclarations suscitent remarquablement peu d’émois.
Novembre 2011
Le technocrate Lucas Papademos, ancien vice-président de la Banque Centrale Européenne (BCE), succède au socialiste Papandreou en tant que Premier ministre. Papandreou a démissionné après un accord au sujet de la formation d’un gouvernement d’union nationale qui devait sortir la Grèce du bourbier financier. Lors de sa déclaration gouvernementale au parlement, Lucas Papademos déclare que son gouvernement a besoin de plus de temps pour instaurer toutes les mesures d’austérité nécessaires et que la Grèce a besoin d’un plan d’économie complémentaire. L’économie grecque a reculé cette année-là d’un énorme 7,1%. Doucement, le terme “Grexit” (exit de la Grèce de l’euro) fait son apparition.
Les Grecs optent pour l’euro
Février 2012
La Grèce – de facto en faillite – reçoit de l’UE et du FMI un deuxième plan de sauvetage de 130 milliards d’euros. Banques et compagnies d’assurance octroient 107 milliards de remise de dette à la Grèce, à la demande pressante des pays de la zone euro. À la condition qu’Athènes ramène sa dette d’Etat sous les 120,5% du PIB d’ici 2020.
Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne (BCE), qualifie cet accord de très bon. Le Premier ministre grec Lucas Papademos souligne que son pays implémentera les réformes promises. Chez les analystes, il y a une prise de conscience croissante que la nouvelle aide pour Athènes sert à remplir un tonneau sans fond.
Juin 2012
‘Les Grecs optent pour l’euro’. C’est la conclusion qui ressort après que les nouvelles élections aient été gagnées par les partis qui se trouvent derrière le plan d’assainissement. Antonis Samaras de la Nouvelle Démocratie devient Premier ministre et succède au Premier ministre intérimaire Panagiotis Pikrammenos. Celui-ci fut bombardé Premier ministre par intérim après que les élections législatives du 6 mai n’aient livré aucune majorité.
Démocratie Nouvelle veut mettre le plan d’assainissement imposé par l’Europe en oeuvre, ensemble avec le PASOK, parti traditionnel socialiste, et la Gauche Démocratique, mais en le répartissant sur un plus long délai.
Syriza, la gauche radicale d’Alexis Tsipras, opposée aux économies drastiques, atterrit dans l’opposition, en tant que deuxième plus grand parti. Les investisseurs réagissent de manière sceptique aux résultats des élections.
Entre-temps, le taux de chômage officiel atteint 23,1% de la population active. Parmi les jeunes (de 15 à 24 ans), il atteint même plus de la moitié: un énorme 54,9%. L’économie se contracte pour la quatrième année de suite, cette fois de 6,3%.
Avril 2013
Le parlement grec approuve de nouvelles économies, alors que 800 personnes manifestent dans les rues. L’approbation des plans était une condition pour l’obtention de nouvelles aides d’urgence de 8,8 milliards d’euros de ses créanciers internationaux.
Le point le plus marquant est le licenciement de 15.000 fonctionnaires, surtout des personnes qui travaillent dans un département qui a été supprimé. Beaucoup de services de l’Etat ferment suite au nouveau plan. A côté de cela, on observe plus de concurrence pour les professions libérales et l’Etat travaille à la collecte des arriérés d’impôts et des charges sociales. La contraction de l’économie est de 3,9% cette année-là. Le chômage monte à 27,4%, un jeune sur deux est sans travail.
Mai 2014
Fitch remonte la note de la Grèce, avec une prévision stable pour l’avenir. Avec le relèvement du statut de B- vers B, l’obligation d’Etat grecque appartient cependant encore toujours à la catégorie spéculative. Le regard plus positif est dû à l’amélioration des finances du gouvernement grec et à la stabilisation de l’économie.
Dans l’intervalle, les Grecs n’en peuvent plus des lourdes économies qu’ils subissent et se retournent toujours davantage contre les créanciers européens. Lors des élections européennes, deux jours plus tard, la gauche radicale Syriza devient, avec 26% des voix, le plus grand parti issu des urnes en Grèce.
Décembre 2014
2014 apparaît tout de même finalement comme l’année de l’espoir pour les Grecs. Le pays sort de la récession et croît à nouveau après des années de récession: le PIB progresse de 0,8% en comparaison avec 2013. Fin des réjouissances avec une nouvelle légère baisse au quatrième trimestre, après que les trois premiers trimestres aient montré une croissance. Le chômage pointe à 28%, le chômage des jeunes atteint même un large 60%.
Le parlement n’étant par trois fois pas parvenu à élire un nouveau président, des élections anticipées ont lieu le 25 janvier. Elles se révéleront être un moment charnière.
Janvier 2015
Ce que redoute l’Europe arrive: Syriza gagne les élections législatives. Tsipras atteint avec son parti anti-UE un large 36% des voix et trouve, un jour plus tard déjà, un partenaire de coalition dans le parti de droite les Grecs Indépendants. Une alliance étrange à première vue, mais l’un et l’autre s’opposent aux lourdes mesures d’austérité européennes.
Le même mois encore, la Grèce annonce faire exploser la collaboration avec la troïka des inspecteurs de la Commission européenne, de la BCE et du FMI, qui ont, au cours des années précédentes, surveillé l’exécution des réformes économiques et des mesures d’austérité. D’après Syriza, elles ont généré un bain de sang social et ont paralysé la relance économique.
Février 2015
Le programme d’aide, qui se termine normalement le 28 février, est, sur demande de la Grèce, prolongé de quatre mois, jusque fin juin donc. En échange, les Grecs doivent instaurer des réformes concrètes.
L’Allemagne et la Belgique, entre autres, qualifient les propositions grecques d”inadéquates’, le président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem et le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker parlent d’une étape dans la bonne direction. Les pourparlers entre Athènes et l’Europe se sont déroulés de manière particulièrement laborieuse.
Nous avons reçu mandat de la population grecque pour mettre fin à la politique d’austérité
Avril 2015
La récession du dernier trimestre de 2014 semble s’être poursuivie au premier trimestre de 2015. Entre-temps, les Grecs ont retiré 6 milliards d’euros de leurs comptes en banque. Jamais il n’y a eu aussi peu d’argent sur les comptes d’épargne grecs au cours des dix dernières années.
Mai 2015
Athènes avertit qu’elle ne pourra pas satisfaire à l’obligation de remboursement de 1,5 milliard d’euros au FMI en juin. Pour pouvoir payer, la Grèce a besoin de la tranche suivante du plan de sauvetage (7,2 milliards d’euros), mais elle la reçoit uniquement si elle implémente les mesures d’économie suivantes. La Commission Européenne, la BCE et le FMI trouvent largement insuffisantes les réformes que propose Athènes.
Le ministre des Finances Yanis Varoufakis trouve que son pays a fait de grands progrès et avance que c’est maintenant au tour des créanciers de tenir compte des Grecs.
Juin 2015
Le conflit s’amplifie et atteint un climax, c’est le pot de terre contre le pot de fer. Selon Alexis Tsipras, des mesures d’austérités supplémentaires ne sont pas une option. “Nous avons reçu mandat de la population grecque de mettre fin à la politique d’austérité”. Mais même s’il parvient à nouveau à décrocher de l’argent, il est presque certain que la Grèce devra à nouveau être sous perfusion dans un avenir proche.
Le 17 juin, des milliers de personnes, 7.000 suivant la police, se rassemblent sur la place Syntagma à Athènes pour demander “La fin des sacrifices” et témoigner leur soutien au gouvernement. Les manifestants portaient des bannières, en grec et en anglais, avec “Stop à l’austérité, soutenez la Grèce, changez l’Europe”, ou “Démocratie, pas de chantage”.
Le 18 juin, les ministres des Finances de la zone euro mettent fin à une énième réunion de la dernière chance sans parvenir à un accord.
La fin du jeu du chat et de la souris continue donc. Un Grexit et une réinstauration de la drachme deviennent soudain plus réalistes que jamais…
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