“La Grèce ne devrait pas payer cette dette illégale, illégitime et odieuse”
En pleine angoisse mondiale sur les conséquences d’un possible défaut de paiement d’Athènes, un audit commandé en avril par la présidente du Parlement grec, réalisé par des experts internationaux, conclut jeudi que “la Grèce ne devrait pas payer cette dette illégale, illégitime et odieuse”.
Le rapport, présenté mercredi et jeudi au Parlement, détaille la mise en oeuvre des deux plans de sauvetage internationaux, en 2010 et 2012, qui prévoient 240 milliards d’euros de prêts en échange de mesures économiques et sociales qui ont mis la Grèce sur le flanc.
Parmi les experts réunis par la présidente, très à gauche, du Parlement hellénique, Zoé Konstantopoulou, beaucoup sont membres du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM), dont le Belge Eric Toussaint, l’un des fondateurs du comité, auteur de nombreux ouvrages sur la dette et la mondialisation.
Leurs conclusions sont sans appel. D’abord, la dette grecque peut être considérée comme “illégale” car “les lois européennes et internationales ont été bafouées, tout comme les droits de l’homme pour mettre en place” ces programmes.
Deuxièmement, beaucoup des prêts consentis “sont illégitimes car ils n’ont pas été utilisés au bénéfice de la population mais pour sauver les créanciers privés de la Grèce”.
Enfin, ces plans de sauvetage sont “odieux car les créanciers et la Commission européenne connaissaient leurs conséquences possibles” mais “ont fermé les yeux sur les violations des droits de l’Homme” qu’ils ont engendrées.
“Illégale”, “illégitime”, “odieuse”, le rappport de cette commission d’experts conclut très clairement: “La Grèce ne doit pas payer cette dette”.
En 2009-2010, les banques grecques étaient très fragilisées par la crise, et menaçaient par contagion les banques françaises, allemandes ou américaines.
Et comme après le sauvetage des banques de 2008, il était difficile d’en faire avaler un autre aux citoyens européens, on a “dramatisé” la situation grecque, selon M. Toussaint, et “créé l’idée que le problème était celui des dettes souveraines (publiques, ndlr) et non celui des dettes privées. C’était un excellent moyen pour mener des politiques d’austérité en Grèce”.
Une partie de la dette, reconnue “odieuse”
La réalisation de cet audit reprend une revendication de longue date du parti de gauche radicale Syriza, dont est issu le gouvernement.
En 2011, le documentaire grec “Debtocracy”, auquel avait participé M. Toussaint, avait fait un parallèle remarqué avec l’Equateur où, en 2007, une partie de la dette, reconnue “odieuse”, avait été effacée.
La commission d’experts est-elle sérieuse en recommandant à la Grèce de ne pas payer, alors qu’elle risque d’être déclarée en défaut de paiement si elle ne verse pas 1,5 milliard d’euros au FMI le 30 juin ?
Pour M. Toussaint, si la Grèce menaçait sérieusement de ne plus rembourser le FMI ou la BCE, “les créanciers lui courraient après”, c’est-à-dire que le Premier ministre Alexis Tsipras aurait le beau rôle. “Mais nous ne sommes pas là pour dire au gouvernement grec ce qu’il doit faire”, ajoute-t-il.
Mme Konstantopoulou, qui devient au fil des jours une véritable icône pour certains Grecs, a évoqué une autre commission qu’elle a mise en place à son arrivée, cette fois sur les réparations que pourrait devoir l’Allemagne à la Grèce pour ses exactions pendant la deuxième guerre mondiale.
“La Grèce n’a jamais obtenu de réparations allemandes. Alors qu’il s’agissait de crimes contre l’humanité commis par les nazis pendant l’occupation, les autres pays ont accepté de passer outre. Et maintenant, les Grecs devraient se prosterner pour payer une dette qui n’est pas la leur, et qui n’est pas liée à des crimes internationaux ? ” s’est-elle exclamée.
Elle a indiqué que la Commission “n’en était qu’au premier stade de ses recherches”. L’idée planerait de demander à l’ancien président de la BCE Jean-Claude Trichet, ou à l’ancien directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn, tous deux en poste en 2010, de venir apporter leurs commentaires.
Toujours pas d’accord jeudi
Les ministres des Finances de la zone euro ont mis fin à leur réunion jeudi soir vers 19h. Ils se sont quittés sans parvenir à un accord sur l’épineux dossier de la dette grecque, a annoncé le commissaire européen en charge de l’Euro Valdis Dombrovskis, rapprochant un peu plus Athènes d’un défaut de paiement à la fin du mois.
Les espérances placées en ce rendez-vous n’étaient pas élevées. Le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem avait même évoqué une réunion “sombre”.
Les discussions relatives à la dette grecque étaient le dernier point à l’ordre du jour, mais celles-ci n’ont pas duré longtemps. Après à peine une heure, la salle de presse se voyait annoncer que les négociations avaient pris fin.
Selon le commissaire Dombrovskis, aucun accord n’a pu être trouvé. Il a qualifié cela de “signal fort pour la Grèce de s’engager sérieusement dans les négociations”. L’Eurogroupe reste prêt à se réunir à nouveau.
Lagarde réclame un dialogue “avec des adultes dans la salle”
La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a déclaré jeudi qu’en ce qui concerne la Grèce “l’urgence est de rétablir le dialogue, avec des adultes dans la salle”, après l’échec d’une réunion cruciale de la zone euro.
“Il nous manque un dialogue”, et “l’urgence est de rétablir le dialogue, avec des adultes dans la salle”, a-t-elle dit.
La Grèce risque de rater le 30 juin un remboursement au FMI, et d’être “en défaut” face à l’institution, comme l’a rappelé sa patronne.
“A partir de ce moment-là, les règles du FMI lui interdisent de procéder à quelque déboursement que ce soit”, sauf si les arriérés de paiement sont réglés entre-temps.
Les discussions entre Athènes et ses partenaires se sont une nouvelles fois soldées par un échec jeudi à Luxembourg.
Athènes doit rembourser quelque 1,5 milliard d’euros au FMI le 30 juin. Or les caisses sont vides, ce qui rend impératif le versement au pays des 7,2 milliards d’euros promis par ses créanciers et en suspens depuis des mois.
Le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a “lancé un appel” aux autorités grecques pour qu’elles reviennent “sérieusement à la table des négociations”, et “accepte de faire des compromis raisonnables” pour “éviter un sort qui serait tout à fait catastrophique”.
Une réunion ce vendredi à la BCE pour accroître les financements aux banques
Le conseil des gouverneurs de la BCE doit tenir une conférence exceptionnelle ce vendredi pour discuter d’un possible relèvement des financements d’urgence (ELA) aux banques grecques, ont déclaré à l’AFP plusieurs sources européennes.
Cette conférence, organisée par téléphone, est programmée vers midi, ont fait savoir ces sources, alors que les retraits bancaires en Grèce se sont accélérés ces derniers jours.
La Banque centrale européenne avait déjà relevé mercredi de 1,1 milliard d’euros le plafond de son financement d’urgence pour les banques grecques, le portant à 84,1 milliards d’euros.
Sommet européen exceptionnel lundi
Le président du Conseil européen Donald Tusk a convoqué les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro pour un sommet exceptionnel lundi soir à Bruxelles suite à cet échec. “Il est grand temps que la situation de la Grèce soit discutée au plus haut niveau politique”, a-t-il indiqué dans son annonce.
L’Eurogroupe de jeudi était annoncé depuis plusieurs jours comme la énième “réunion de la dernière chance”, mais les ministres des Finances de la zone euro n’ont pas discuté plus d’une heure de la crise de la dette grecque. Ils se sont séparés vers 19h00 sans la moindre perspective d’accord.
Donald Tusk a immédiatement convoqué un sommet exceptionnel le lundi 22 juin en soirée à Bruxelles. Celui-ci peut cette fois être véritablement qualifié de “sommet de la dernière chance”. Le programme d’aide à la Grèce arrive à échéance le 30 juin. Sans prolongation, Athènes ne sera pas en mesure de rembourser quelque 1,5 milliard d’euros au FMI ce mois-ci.
Si un accord est noué, cela prendra encore quelques jours avant que toutes les instances compétentes et toutes les assemblées concernées puissent approuver le compromis. La deadline se situe donc bien en deçà des douze jours dans ce dossier.