Dans son bureau orné de souvenirs personnels, le ministre wallon de l’Économie, Pierre-Yves Jeholet, reçoit Trends-Tendances pour le premier épisode du podcast “Dans le bureau de…”.
Plutôt qu’une révolution, le ministre wallon de l’Économie, Pierre-Yves Jeholet, défend l’idée d’une rupture avec le fatalisme et d’une Wallonie qui assume enfin son destin. Cette rentrée politique signe également l’heure de vérité budgétaire. Les réels efforts vont véritablement commencer.
OLIVIER MOUTON. Monsieur le ministre, votre bureau regorge d’objets singuliers. On y remarque notamment une peinture représentant ce qui ressemble à une mêlée de football. Est-ce une métaphore de la mêlée politique actuelle ?
PIERRE-YVES JEHOLET. (sourire) Pas vraiment. C’est en réalité l’intervention d’un gardien de but devant des attaquants adverses. L’œuvre est de Robert Alonzi, un artiste de ma commune de Herve, que j’apprécie beaucoup. Son style ne laisse pas indifférent : on aime ou on n’aime pas, mais moi, j’aime. Vous voyez aussi là-bas une peinture de la cavalcade, un événement folklorique très important chez moi.
O.M. Vous êtes en pleine cavalcade wallonne, alors. S’agit-il d’une révolution ?
La cavalcade, oui, je m’y sens parfois… Mais parler de “révolution wallonne” serait exagéré. Je préfère évoquer une rupture wallonne. Nous avons voulu mettre fin au fatalisme, au “on a toujours fait comme ça”. La Wallonie doit innover, former, embaucher. Nous avons lancé des réformes structurelles et systémiques pour que la Région réussisse enfin.
“Nous avons voulu mettre fin au fatalisme, au ‘on a toujours fait comme ça’. La Wallonie doit innover, former, embaucher.”

BAPTISTE LAMBERT. Dans ce bureau, des décisions importantes sont prises. Des mauvaises nouvelles tombent. Est-ce que les portes claquent parfois ?
Non, je n’ai pas ce tempérament.
O.M. Pas comme d’autres…
Chacun sa façon de faire, mais le cap est commun. Pour ma part, je peux être soupe au lait dans la vie privée, mais pas au travail. Avec mes collaborateurs, on se réunit longuement, on prépare les Conseils des ministres, on construit les réformes. C’est un lieu d’échanges et de décisions pour la Wallonie, pas de coups de gueule.
O.M. À vos débuts, vous étiez un peu dans le slogan. On se souvient de “La Wallonie n’est plus un Mister Cash”, décliné à toutes les sauces. Est-il toujours valable ?
Plus que jamais ! Beaucoup reprennent aujourd’hui cette formule, même des journalistes. Je devrais demander des droits d’auteur. Le contexte est difficile, mais nous avons lancé des réformes sur la formation, l’emploi, l’économie. Personne ne peut m’accuser d’incohérence : plusieurs mesures sont déjà validées, d’autres suivront bientôt sur l’internationalisation, par exemple, avec une réforme de l’Awex. Oui, les finances sont tendues, mais on ne baisse pas les bras.
B.L. L’un des chantiers majeurs, c’est l’emploi. Le fédéral a décidé de limiter dans le temps les allocations de chômage. Mais la clé, c’est l’activation via le Forem. Y a-t-il déjà des résultats ?
La limitation des allocations était inévitable. Une allocation n’est pas une rente. Mais la clé, c’est l’accompagnement. Les réformes impliquent une triple responsabilité : politique, avec le courage de prendre des mesures difficiles ; administrative, avec une adaptation des services publics comme le Forem ; et citoyenne, car l’emploi ne tombe pas du ciel. La solidarité ne peut pas être unilatérale.
O.M. Certains se disent déjà que tous les chômeurs exclus finiront au CPAS…
Ça, c’est le fatalisme ! Il y en aura, bien sûr. Mais il faut aussi pouvoir saisir ce moment comme une opportunité. On va faire des efforts dans l’accompagnement. Est-ce que des choses changent ? Nous voyons un progrès : 27% des chercheurs d’emploi ont aujourd’hui un profil visible par les employeurs, soit 65% de plus qu’à mon arrivée. C’est un signal clair de changement.
O.M. L’autre clé, c’est la création d’activité. Développer et faire grandir des entreprises. Vous avez remanié Wallonie Entreprendre. Peut-on s’attendre à d’autres chantiers ?
Wallonie Entreprendre a aujourd’hui une feuille de route beaucoup plus resserrée, avec de vrais indicateurs de résultats. Nous allons appliquer la même méthode à l’Awex, à l’Agence du Numérique, au Forem, à l’IFAPME.
Soyons clairs : en Wallonie, nous avons trop de structures publiques, parfois redondantes. Dorénavant, chaque euro public investi doit servir de levier pour attirer des investissements privés, stimuler l’innovation et créer de l’emploi. Trop de structures sont biberonnées aux subsides. On l’a vu avec le photovoltaïque, les primes à la rénovation, les subsides facultatifs. On s’est habitué à mettre les factures au frigo, en se disant que “quelqu’un d’autre paiera”. Aujourd’hui, c’est fini. Je l’ai dit, même aux entreprises. Ce n’est pas viable.
“Soyons clairs : en Wallonie, nous avons trop de structures publiques, parfois redondantes.”
O.M. Vous avez un exemple en tête ?
Prenons les APE, ces emplois subventionnés. Ce dispositif représente encore 1,35 milliard d’euros. À l’origine, il devait aider à remettre au travail des personnes éloignées de l’emploi. Mais on a oublié cet objectif. Aujourd’hui, j’ai décidé que 400 millions d’euros seront réorientés vers l’aide à l’embauche dans le secteur marchand, pour que les entreprises puissent engager des personnes plus éloignées du marché du travail. Ce n’est pas toujours simple pour elles, mais il faut avancer, et beaucoup comprennent cette logique. Il n’y a pas assez de personnes qui travaillent en Wallonie.

B.L. Certains vous reprochent, malgré tout, un manque de vision industrielle. Quelle est, selon vous, la politique industrielle de la Wallonie ?
C’est un reproche un peu facile de l’opposition. La politique industrielle existe, elle est claire et assumée. Nous voulons ancrer la Wallonie dans les chaînes de valeur stratégiques européennes : la défense, la santé, l’énergie, l’agroalimentaire.
Je le dis souvent : on ne fait pas de la recherche pour remplir des formulaires ou pour se donner bonne conscience. La recherche doit être valorisée, devenir un tremplin pour l’activité économique et l’emploi durable ici, pas ailleurs. Je refuse que nous financions des universités, des centres de recherche ou des entreprises avec de l’argent wallon pour que demain, les retombées profitent à l’étranger.
C’est ça, notre vision industrielle : renforcer nos écosystèmes, transformer nos atouts scientifiques en projets industriels, et garder la valeur ajoutée en Wallonie.
B.L. Pour développer cette industrie, faut-il une pause environnementale, comme le demandent certains de vos collègues ?
D’abord, qu’on soit clair : nous ne nions pas l’enjeu climatique.
O.M. Ce n’est pas ce que dit Jean-Luc Crucke (Les Engagés) de son partenaire de gouvernement, David Clarinval (MR)…
Je connais bien Jean-Luc Crucke. Il est dans la provocation. Ce sont les discours de rentrée. Moi, j’ai envie d’être constructif. C’est une question essentielle mais je refuse les dérives idéologiques. Je suis en contact quotidien avec les entreprises wallonnes, et beaucoup sont déjà pionnières en matière de décarbonation.
B.L. Lave-t-on plus blanc que blanc ?
Mais évidemment. Ici, un permis pour une extension d’activité est refusé pour quelques crapauds. On rigole ou quoi ? On se moque de qui ? Ce genre de décisions freine l’activité économique sans bénéfice réel pour l’environnement. On ne réussira pas la transition climatique sans création de richesse et d’emplois.
B.L. Vous avez évoqué la défense comme secteur stratégique. N’y a-t-il pas un risque que la Flandre capte l’essentiel des investissements, notamment avec la SFPIM dirigée par un nationaliste flamand, Jan Jambon pour ne pas le nommer ?
J’ai déjà eu une réunion avec Theo Francken, ministre de la Défense, et nous allons conclure un accord de coopération entre le fédéral et les entités fédérées. Je reste vigilant. Mais je constate que notre écosystème wallon est en avance : quand les ministres flamands visitent nos entreprises, ils reconnaissent notre expertise.
Je n’ai rien contre les investissements en Flandre. Mais je veux des retombées directes pour l’industrie wallonne. La preuve : nous avons décidé une recapitalisation de 100 millions d’euros pour la FN Herstal. C’est un signal fort de confiance, pour maintenir un centre de décision et une capacité d’innovation en Wallonie. Pour moi, c’est ça, la politique industrielle : anticiper, investir et faire de la défense un secteur d’avenir.
“Je n’ai rien contre les investissements en Flandre. Mais je veux des retombées directes pour l’industrie wallonne.”
O.M. Peut-on rattraper un jour la Flandre ?
Il faut de l’ambition. La Wallonie a des atouts : ses PME, ses entreprises, son tissu économique exceptionnel. Mais le défi budgétaire est immense. Des choix très difficiles devront être faits lors du conclave. Chaque ministre devra assumer des coupes.
O.M. De quel ordre ?
On n’a pas encore pu le chiffrer. Mais on va devoir assumer des choix très compliqués. C’est ça, la responsabilité politique.
O.M. Dans ce contexte, comment fait-on pour avoir les gens derrière soi ?
Vous avez raison. Il faut aussi faire preuve d’empathie. Derrière chaque décision budgétaire, il y a des personnes, parfois des situations très difficiles. Certains ont décroché pour des raisons personnelles ou sociales : on doit leur tendre la main, une fois, deux fois. Personne ne doit rester au bord du chemin.
Mais il faut aussi dire la vérité : d’autres n’ont jamais fait beaucoup d’efforts pour travailler. Dans ces cas-là, c’est normal que la collectivité attende un retour. La solidarité, ce n’est pas un guichet automatique. C’est un pacte : des droits, mais aussi des devoirs.
Avec les entreprises, le dialogue existe. Quand on leur dit qu’on va réformer les aides à l’embauche, elles comprennent l’enjeu, même si ce n’est pas toujours favorable pour elles. Avec les syndicats, c’est plus compliqué. Ils restent dans une vision du 19e siècle, qui ne fera pas avancer la Wallonie. Mais moi, mon bureau reste ouvert : je suis toujours prêt à discuter.
B.L. Tiens, derrière vous, on voit des unes de “Paris Match”. Pourquoi ?
Pendant le covid, comme il y avait moins de sorties et de réunions, j’ai redécouvert la collection de Paris Match que mon père gardait depuis des années. Certaines couvertures m’ont marqué, notamment celles sur Jacques Chirac. C’était un personnage controversé, certes, mais il avait ce rapport direct aux gens qui me parle beaucoup. Je suis aussi un homme de terrain : j’aime le contact, j’accepte la critique, j’aime la confrontation quand elle reste respectueuse.

B.L. Cela rappelle-t-il aussi vos études de journalisme ?
Exact. J’ai fait mon mémoire sur la révolution roumaine… dans Paris Match !
O.M. Comment vont les relations entre votre parti et les médias ?
Vous êtes là, c’est déjà une preuve que ça se passe bien ! (sourire) Plus sérieusement, je considère que la relation entre journalistes et politiques est essentielle pour la démocratie. Il doit y avoir du respect et du dialogue. J’ai toujours entretenu de bonnes relations avec la presse. Mais je ne vous cache pas que certains dérapages m’inquiètent. L’épisode de l’entretien téléphonique enregistré et diffusé par la RTBF, par exemple, m’a fait peur. Quand je parle à un journaliste, je ne veux pas craindre que la conversation se retrouve le lendemain sur un réseau social. La confiance est indispensable, et la RTBF doit assumer son erreur.
B.L et O.M. Merci pour cet échange.
Merci à vous. Vous voyez, ici, on ne claque pas la porte… Mais on partage un café !
“Dans le bureau de…”
Une fois par mois, Olivier Mouton et Baptiste Lambert se rendent avec leurs micros et leur table de mixage dans le bureau d’une personnalité politique. L’occasion d’y évoquer des souvenirs personnels, mais surtout de parler du fond des dossiers, dans le rythme d’un échange à trois.
Ce podcast s’inscrit dans “Le combat francophone”, un podcast hebdomadaire des deux journalistes de Trends-Tendances, qui s’évertuent à comprendre, dénoncer et, pourquoi pas, inspirer le redressement économique de la Wallonie et de Bruxelles.
Le tout fait partie d’une nouvelle offre quotidienne de sept podcasts disponibles sur toutes les plateformes : Trends-Tendances Podcasts.
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