La prise de pouvoir de Bouchez sur les finances

Georges-Louis Bouchez (MR) et le ministre sortant des Finances, Vincent Van Peteghem (cd&v) BELGA PHOTO ERIC LALMAND
Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Avec Jan Jambon (N-VA), ce n’est pas seulement un nouveau ministre des Finances qui prend ses fonctions. De nombreuses décisions politiques de son prédécesseur Vincent Van Peteghem (cd&v) sont aussi abandonnées. Cela va de la limitation des rémunérations via les droits d’auteur à certaines règles fiscales aux accents kafkaïens.  

Ce fut l’un des affrontements les plus marquant de la formation du gouvernement. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a fulminé à l’époque contre le ministre sortant des Finances, Vincent Van Peteghem (cd&v), lorsque le régime fiscal préférentiel des droits d’auteur fut évoqué. Lors de la législature précédente, le système avait été durci dans le but de le ramener à son essence. Le paiement via les droits d’auteur ne devait plus être possible que pour les catégories qui y étaient initialement éligibles : écrivains, artistes et journalistes, par exemple.

Au fil des ans, les développeurs de logiciels ont également été partiellement rémunérés via des droits d’auteur. Jusqu’à un certain montant, l’imposition de ces revenus était bien plus faible que celle des revenus professionnels ordinaires. S’ajoutait à cela, un abattement forfaitaire généreux. Le paiement en droits d’auteur permettait donc de réduire le coût du travail.

Ces derniers mois, Bouchez a continué à défendre cette application plus large des droits d’auteur. Bien que le gouvernement De Croo ait décidé fin 2022 que le secteur IT ne pouvait plus bénéficier de ce régime. Des acteurs influents comme Fabien Pinckaers, d’Odoo, avaient notamment alerté sur le fait que cette décision compliquerait considérablement l’embauche de talents dans les entreprises IT.


Un lobbying efficace

Lors de la précédente législature, le ministre des Finances Van Peteghem a longtemps soufflé le chaud et le froid à ce sujet, tout comme l’Administration et le service public fédéral des Finances. Mais, il a finalement réussi à restreindre le champ d’application des droits d’auteur. Il a décidé d’exclure la conception de programmes informatiques du régime spécial.

“Ce n’est pas une décision prise sur la base d’une loi stricte, mais sur la base d’une question parlementaire, et donc sur l’autorité du ministre”, explique l’expert fiscal Kristof Willekens. Lors d’un débat en commission des Finances, Van Peteghem a mis les points sur les I. Il a déclaré que c’était la position de l’Administration et du service des décisions anticipées (SDA). En effet, une décision négative a été rendue. Elle affirm que les programmes informatiques ne relevaient pas du champ d’application du régime fiscal réformé.

Cela a provoqué une grande frustration chez Georges-Louis Bouchez (MR). Lors des négociations gouvernementales, ce dernier a piqué une colère rouge. Il dit à Van Peteghem que, s’il en tenait à lui, il ne serait plus jamais ministre des Finances.

Le régime fiscal des droits d’auteur élargi

Le cd&v détient désormais le portefeuille du Budget dans le nouveau gouvernement, mais plus important encore, Bouchez a obtenu gain de cause dans l’accord gouvernemental. “Le régime fiscal des droits d’auteur sera élargi afin de mettre fin à la discrimination actuelle entre les métiers du numérique (qui, selon le fisc, ne peuvent pas bénéficier du régime) et les autres professions.” Les développeurs de logiciels peuvent à nouveau être payés via les droits d’auteur. Il semblerait qu’un lobbying intense ait été exercé par Odoo auprès du MR.

Les entreprises de technologie ne vont toutefois probablement pas changer de cap du jour au lendemain. “Les entreprises qui, il y a quelques années encore, payaient des droits d’auteur, ont cessé de le faire. Elles ont fait un effort pour augmenter le salaire brut ou le rendre conforme au marché. Si vous revenez là-dessus maintenant, vous aurez besoin d’une décision judiciaire”, prévient Kris De Schutter, avocat en droit du travail chez Loyens & Loeff.

“Sinon, vous risquez de vous retrouver dans la zone de l’abus fiscal, car vous ne pourrez pas justifier cette fluctuation de salaire. En outre, le gouvernement doit veiller à ne pas créer d’insécurité juridique. Imaginons que le gouvernement tombe dans un an ? Les entreprises peuvent attendre un peu, et par exemple, opter pour une flexibilité dans la rémunération avec le budget mobilité. Si un salarié abandonne une voiture de société, avec le budget libéré, son crédit hypothécaire est payé. Si vous faites plus de la moitié de votre travail en télétravail, vous pouvez aussi en bénéficier fiscalement. C’est mieux que l’incertitude juridique des droits d’auteur.”

A nouveau des contacts directs avec l’administration fiscale

Ce n’est pas le seul revers pour Van Peteghem, selon les experts fiscaux. La façon dont les citoyens peuvent accéder aux services fiscaux est également modifiée. Vincent Van Peteghem avait rendu impossible tout contact direct avec les contrôleurs par téléphone ou e-mail. Son argument était de protéger la vie privée et d’éviter le piratage.

Willekens : “C’est désormais uniquement possible via le centre de contact général des Finances, à l’aide d’un code sur la lettre fiscale. C’est un véritable cauchemar pour les citoyens. Mais, même de nombreux contrôleurs ont trouvé cela ridicule et donnaient eux-mêmes leur adresse e-mail ou leur numéro de téléphone.”

Un virage clair

Que dit l’accord gouvernemental à ce sujet? “Le gouvernement veillera à ce qu’il y ait un accès direct et immédiat à l’inspecteur ou au service responsable du contrôle pour tous les contrôles fiscaux en cours et/ou les litiges ou questions des contribuables. Plus précisément, pour les contrôles dans les différents sous-domaines fiscaux (TVA, impôt sur les sociétés, précompte professionnel, etc.), une communication uniforme sera instaurée, ainsi qu’un point de contact clair pour les différents centres compétents (avec des codes téléphoniques et des adresses e-mail) et la possibilité de contacter directement le contrôleur et, si nécessaire, de prendre un rendez-vous.” Le virage est on ne peut plus clair.

Le ministre sortant des Finances, Vincent Van Peteghem (cd&v) BELGA

Disparition du “monstre des monstres

À la page 37 de l’accord gouvernemental, on trouve une phrase quelque peu cryptique, surtout pour les non-fiscalistes. “Le gouvernement supprimera le formulaire annexe n° 270 MLH (annexe de location) dans les plus brefs délais et travaillera à une alternative moins lourde administrativement, en tenant compte des informations dont l’administration dispose déjà.”

Il s’agit ici d’un formulaire obligatoire à joindre à la déclaration fiscale. L’annexe 270 MLH a été introduite pour les locataires qui déclarent leur loyer payé et les avantages locatifs attribués comme frais professionnels. Elle doit être remplie pour chaque bien immobilier loué et mis à charge. Les époux et partenaires légaux doivent, dans le cadre d’une déclaration conjointe, ajouter chacun leur propre annexe.

Kristof Willekens : “Cela a été introduit par Van Peteghem et c’est un véritable monstre. Il a fallu des mois pour qu’un modèle de formulaire soit prêt, alors que la période de déclaration avait déjà commencé. De plus, il s’agit d’informations que l’administration possède déjà dans de nombreux cas.”

Déclaration des indemnités de frais

Une autre phrase dans le programme gouvernemental semble anodine, mais marque aussi un tournant. “Un cadre pour les frais propres à l’employeur sera mis en place dans les plus brefs délais.” Il s’agit des frais qu’un salarié ou un dirigeant d’entreprise engage, mais qui sont à la charge de l’employeur ou de la société.

Ils sont mieux connus sous le nom de remboursement des frais professionnels, qu’ils soient réels ou forfaitaires. Des exemples de ces frais propres à l’employeur incluent les frais de déplacement, de stationnement, de téléphone mobile, de restaurant et d’hébergement en lien avec une mission professionnelle.

Les développeurs de logiciels peuvent à nouveau être payés en droits d’auteur. Mais les entreprises IT feraient bien d’attendre encore un peu.

Depuis 2022, à la demande du ministre et de l’administration fiscale, une obligation de déclaration étendue s’applique. Cela signifie que le montant total de tous les types d’indemnités de frais doit toujours être mentionné sur la fiche fiscale. Si les indemnités forfaitaires ne sont pas mentionnées sur une fiche individuelle, elles ne sont pas déductibles. Ne pas mentionner les indemnités réelles entraîne une amende administrative.

“Il est clair que cela visait à faire en sorte que ces montants figurent dans les statistiques fiscales. Qu’après quelques années, quelqu’un puisse demander au ministre un récapitulatif de tous les remboursements de frais professionnels”, explique Kristof Willekens. “L’objectif était de crier ensuite que c’était scandaleux que ces montants soient versés sans impôts aux salariés et dirigeants.”

« Pas de salaire caché »

Le mouvement ouvrier chrétien, par l’intermédiaire de Beweging.net et du syndicat ACV, a depuis longtemps exprimé des critiques sur les remboursements de frais professionnels.

Dans un plan de réforme fiscale rédigé par Vincent Van Peteghem, on peut lire : “Nous serons plus stricts sur la déclaration et le remboursement des frais. Chacun doit payer une contribution juste. Les frais engagés par le salarié pour des fins professionnelles, tels que les frais de déplacement et de stationnement, sont des frais à la charge de l’employeur. Lorsque l’employeur rembourse ces frais au salarié, il est logique que ces remboursements correspondent aux frais réels. Les frais à la charge de l’employeur ne doivent pas être utilisés pour verser un salaire caché.”

En d’autres termes, une approche fiscale plus stricte permettrait de générer davantage de recettes pour l’État et d’augmenter les coûts salariaux pour les entreprises. Le gouvernement De Wever met fin à ce raisonnement.

Les frais à la charge de l’employeur ne doivent pas être utilisés pour verser un salaire caché.

Voitures électriques hybrides

Le gouvernement précédent a essayé, dans un cas concret, de remettre en cause les indemnités de frais. Celles des salariés qui chargent leur voiture de société électrique à domicile et sont remboursés par l’employeur. Selon le gouvernement précédent, ce remboursement devait être basé sur les frais réels, obligeant les employeurs à calculer le montant exact. C’était très compliqué.

Beaucoup d’entreprises utilisaient donc un tarif forfaitaire basé sur les chiffres du régulateur énergétique CREG. Cependant, ceux qui ont un tarif d’électricité plus bas à domicile que celui de CREG, ou qui ont des panneaux solaires (et peuvent donc charger gratuitement), étaient remboursés de trop, selon l’administration fiscale, ce qui a conduit à des ajustements.

Recharge à domicile des véhicules de société

“Il est clairement impossible de chercher chaque jour le tarif par kilowattheure, et donc les fiscalistes et les secrétariats sociaux ont plaidé pour l’utilisation des tarifs moyens de la CREG”, se souvient Kristof Willekens. “Vincent Van Peteghem a cependant dit non, car apparemment, on pourrait tirer profit de ce système. Cela a provoqué beaucoup de mécontentement. Ce n’est qu’en décembre 2024 qu’il a mis un terme à son action avec une circulaire.” Il est probable que le nouveau gouvernement élaborera également une règle à ce sujet.

Des changements importants dans la fiscalité des voitures de société

La déduction des frais automobiles est également importante pour la transition vers un parc automobile plus écologique. Le gouvernement De Croo a décidé que la déduction fiscale d’un véhicule à carburant fossile pourra être maintenue pendant toute la période de possession si celui-ci a été acquis avant le 1er juillet 2023. Si l’achat a eu lieu après cette date, la déduction fiscale diminuera chaque année jusqu’à disparaître complètement en 2028.

Pour les voitures hybrides, une règle similaire s’applique. Les voitures qui circuleront à partir de 2026 ne pourront plus bénéficier de la déduction en matière d’impôt des personnes physiques ou des sociétés. En résumé, l’ère des voitures hybrides de société fiscalement avantageuses semblait révolue. Le nouveau gouvernement fédéral revient cependant sur cette décision.

Le programme gouvernemental est très clair à ce sujet. “Le gouvernement simplifiera les règles relatives à la limitation de la déduction des frais automobiles afin de réduire les charges administratives. Une voiture de société électrique n’est pas une option pour tout le monde. Surtout en milieu urbain, dans les immeubles d’appartements, dans les zones rurales isolées et pour les personnes à faibles revenus, un modèle électrique reste une option peu viable. Par conséquent, le gouvernement prévoit une période de transition plus large pour les voitures hybrides.”

Le gouvernement prévoit une période de transition plus large pour les voitures hybrides.

Concrètement, le gouvernement maintiendra le pourcentage maximal de déduction pour les véhicules hybrides à 75 % jusqu’à la fin de l’année 2027. Il baissera ensuite à 65 % en 2028 et à 57,5 % en 2029 (en même temps que la diminution pour les véhicules électriques). Les frais de carburant des véhicules hybrides resteront déductibles à hauteur de 50 % jusqu’à la fin de l’année 2027. Les coûts de consommation électrique des hybrides bénéficieront de la même déductibilité que ceux des modèles électriques.

Dans les versions précédentes de l’accord, il était également question d’un assouplissement de la réduction des déductions pour les véhicules entièrement à carburant fossile. Cela confirme l’idée que la “super note” de fin août, qui favorisait l’aile droite du gouvernement De Wever, était plus avantageuse que l’accord gouvernemental définitif. Et pourtant, cette version a été rejetée par le président du MR, Georges-Louis Bouchez. Il a laissé passer des éléments qui étaient fiscalement intéressants pour ses partisans.


Jan Jambon, ministre des Finances. BELGA PHOTO DIRK WAEM

Ministres des Finances et l’Administration : une relation complexe
Jan Jambon (N-VA) est devenu, de manière un peu inattendue, ministre des Finances dans le gouvernement De Wever. Lors de la répartition traditionnelle des postes ministériels, il semblait un moment que les libéraux francophones obtiendraient le portefeuille. Jambon, tout comme dans le gouvernement Michel, serait nommé ministre de l’Intérieur. Finalement, il a obtenu les Finances. Une fonction qui ne sera pas facile. Cela s’est déjà révélé lors des discussions sur les modalités de la nouvelle taxe sur les plus-values. Il faudra observer de près les personnes qui occuperont ce cabinet.
Un autre point sensible est la relation entre le ministre des Finances et son administration, le Service public fédéral (SPF) Finances. Lorsque Didier Reynders (MR) est devenu ministre des Finances au tournant du millénaire, il s’est rapidement retrouvé en conflit avec le SPF. Des figures du PS comme Jean-Marc Delporte y tenaient les rênes. Sous Vincent Van Peteghem (cd&v), la relation avec le SPF était très bonne, car il est connu pour être un bastion du cd&v. D’abord sous la direction de Hans D’Hondt, maintenant sous Filip Van de Velde, l’ex-chef de cabinet de Van Peteghem.
Les fiscalistes rapportent que le N-VA a peu d’« ancrages » au sein du SPF, à l’exception de Jeroen Jacobs et Steven Vandenberghe. Ce dernier a été brièvement collaborateur au cabinet de l’ex-ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA, 2014-2018). Il est membre du collège et ancien président du service des rulings fiscaux.
Les plans de warrants sont sauvés dans leur forme actuelle
Un employeur qui souhaite donner une prime à ses employés sans trop augmenter les coûts salariaux choisit souvent des warrants, des options d’actions cotées en bourse. L’employeur ainsi que les employés bénéficient alors d’un bel avantage fiscal. Une rémunération via des warrants et options peut toutefois représenter au maximum 20 % du package salarial.
Dans les plans fiscaux de Vincent Van Peteghem, il était prévu que des cotisations de sécurité sociale soient payées sur ces warrants. « Les warrants ont été sauvés dans leur forme actuelle, comme il ressort de l’accord de gouvernement », déclare Kris De Schutter (Loyens & Loeff). « Il y a un passage qui indique que la rémunération flexible peut atteindre un maximum de 20 %, mais il est désormais possible d’octroyer des primes supplémentaires en dehors de ces 20 %. On pourrait dire que, dans le cadre défini par la commission des rulings, on peut attribuer toutes ses primes via des options et des warrants. La commission des rulings accepte également que vous puissiez convertir une prime de fin d’année en warrants et options. Dans les premières super notes, cette possibilité avait été supprimée. Elle a disparu discrètement. C’est un aspect un peu négligé de l’accord de gouvernement. »
 

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