“La première notation de crédit souverain au monde ajustée au climat” est là, et les perspectives font mal
Les notations des agences font la pluie et le beau temps dans le monde de la dette souveraine. Si un pays reçoit une mauvaise note, les intérêts peuvent augmenter. Et le symbole est important aussi : cela dit beaucoup sur l’économie et les politiques d’un pays. Pour l’instant, les agences ne prennent pas encore en compte les impacts du réchauffement climatique. Si elles le faisaient, de nombreux pays perdraient beaucoup en termes de réputation économique et de finances publiques, comme le montre une nouvelle étude.
La semaine dernière, l’agence de notation Fitch a dégradé la note de la dette souveraine des États-Unis. Une révision de la copie qui a fait grand bruit. Mais à l’avenir, ces dégradations pourraient bien devenir plus fréquentes et plus lourdes, aux États-Unis comme dans d’autres pays. En cause : l’impact du réchauffement climatique sur les finances publiques.
Des chercheurs de l’université d’East Anglia et de l’université de Cambridge ont fait l’exercice de modéliser l’impact du changement climatique sur les dettes souveraines, notent-ils dans une étude publiée dans la revue scientifique Management Science journal ce lundi. “Pour combler le fossé entre la science du climat et les indicateurs financiers du monde réel, nous simulons l’effet du changement climatique sur les notations de crédit souverain de 109 pays, créant ainsi la première notation de crédit souverain au monde ajustée au climat”, expliquent-ils.
Pour ce faire, les chercheurs ont entraîné des modèles d’intelligence artificielle avec les notations de S&P Global d’aujourd’hui. Ils y ont ensuite ajouté différents modèles climatiques, tout comme le système d’évaluation du risque de catastrophes naturelles de l’agence de notation.
Scénarios : du meilleur au pire
Ils établissent ainsi différents scénarios. Un premier se veut positif : si le réchauffement climatique est contenu à 2 degrés maximum (avec des politiques qui vont dans ce sens), comme le veut l’accord de Paris, l’effet sur les notations des dettes serait “presque éliminé”. Mais cela ne viendrait pas sans coût : les paiements d’intérêts pourraient augmenter d’entre 45 et 67 milliards de dollars par an. Il y aurait aussi un surcoût pour les entreprises, par effet de ricochet : leurs paiements d’intérêts pourraient augmenter d’entre 10 et 17 milliards de dollars.
Au contraire, avec des scénarios d’émissions plus élevées (un peu plus du double d’aujourd’hui et un réchauffement de 5 degrés environ, scénario du pire imaginé par le GIEC sous le nom de RCP 8.5), “Cinquante-neuf États souverains voient leur note de crédit abaissée en raison du climat d’ici à 2030, avec une réduction moyenne de 0,68 point, et 81 États souverains verront leur note de crédit abaissée en moyenne de 2,18 points d’ici à 2100”, selon les chercheurs.
Plus en détail, la Chine perdrait 6,5 points à la fin du siècle et les États-Unis 4,5 points (et devraient payer plus de 60 milliards de dollars d’intérêts en plus, tous les ans). La France perdrait près de 3 points et devrait payer 4,5 milliards de dollars en plus sur les intérêts.
Le coût devrait exploser en conséquence : les paiements d’intérêts pourraient augmenter d’entre 135 et 203 milliards de dollars par an. Pour les entreprises, les paiements augmenteraient d’entre 35 et 61 milliards de dollars.
Dette : une question de recettes et de dépenses
“Nos résultats confirment l’idée que le report des investissements verts augmentera les coûts d’emprunt pour les nations, ce qui se traduira par une hausse des coûts de la dette des entreprises”, explique Patrycja Klusak, directrice de recherche, en commentant l’étude auprès de Reuters.
Mais concrètement, quel est l’impact du réchauffement climatique sur les dettes ? En gros, le climat, avec des canicules, des inondations, des sécheresses, des feux de forêt, etc. pèsera sur l’activité économique, ce qui veut dire moins de recettes pour les États. En fonction des dépenses (qui pourraient augmenter, avec des réparations à payer, des investissements “verts” à rattraper, etc.), la dette des pays pourrait se creuser. Cette perspective pourrait valoir une dégradation au pays en question. Conséquence : avec cette étiquette moins valorisante, le prêt est plus risqué et les intérêts augmentent.
Voilà qui peut être un dilemme pour certains pays : s’ils dépensent massivement pour verdir leur économie, sans égard aux recettes, les agences de notation leur tomberont dessus et reverront leur note. Mais s’ils ne font rien, la note pourrait aussi être dégradée, en fonction des (potentiels) critères climatiques.
Pas encore de notation “climat” officielle
Les agences de notation n’incorporent, pour l’heure, pas encore l’impact que le climat pourrait avoir sur les dettes souveraines. Elles se penchent néanmoins sur le score ESG (écologie, social et bonne gouvernance) des entités, via la question suivante : comment le réchauffement climatique pourrait les toucher (en termes de coûts économiques) et quelles mesures elles prennent pour réduire les risques. Mais iront-elles un jour jusqu’à reproduire l’expérience des chercheurs des deux universités anglaises ? Cela reste à voir. Mais cela pousserait en tout cas les pays à accélérer leur lutte contre le réchauffement climatique.
Les banques centrales, comme la BCE et la BNB ont, de leur côté, déjà réfléchi à la question et comment inclure le climat dans les politiques monétaires. Une idée, indiquée par la présidente de la BCE Christine Lagarde, serait par exemple de ne plus qu’octroyer des prêts aux entités “viables” en termes lutte contre le réchauffement climatique – c’est un sujet qui fait débat. La Fed américaine a indiqué que ce ne serait pas de son ressort de se pencher sur le volet “climat” des obligations et qu’il ne fait pas partie de sa mission de sauvegarde de la stabilité financière.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici