La “fuite du pouvoir d’achat” coûterait près de 4000 euros au travailleur belge
La Belgique figure parmi les pays protégeant le mieux le pouvoir d’achat des travailleurs. Mais malgré le handicap que cela entraîne au niveau des coûts salariaux, les salaires belges peineraient à suivre l’augmentation du coût de la vie.
Si les salaires avaient augmenté exactement au même rythme que le coût de la vie au cours des quatre dernières années, les travailleurs belges seraient aujourd’hui plus riches de 3 859 euros en moyenne. C’est ce qui ressort d’une étude PVDA/PTB, reprise par De Standaard. Pour arriver à cette conclusion, le service d’étude du PVDA a comparé l’évolution de l’indice des prix à la consommation avec l’indice des salaires collectifs publié par le SPF Économie. Le premier indique dans quelle mesure la vie devient plus chère en raison de l’inflation, tandis que le second montre dans quelle mesure les salaires augmentent en fonction de cette tendance. En 2023 déjà, le PTB avait sorti une étude montrant que sous le gouvernement De Croo, un salarié a perdu en moyenne plus de 3 000 euros de pouvoir d’achat. La tendance serait donc à une baisse accrue des salaires réels.
Cet écart de pouvoir d’achat s’expliquerait par le fait que les salaires ne sont pas liés à l’inflation de manière univoque, mais indirecte. Ils ne suivent en effet pas l’indice des prix à la consommation, mais l’indice santé. Un indice qui exclut certains produits. L’indexation s’effectue aussi avec un effet retard puisque dans certain secteur, dont un grand nombre d’employés, elle n’est adaptée qu’annuellement (souvent en janvier). Or plus l’inflation est élevée, plus l’effet de décalage pèse sur le pouvoir d’achat. Après des années marquées par une inflation élevée, avec un pic de 12 % en octobre 2022, il est donc normal que ce décalage se creuse encore davantage. Il est par contre plus surprenant que la « perte de pouvoir d’achat » ait été plus importante pendant la période Vivaldi que sous le gouvernement « suédois » de Michel qui a introduit un bond de l’indice (un découplage ponctuel de l’inflation et des salaires). La perte de pouvoir d’achat a été alors limitée à 1,55 %, alors qu’elle est de 2,4% (sil’on calcule depuis les débuts de la Vivaldi).
Pourquoi les prix flambent-ils plus en Belgique qu’ailleurs en Europe?
C’est une particularité belge dont nous nous serions bien passés. Pourtant notre pays est un des champions européens de la hausse des prix. Par rapport à 2015, les prix ont augmenté de plus de 30% chez nous, contre seulement 21% en France, 25% en Allemagne et 26% en moyenne dans la zone euro.
Si les prix flambent davantage chez nous, c’est à cause de plusieurs facteurs économiques, réglementaires et structurels. Comme un marché de l’énergie volatil et des coûts de distribution élevés. Des coûts uniques à la Belgique, comme les emballages multilingues, ainsi qu’une concurrence accrue des plateformes de distribution étrangères contribuent également à alourdir le coût du panier moyen belge. Mais il y a surtout l’indexation automatique des salaires en Belgique qui exerce une pression supplémentaire sur les prix.
Dans des secteurs où la main-d’œuvre représente une part importante des coûts, cette hausse des salaires (qui comptent pour 80% dans le prix de certains services) se répercute rapidement sur les tarifs, accentuant l’inflation. Par exemple, les services domestiques ont vu leurs prix grimper de 10,4 % en Belgique, contre environ 4 % chez les voisins européens. Et alors que l’indexation garantit un ajustement immédiat des salaires, ce mécanisme pousse également les loyers, déjà en hausse de 15 % en Belgique depuis 2021. Néanmoins, avec l’inflation globale qui tend à se calmer, la Belgique devrait enregistrer une hausse des prix plus modérée (3,2 % prévus pour 2024).
Quid du handicap salarial ?
A ceci s’ajoute le fait que la perte du pouvoir d’achat ne compense que peu le handicap salarial belge, malgré des annonces fracassantes la semaine dernière. En effet un pré-rapport du Conseil central de l’économie, relayé par la presse, laissait entendre qu’après avoir trôné au-dessus des 10%, le handicap salarial belge serait subitement retombé à 1%. Mieux : ce handicap se transformerait même en avantage salarial de 0,5% dès 2025. Autrement dit, les coûts salariaux deviendraient plus favorables pour les entreprises belges que pour les entreprises françaises, allemandes et néerlandaises, nos trois principaux voisins. “Un changement total de paradigme. Il y a toutefois une importante nuance à apporter”, précise Baptiste Lambert. “On parle en fait de deux choses différentes : le handicap salarial absolu et le handicap salarial relatif.”
“Le chiffre de “1%” concerne en fait le handicap salarial relatif. Il se réfère à l’année 1996, qui a vu naître la loi sur la norme salariale, qui sert de point de négociation de hausse des salaires au-delà de l’indexation automatique. Une loi qui a été mise en place pour veiller à ce que les salaires belges ne dérapent pas trop par rapport aux pays voisins, qui ne pratiquent pas cette indexation (à l’exception du Luxembourg). Ce handicap salarial relatif, par rapport à l’année 1996, a gagné en importance suite à la vague d’inflation. Au point de grimper à 2,9% l’année dernière. Mais ces derniers mois, des négociations salariales ont eu lieu dans nos pays voisins, au point de rattraper la hausse des salaires en Belgique et de faire redescendre ce handicap à 1% actuellement”.
“Mais cela ne dit rien sur le handicap absolu, nuance Edward Roosens, chef économiste à la FEB. Ce handicap est la différence du coût salarial moyen pour une heure de travail dans le secteur privé par rapport à la moyenne des pays voisins”. Il a grimpé autour de 12 à 13%, selon l’organisation patronale, suite aux différentes indexations automatiques en 2023. “Il est aujourd’hui retombé à 10-11%“, précise l’économiste, après le rattrapage salarial des pays voisins. Ce qui est conforme aux derniers calculs officiels du Conseil central de l’Économie, qui évaluait ce handicap absolu à 10,6% pour le secteur privé (S1-OP) en 2022″.
Jeux d’influence
Si ces chiffres sortent en ce moment, c’est parce que des négociations salariales importantes se préparent pour début 2025. Et les discussions risquent d’être quelque peu tendues, car la marge pour les hausses des salaires a été réduite à rien ces dernières années, du fait de l’indexation automatique et de la loi de 1996. Et cette fois, les syndicats comptent bien dégager une marge.
La loi sur les normes salariales (notamment une révision des tranches d’impositions) et l’adapation de l’indexation automatique des salaires sont également des élément clés des négociations pour le nouveau gouvernement. La super note du formateur Bart De Wever (N-VA) contenait quelques propositions visant à assouplir un peu plus le lien entre l’inflation et les augmentations salariales. Par exemple que les allocations et les salaires des fonctionnaires soient dorénavant adaptés en une seule fois, comme c’est déjà le cas pour beaucoup d’employés. Il propose aussi d’adapter le calcul de l’indice de santé. Ce que l’on appelle le « lissage » serait calculé sur 12 mois, au lieu de quatre actuellement. Or si cela avait été appliqué au cours des quatre dernières années, la mesure aurait entraîné une perte de pouvoir d’achat supplémentaire de 341 euros, toujours selon le PVDA.
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