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La “destruction créatrice” des restaurants

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Depuis le début de la crise sanitaire, les mesures prises par les gouvernants frappent très durement toujours la même partie de la population, les petites et moyennes entreprises.

On connaît la situation injustement dramatique que vivent les restaurateurs et cafetiers en Belgique. Sur une période d’un an depuis mars 2020, ils auront en tout cas été empêchés de travailler pendant six mois, privés de toute recette (à l’exception, pour certains, du take away), tout en devant supporter une partie significative de leurs charges. Leur sort, comme on le sait, n’est pas lié à leur propre activité, ni même à l’évolution du marché dans leur secteur, mais exclusivement à des décisions autoritaires du gouvernement sous prétexte de normes anti-Covid: une fermeture obligatoire dont la justification scientifique n’a jamais été clairement établie.

Depuis le début de la crise sanitaire, les mesures prises par les gouvernants frappent très durement toujours la même partie de la population, les petites et moyennes entreprises.

Beaucoup ont été très choqués par les déclarations, dans votre hebdomadaire favori, de Marc Raisière, le patron de la banque publique Belfius. Celui-ci avait cru bon, parlant des restaurants, d’affirmer: “Bien sûr qu’il y aura des faillites. Mais n’avions-nous pas trop de cafés et de restaurants en Belgique? Etaient-ils tous rentables? Etaient-ils tous viables, sans avoir recours au noir? (…) Les économies ont de temps à autre besoin d’une vague d’assainissement”. Le grand banquier s’était vu attirer des critiques virulentes, non seulement des restaurateurs, mais même du vice- Premier ministre socialiste Pierre-Yves Dermagne, et du PTB, à cause de son manque de compassion pour les victimes de ce prétendu “assainissement”: notamment les familles des restaurateurs et des travailleurs du secteur.

Notre grand patron de banque a sans doute voulu faire allusion à la notion économique de “destruction créatrice”, dégagée par l’économiste américain Joseph Schumpeter, qui a déclaré avoir été inspiré par Karl Marx. Cette théorie se fonde sur la constatation qu’une entreprise innovante qui intervient sur un marché finit par provoquer la faillite, la disparition ou l’adaptation de tout ou partie de ses concurrents sur ce marché, ce qui entraîne effectivement un “assainissement”, parce que seuls ceux qui pourront tirer profit de l’innovation, plus productive, ou qui proposent de meilleurs produits, survivront. Et cette destruction est effectivement “créatrice”, parce qu’il en résulte des entreprises plus solides, et un marché qui satisfait mieux les consommateurs.

Mais cela suppose une innovation, et l’on peut difficilement dire que l’interdiction de travailler résultant des ukases gouvernementaux puisse être assimilée à une telle innovation. Au contraire, ce que le gouvernement a réalisé n’entraîne aucune innovation sur le marché de la restauration, et aboutira à une destruction pure et simple d’un grand nombre d’entreprises, sans aucune amélioration du service ou des coûts pour le consommateur.

On peut craindre que la pensée exprimée par ce grand banquier public, jusqu’ici très estimé pour les résultats de son entreprise, ne soit que l’expression quelque peu cynique de la pensée d’une bonne partie de nos gouvernants. Depuis le début de la crise sanitaire, leurs mesures frappent très durement toujours la même partie de la population, les petites et moyennes entreprises. Ils croient soulager leur conscience en leur distribuant quelques sommes qu’ils osent appeler des “aides” et qui sont très insuffisantes pour réparer le préjudice causé par leurs décisions politiques. En droit constitutionnel, cela s’appelle créer une inégalité devant les charges publiques.

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