Lire la chronique de Thierry Afschrift

La déchéance d’un Etat stratège

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Au lieu de laisser les forces du marché fonctionner normalement, des satrapes ont cru que c’était à eux de décider pour tout le monde.

Le concept d’Etat stratège est à nouveau à la mode. La Commission européenne entend de plus en plus se comporter comme telle, tandis que le secrétaire d’Etat Thomas Dermine utilise fréquemment ce concept lui-même. D’excellents économistes venus du camp libéral en sont récemment devenus les défenseurs. Et l’on entend de plus en plus de politiciens au pouvoir prôner ou mettre en place de véritables “plans” suivant des modèles purement étatistes, quand ils ne sont pas socialistes.

C’est sans doute la vieille idée que tout va mieux lorsque “la société est organisée”, comme l’ont toujours dit les socialistes, et aussi l’extrême droite. Parce que pour eux, il faut quelqu’un qui organise la vie des gens en fonction d’un prétendu “intérêt général” que seul un Etat pourrait dégager et poursuivre.

La réalité ne correspond toutefois jamais à cette illusion. Tout récemment, un Etat qui a voulu jouer à l’Etat stratège en a subi les conséquences ou, plus exactement, a constaté les terribles conséquences que cela impliquait pour sa population. Cet Etat, c’est le Sri Lanka. Le gouvernement de ce pays très agricole, autrefois grand producteur de riz, a brusquement décidé en avril 2021 d’interdire l’importation d’engrais et de produits phytosanitaires, y compris les pesticides et les herbicides, et ce avec un effet quasi immédiat.

Il s’agissait bien d’une stratégie d’Etat puisque cela faisait partie de la vision, dévoilée en décembre 2019 dès son élection, de la “grande stratégie nationale” du président Gotabaya Rajapaksa. Celui-ci avait annoncé la ferme résolution du gouvernement de développer, à titre exclusif, l’agriculture bio dans le pays.

Du jour au lendemain, les agriculteurs se sont trouvés dans l’impossibilité de produire autrement que par des méthodes biologiques. Malheureusement, le marché a ses droits et il n’est utile de produire que si l’on trouve des clients disposés à acquérir ces produits pour un prix suffisant. Et comme les rendements sont évidemment plus bas, d’au moins 20% dans le type d’agriculture choisi par le gouvernement, de nombreux paysans acculés à la ruine ont préféré abandonner leurs terres. D’où une production, notamment de riz, très insuffisante non seulement pour l’exportation mais même pour nourrir les Srilankais.

Il s’en est évidemment suivi des troubles sociaux et des manifestations qui ont obligé le pouvoir à abandonner la politique bio, quelques mois seulement à peine après l’avoir introduite. Juste le temps de ruiner son pays parce que l’on a été un mauvais stratège.

Le problème, ce n’est évidemment pas le bio. Il est tout à fait normal que des consommateurs préfèrent acheter des produits alimentaires comportant le moins de produits chimiques possible. Que cela corresponde à une réalité d’une chance d’une meilleure santé ou seulement d’un préjugé n’a aucune importance. Le consommateur a le choix. Mais il se fait qu’il n’accepte en général le bio que si cela n’implique pas une augmentation de prix trop importante. Cela aussi, c’est une question de protection du pouvoir d’achat.

Le problème, c’est l’Etat. Au lieu de laisser les forces du marché fonctionner normalement, et peut-être de spécialiser le pays dans des produits de type bio, d’une manière progressive, des satrapes ont cru que c’était à eux de décider pour tout le monde. On connaît la conséquence: le gouvernement décide et le peuple supporte les conséquences. C’est comme cela lorsque les décisions sont prises par des personnes qui décident pour les autres.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content