“La Chine ne veut pas démanteler Alibaba”

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Stijn Fockedey Stijn Fockedey est rédacteur de Trends

Mauvaise nouvelle pour Ant Financial et son propriétaire Alibaba. Alipay, son application de paiement très populaire en Chine, pourrait ne plus être autorisée à proposer des petits prêts. “Depuis deux ans, le gouvernement chinois limite le pouvoir des géants de la tech comme Alibaba”, explique Pascal Coppens, expert de la Chine.

Alipay doit créer une application distincte pour les prêts. Le gouvernement chinois est-il vraiment en train de prendre le pouvoir dans le secteur de la technologie ?

“Le centenaire du Parti communiste chinois donne cette impression, mais il s’agit surtout d’une correction après des années de laxisme. Le gouvernement veut maintenant s’attaquer à un certain nombre de dérives et de risques. Les prêts d’Alipay, majoritairement non réglementés, sont considérés trop dangereux pour le système financier, par exemple.”

L’obligation de partager les données avec une structure semi-gouvernementale est un pas de plus.

“Cette mesure fait partie d’une réforme visant à mieux détecter les fraudes, mais aussi à mieux protéger les consommateurs comme cela se fait en Europe avec le RGPD. Le gouvernement chinois veut s’assurer que les données ne sont pas utilisées de manière abusive, mais continue en même temps à encourager l’innovation.”

Alibaba a déjà dû payer 2,8 milliards de dollars dans une affaire de concurrence, et la pression ne semble qu’augmenter ?

“Tous les géants de la tech sont plus durement touchés, mais on parle surtout d’Alibaba en raison de son succès international et de son fondateur au franc-parler, Jack Ma. Je ne pense pas que le gouvernement cherche à démanteler Alibaba. La Chine a besoin d’Alibaba et de ses emplois pour sortir les gens de la pauvreté, notamment dans les zones rurales. C’est toujours la priorité numéro un du gouvernement.”

“Le pays préférerait qu’une entreprise comme Alibaba ne contrôle pas 50 à 60 % du marché chinois de l’e-commerce, mais qu’il existe, par exemple, quatre concurrents plus petits évoluant dans un rapport plus proportionnel. C’est une situation plus saine. Cette attitude plus stricte envers Alibaba vise à donner aux concurrents l’opportunité de se développer.”

Il ne se passe pas un jour sans qu’une entreprise technologique chinoise ne fasse l’objet de mesures. Le gouvernement chinois trouve-t-il toujours une faille ?

“Ce n’est pas arbitraire, mais cela a tout à voir avec l’analyse que le gouvernement chinois a faite. Sa politique a toujours été plus axée sur la réglementation des entreprises industrielles et autres secteurs classiques. Le secteur technologique chinois a été laissé tranquille pendant un certain temps, mais aujourd’hui, sa domination excessive engendre des risques considérables.”

“Ces risques peuvent être répartis en quatre catégories. L’énorme succès d’Alipay et d’autres acteurs de la fintech a créé un réseau de banques fantômes qui peut menacer le système financier. Ensuite, la domination des géants de la tech est problématique en soi car elle peut donner lieu à des abus, comme la fixation des prix ou la pression sur les fournisseurs. Troisièmement, la cybersécurité et le respect de la vie privée entrent en jeu. Didi, l’homologue chinois d’Uber, a été sévèrement sanctionné pour ne pas avoir fait suffisamment d’efforts pour conserver les données sensibles sur le territoire chinois. Et enfin, il y a la composante plus sociale. Tencent, par exemple, n’a pas fait suffisamment d’efforts pour lutter contre la dépendance aux jeux chez les jeunes, ni pour s’attaquer aux cours privés en ligne pour lesquels les parents s’endettent. Ces familles payent parce qu’elles veulent absolument que leur enfant réussisse l’examen d’entrée dans l’enseignement supérieur, mais cela ne fait qu’accroître les inégalités.”

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