La BNB va-t-elle se mettre au vert?

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

L’arrivée de Géraldine Thiry au sein du comité de direction de la Banque nationale va sans doute animer les débats sur ce que peut faire l’institution pour rencontrer le défi climatique. Mais au fait, que peut-elle faire?

Géraldine Thiry, économiste étiquetée Ecolo, comme directrice auprès de la Banque nationale de Belgique (BNB) en remplacement de Jean Hilgers. Cette nomination fut difficile. En début d’année, le Conseil de régence de la BNB avait, après quelques passes d’armes, refusé de présenter la candidature de l’économiste malgré le fait qu’elle faisait l’objet d’un accord politique au sein du gouvernement, avant de se raviser dernièrement. Mais à côté de cet incident de parcours se pose une question plus fondamentale: en quoi une banque centrale a-t-elle le pouvoir, voire le devoir, de s’occuper du climat?

Géraldine Thiry remplacera Jean Hilgers, dont le siège à la BNB était vacant depuis le 1er mars.
Géraldine Thiry. © National

Il y a ceux qui, comme notre ancien ministre des Finances Johan Van Overtveldt, estiment que ce n’est pas son rôle. “La politique monétaire devrait rester à l’écart du changement climatique et de la biodiversité. Les autorités politiques disposent en principe de tous les outils nécessaires pour mener des politiques appropriées en matière de climat et de biodiversité par le biais d’initiatives juridiques, budgétaires, fiscales et réglementaires. La politique monétaire doit se concentrer sur la stabilité des prix. Un point c’est tout”, écrit-il sur son blog.

C’est aussi la vision de Jerome Powell, le patron de la Réserve fédérale américaine qui souligne que la Fed ne deviendra pas un “décideur en matière de politique climatique”.

A l’inverse, il y a ceux qui, comme le directoire de la Banque centrale européenne (BCE), et plus spécialement la présidente de l’institution Christine Lagarde, estiment que “les banques centrales du monde entier peuvent et doivent, dans le cadre de leur mandat, soutenir le verdissement du système financier”.“Nous, à la BCE, avons également fait de la prise en compte du changement climatique une priorité car il affecte l’inflation, il affecte notre bilan, et c’est un risque financier pour les banques que nous supervisons”, indique la présidente de la BCE.

L’institution européenne n’est pas la seule à penser au climat. La Banque d’Angleterre, qui, dans bien des domaines, est à la pointe dans les grands changements (on pense aux travaux sur la monnaie centrale digitale et la blockchain), a été une des premières à repenser son action à l’aune du climat. Son ancien gouverneur, Mark Carney, avertissait d’ailleurs déjà en 2015: “Les défis actuels liés au réchauffement climatique sont de piètre importance par rapport à ce qui est sur le point d’arriver. Une fois que ce sera la question déterminante pour la stabilité financière, il sera peut-être déjà trop tard”.

Un mandat qui diffère

D’accord, mais le mandat de la BCE n’est-il pas, comme le dit Johan Van Overtveldt, d’assurer la stabilité des prix? Pas si simple… Et c’est là où l’on voit la différence de mandat entre la Réserve fédérale et son homologue européen: les traités permettent en effet à la BCE de poursuivre d’autres objectifs que simplement celui de combattre l’inflation.

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“Pour examiner si le mandat de la BCE peut inclure des considérations climatiques, il y a deux angles d’attaque, explique Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. Le premier est de dire que puisque les problèmes de réchauffement climatique peuvent provoquer l’instabilité des prix – pensons par exemple à une très mauvaise récolte qui crée une pénurie de blé et engendre une flambée des prix – la BCE est donc autorisée à essayer d’empêcher le réchauffement climatique, puisqu’elle a la stabilité des prix pour mission.”

Le deuxième est de rappeler que la BCE n’a pas pour seule mission de combattre l’inflation. “Effectivement, la politique climatique est dans les objectifs généraux de l’Union européenne, poursuit Eric Dor. La BCE peut – doit même – soutenir la politique générale de l’Union du moment que cela ne porte pas préjudice à la stabilité des prix.” Dans ce cadre, la BNB a été désignée comme partenaire de la Commission pour son plan NextGenerationEU et va l’aider à lever 800 milliards d’euros auprès d’investisseurs.

Et la Banque nationale?

Mais la BNB, ou plutôt son gouverneur Pierre Wunsch, adopte une position assez prudente sur le sujet. Certes, note-t-il sur le blog de l’institution, la transition climatique a plusieurs implications pour les banques centrales. “Elle aura des répercussions sur des variables macroéconomiques comme la croissance, les taux d’intérêt réels et l’inflation. (…) La transition vers la neutralité climatique exigera des investissements substantiels, ce qui induira potentiellement une hausse des taux d’intérêt à l’échelle internationale. D’autre part, une tarification du carbone pourrait faire grimper les prix et peser sur l’activité, contraignant la banque centrale à opérer un arbitrage entre maintenir l’inflation à un niveau bas et préserver l’activité économique. Si cela vous évoque quelque chose, c’est que la zone euro a été confrontée au même dilemme après le choc des prix de l’énergie de l’an dernier.”

Ensuite, “le changement climatique entraînera également de nouveaux risques pour les entreprises et les particuliers, ce qui pourrait aboutir à des taux de défaillance plus élevés. En tant que contrôleur bancaire et des sociétés d’assurance, nous tenons à nous assurer que ces risques sont bien compris et pris en considération par les établissements financiers”, poursuit Pierre Wunsch.

Pierre Wunsch : “Si la politique climatique va trop vite et trop loin, nous risquons de perdre dix ans”

Mais la question est “de savoir si les banques centrales doivent être associées à l’atténuation des effets du changement climatique proprement dits, par exemple, en achetant des actifs présentant une faible empreinte écologique ou en ‘orientant’ leurs portefeuilles vers la décarbonation”, ajoute-t-il.

Et Pierre Wunsch estime que cette orientation relève plutôt de la politique budgétaire car c’est une question politique. Il y aura en effet, comme dans toute transition, des gagnants et des perdants. “Il est donc préférable que les décisions de politique soient prises par des décideurs qui ont été élus”, estime-t-il. Cela promet d’intéressants échanges au comité de direction de la Banque avec Géraldine Thiry.

Car si une série d’outils sont effectivement dans les mains des politiques, les banques centrales en ont quand même quelques-uns. “Elles peuvent essayer, pour être caricatural, de renchérir le coût de financement des industries sales et réduire le coût de financement des industries propres pour désinciter à investir dans ce qui émet du carbone”, explique Eric Dor. Les banques centrales sont des “prêteuses sur gages”. Elles prêtent aux banques qui lui apportent des “collatéraux” pour garantir ces prêts, poursuit-il. Au départ, le critère prépondérant pour définir si un actif (une obligation, un prêt) peut servir de collatéral auprès de la banque centrale, on évalue la solvabilité de l’emprunteur et l’on se réfère pour cela aux notes des agences de notation.

“La Banque centrale pourrait discriminer les obligations qu’elle achète.”

“Mais, ajoute Eric Dor, Christine Lagarde est ouverte à l’introduction de critères écologiques. On se référerait alors à une notation écologique pour accepter ou pas, pour rendre éligible ou pas, une obligation privée. Par exemple, une obligation émise pour financer l’exploitation d’un champ pétrolier ne serait pas éligible. Cela aurait un impact puisque, toutes choses restant égales par ailleurs, le taux d’intérêt sur une obligation éligible au refinancement de la BCE sera plus bas car une banque va préférer un prêt qui pourrait lui servir de garantie à la Banque centrale pour obtenir des liquidités.”

Un autre mécanisme, ajoute Eric Dor, pourrait intervenir lorsque la Banque centrale fait du quantitative easing, qui est cette opération par laquelle une banque centrale crée des liquidités en achetant des obligations. “La Banque centrale pourrait discriminer les obligations qu’elle achète, n’achetant que les obligations qui financent la décarbonation de l’économie. Ici aussi, cela aurait un impact sur les taux de ces obligations”, dit-il.

Le bâton de gendarme

Mais le levier le plus important est sans doute celui de régulateur financier (la BNB est le gendarme des banques et des assureurs) et il est déjà à l’œuvre. “Le risque de transition relatif aux bâtiments inefficaces sur le plan énergétique est un risque important à prendre en compte. C’est pour cette raison que le secteur financier doit recueillir des informations sur l’efficacité énergétique des expositions immobilières et en tenir compte dans sa gestion des risques”, note la BNB.

“Les banques centrales vont nous aider à faire des choses dont nous ne voyons pas nécessairement la priorité.”

Celle-ci, avec sa casquette de régulateur, contrôle déjà les informations dont disposent les banques sur la qualité énergétique des bâtiments pour l’achat desquels elles prêtent de l’argent, et les obligent à gérer leurs risques en conséquence. Et plus largement, au niveau européen, la BCE a réalisé un stress-test climatique l’an dernier. Ce bâton de gendarme est sans doute l’outil le plus important dont dispose la BNB et les banques centrales aujourd’hui. “Si l’on attache une énorme pondération de risques aux prêts ou aux obligations qui financent des activités émettrices de carbone, les banques devront, pour les couvrir, mobiliser davantage de fonds propres. C’est coûteux, et les banques demanderont donc spontanément des taux d’intérêt élevés sur ce type d’actifs”, explique Eric Dor.

ETIENNE DE CALLATAŸ
Etienne de Callataÿ © belgaimage

L’économiste Etienne de Callataÿ abonde. “Le rôle des banques centrales est important parce qu’elles peuvent flécher le crédit. Elles peuvent renchérir le coût du capital et, par ce canal, peuvent jouer un rôle important. Par ailleurs, leur côté technocratique va faire en sorte que l’on aura envie de les utiliser. Si mon crédit hypothécaire est plus cher parce que ma maison est moins bien isolée, je ne vais pas aller occuper un rond-point pour cela. La solution technocratique a cette vertu d’être moins sujette à l’opposition de la population. Je ne le dis pas avec plaisir, parce qu’a priori, nous désirons tous que les institutions soient les plus transparentes, mais les banques centrales vont nous aider à faire des choses dont nous ne voyons pas nécessairement la priorité.”

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