La Belgique risque de se retrouver sur le banc de touche européen l’année prochaine

Karine Lalieux (Pensions, PS), David Clarinval (Classes moyennes, MR), Alexander De Croo (Open VLD), Pierre-Yves Dermagne (Economie et Emploi, PS) et Frank Vandenbroucke (Affaires sociales, Vooruit). © Belga
Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Si les partis radicaux remportent les élections législatives et que les autres partis politiques adoptent une approche attentiste avant les élections communales d’octobre… Cette combinaison pourrait faire traîner les négociations sur la formation d’un gouvernement pendant des mois après le scrutin du 9 juin.

Avec les longues négociations sur la formation d’un gouvernement fédéral en 2007 et la crise de 2010, nous avons oublié que ce genre de négociations ont parfois été conclues assez rapidement dans l’histoire récente de la Belgique, en particulier lorsque le gouvernement sortant disposait encore d’une majorité claire. Ainsi, en 1985, le gouvernement Martens V (démocrates-chrétiens et libéraux) a été récompensé par les électeurs pour sa politique de relance après la dévaluation de 1982. La coalition s’est maintenue. Dix ans plus tard, les électeurs n’ont pas sanctionné non plus le premier gouvernement Dehaene (démocrates-chrétiens et socialistes). Le Premier ministre Jean-Luc Dehaene et son équipe avaient pris des mesures d’assainissement budgétaire entre 1992 et 1995 afin que la Belgique puisse acquérir son ticket d’entrée dans l’Union monétaire européenne à la fin de la législature.

La même chose pourrait-elle se produire en 2024 et la Vivaldi pourrait-elle avoir une suite avec une Vivaldi II et un autre occupant au 16 rue de la Loi? Bien que les partis radicaux comme le Vlaams Belang et le PTB/PVDA obtiennent de bons résultats dans les sondages, le gouvernement composé des socialistes, des libéraux, des verts et du cd&v disposerait en théorie toujours d’une majorité au sein de la chambre fédérale. S’ils n’y parviennent pas, ils se contenteront d’accueillir les centristes Les Engagés à leur table.

Une minorité flamande trop faible

Mais les choses ne sont pas si simples. Il y a plus d’une raison de penser que les négociations pour la formation d’un gouvernement vont s’éterniser pendant des mois après les élections.

Le gouvernement fédéral sortant n’a déjà pas de majorité du côté flamand. Si l’on en croit les sondages, les partis flamands actuels, qui composeraient le gouvernement Vivaldi II, représenteront à peine 30 % des électeurs flamands en juin. C’est trop peu. Deuxièmement, de nombreux partis voudront attendre les élections communales d’octobre. L’impasse politique, quant au choix du futur occupant du 16 rue de la Loi, pourrait donc se prolonger jusqu’à cette date.

Cela dépendra beaucoup de l’attitude de la N-VA de Bart De Wever, même si ce parti perdra des plumes lors du scrutin et ne sera peut-être plus que le deuxième en Flandre, après le Vlaams Belang. Les nationalistes flamands veulent à tout prix éviter un Vivaldi II, donc la vraie question est : où vont-ils trouver des alliés pour former une coalition alternative. Une coalition Arizona des trois familles traditionnelles et de la N-VA semble être la seule option viable en dehors d’une Vivaldi II. Mais la N-VA exige une réforme de l’État qui ouvre la voie au confédéralisme. Or cela est inacceptable pour les libéraux des deux côtés de la frontière linguistique et est très difficile pour le PS qui peut vouloir une réforme de l’État et surtout beaucoup d’argent, sans trop toucher à la sécurité sociale fédérale.

Enfin, la méfiance à l’égard de la N-VA sera grande s’il s’avère que ce parti dispose, avec le Vlaams Belang, d’une majorité au Parlement flamand. Les discussions sur la formation risquent de se transformer en tractations sans fin.

La pression extérieure

A moins qu’il n’y ait une forte pression venant de l’extérieur, comme c’est souvent le cas dans l’histoire économique de la Belgique. La Commission européenne s’inquiète depuis un certain temps de la détérioration des chiffres du budget de la Belgique. Cette année, le déficit s’élève à 3,5 % du produit intérieur brut (PIB). L’année prochaine, il passera à 4,9 % et en 2025, il franchira la barre des 5 %. Dans la zone euro, seule la Slovaquie fait pire que notre pays.

Un gouvernement aux affaires courantes, durant les longues négociations pour la formation d’un gouvernement, travaillera avec des douzièmes provisoires et ne creusera pas le déficit. Mais c’est une piètre consolation et cela sera insuffisant pour la Commission européenne. La Belgique risque de se retrouver sur le banc de touche européen l’année prochaine. Non seulement à cause du déficit, mais aussi parce que les pays du sud de l’Europe parviennent eux à réduire leur déficit. Et parce que les raisons du déficit budgétaire belge ne sont manifestement plus le résultat des mesures de soutien prises à la suite de la crise énergétique de 2022, et encore moins de celles prises lors de la crise sanitaire. La cause principale est l’augmentation des dépenses de la sécurité sociale.

La Commission européenne demande depuis longtemps à la Belgique de limiter la croissance de ses dépenses publiques à moins de 2 % par an. Seul un gouvernement de plein exercice est capable de le faire. La pression de la Commission européenne pourrait donc accélérer sa formation. La nervosité des marchés financiers pourrait constituer un moyen de pression supplémentaire. Le gouvernement Di Rupo a également été formé fin 2011 suite à la pression des marchés financiers.

Angle mort

Les partis qui seront chargés de former un nouveau gouvernement entendront un autre signal d’alarme au cours de l’année 2024 : celui de l’affaiblissement de la compétitivité et de la perte des parts de marché de nos entreprises à l’étranger. La Banque Nationale prévoit depuis un certain temps déjà que l’augmentation rapide des coûts salariaux en Belgique – conséquence de l’indexation automatique des salaires – affaiblira la position concurrentielle de nos entreprises. Les salaires augmentent également dans les pays voisins, mais la Belgique risque d’accumuler à nouveau un handicap salarial. L’évolution de la balance courante de la Belgique avec l’étranger est un signal important : alors qu’elle affichait encore un excédent en 2022, elle est devenue déficitaire de 4 à 5 % du PIB. Une faible compétitivité est également une mauvaise nouvelle pour la croissance potentielle, en partie parce que les entreprises sont moins enclines à investir.

En 2024, les politiciens devraient s’attendre à ce que les organisations patronales exercent la pression nécessaire pour former rapidement un gouvernement qui s’attaque au problème de la compétitivité. Ainsi, la Fédération des entreprises belges (FEB) réclame déjà la fin de l’indexation automatique des salaires. Quant aux employeurs, ils espèrent des mesures permettant de contenir ce désavantage compétitif de la Belgique.

Les négociations salariales et l’accord interprofessionnel 2025-2026 débuteront à l’automne 2024. La FEB, entre autres, ne souhaite pas que ces négociations se déroulent dans un climat social tendu doublé d’un climat politique instable. C’est pourquoi les partenaires sociaux souhaitent qu’un gouvernement ratifie un éventuel accord interprofessionnel d’ici l’automne ou certainement d’ici la fin de l’année 2025. Ce n’est pas seulement un souhait des employeurs. Le principal syndicat, l’ACV, devrait adopter une position un peu moins radicale avec Ann Vermorgen qu’avec son prédécesseur Marc Leemans. Les syndicats sont traditionnellement les déclencheurs de la concertation sociale en Belgique. Grande différence par rapport au passé : le prochain gouvernement ne pourra pas jeter des centaines de millions d’euros sur la table pour obtenir un tel accord.

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